ARCHIVES # 58 (accès libre) : Une étonnante autobiographie d'Antide Janvier – rédigée de sa main (seconde partie)
Le 17 / 05 / 2015 à 04:00 Par Le sniper de Business Montres - 5808 mots
Reprise d'une précédente page d'archives, endommagée dans une tentative de hacking : elle constitue la suite de notre séquence Archives #57 (Business Montres du 12 juillet dernier).
Il s'agissait de la première partie d'une autobiographie du grand horloger français Antide Janvier – écrite par lui, de sa main, quand il avait à peu près quatre-vingt ans (explications et reproductions du manuscrit ci-dessous)... Ce document d'histoire nous présente un horloger de génie dans la tourmente de 1789, avec un accès direct au cabinet …
Reprise d'une précédente page d'archives, endommagée dans une tentative de hacking : elle constitue la suite de notre séquence Archives #57 (Business Montres du 12 juillet dernier).
Il s'agissait de la première partie d'une autobiographie du grand horloger français Antide Janvier – écrite par lui, de sa main, quand il avait à peu près quatre-vingt ans (explications et reproductions du manuscrit ci-dessous)... Ce document d'histoire nous présente un horloger de génie dans la tourmente de 1789, avec un accès direct au cabinet du roi, dont il perçoit les angoisses sur le temps qui fuit. Il n'observe pas avec moins d'acuité la société de la Restauration. Surprenant quelques secrets d'Etat, il se pose en témoin des grandeurs et des trahisons de la cour, mais toujours l'oeil rivé sur ses lunettes astronomiques et sur ses horloges...
CE DOCUMENT APPARTIENT AU FONDS DU RÉSEAU DE LECTURE PUBLIQUE DE LA COMMUNAUTÉ D'AGGLOMÉRATION DU CARCASSONNAIS. Une transcription du texte (première publication dans Horlogerie Ancienne, la revue de l'AFAHA) a été établie par Michel Hayard, le meilleur spécialiste international d'Antide Janvier, pour en faciliter la lecture, bien que l’écriture de cet artiste âgé de 80 ans soit encore très belle et bien formée. L’orthographe, non encore stabilisée à cette époque, a été corrigée pour une lecture plus facile. Antide Janvier écrit encore le « tems » (au lieu de « temps ») alors que son notaire à la même époque écrit « temps ». Les notes de bas de page ont été conservées [voir après le texte] et augmentées des ajouts ou corrections trouvées dans la marge. Des parenthèses sont ajoutées pour la compréhension de certaines abréviations ou pour préciser certains points.L’autobiographie intitulée Mémoire nous donne un grand nombre d’indications sur les faits remarquables qui ont émaillé la vie d’Antide Janvier. À Versailles, il a fait partie de l’entourage de Louis XVI et nous détaille ses relations avec le souverain à travers quelques anecdotes qu’il nous est facile de rattacher à la succession des faits historiques de l’époque. Plus amer après la Révolution, il nous raconte les difficultés qu’il rencontre, même pour se faire reconnaître. Le titre de cette biographie a été rayé par l’auteur : Antide Janvier à S. M. Louis Philippe Ier, Roi des Français. Cela suppose que l’écrit a été commencé après le 2 août 1830, date de l’abdication de Charles X qui cède le trône à Louis-Philippe. Antide Janvier approche alors des 80 ans.Michel Hayard ▶▶▶ ANTIDE JANVIER« Nous étions là, plusieurs,qui faisions un rempart de notre corps à la véritable instruction »... ◉◉◉◉ Tandis que j’attendais le Roi, la Reine parut au fond de la pièce et parla à des courtisans rangés autour de la cheminée. Je m’aperçus qu’elle me montrait, j’en fus fâché parce que je n’avais jamais parlé à cette Princesse que je n’aimais point sans trop savoir pourquoi. Mr. de Brézé me l’amena et me pria d’expliquer mon ouvrage à S. M.. Je lui exposai d’abord le genre de projection de la carte et la raison qui m’avait engagé à prendre ce parti plutôt que de suivre la méthode ordinaire ; elle parut me comprendre très bien et m’écouter avec une attention à laquelle je ne m’attendais pas. Elle me demanda alors de quelle manière on voyait les heures ? Je lui fis d’abord remarquer le nom de la ville de Paris sur la carte et observer que le méridien qui la traversait descendait sur l’échelle des longitudes mobiles à la minute actuelle. Supposons maintenant Madame, que vous vouliez connaître l’heure qu’il est dans un autre lieu, à Metz par exemple. La Princesse qui était baissée pour voir de plus près les divisions, se releva brusquement, me jeta un regard foudroyant, fait un pas en arrière pour ranger sa robe, me regarde encore avec fureur et passe avec ses deux enfants et Mr. de Brézé qui la suit. ◉◉◉◉ A peine est-elle sortie que le Roi paraît, s’excuse de m’avoir fait attendre comme s’il m’avait dû quelques égards et s’assied devant la pendule. Il fait un signe à un domestique qui roule un fauteuil auprès de lui et il me dit de m’asseoir. Je reste debout. - Asseyez vous donc Janvier, je vous l’ordonne. - Ordonnez donc Sire que le fauteuil soit placé à votre droite. - Eh pourquoi cela ? - j’ai l’ouie détruite du côté droit et je n’entendrais pas les paroles que votre M. daignerait m’adresser ! - Pauvre gar- çon ! Un autre signe fait passer le fauteuil à la droite du Roi et me voila assis à ses côtés. A l’instant arrive Mr. de Brézé qui dit : Sire la Reine vous attend pour faire commencer la messe. - Tout à l’heure. Et Mr. de Brézé sort. Il ne s’était pas écoulé 3 minutes que Mr. de Brézé revient. - Sire la Reine attend. - Qu’elle ait la complaisance d’attendre encore. Au bout de deux ou trois minutes, autre visite de Mr. de Brézé. - Sire la Reine fait commencer la messe. Le Roi impatienté dit : Eh bien qu’elle la fasse achever et nous continuons à nous occuper de la pendule, de géographie et du voyage de Cherbourg encore plus d’une demie heure. C’est sans contredit, celle de toutes mes productions qui plût davantage au Roi. Je l’avais démontée entièrement sous ses yeux, dans ce sa- lon vert où je fus assis pour la dernière fois à ses côtés, et que je n’ai jamais traversé depuis sans éprouver le frisson de la fièvre ce qui a singulièrement contribué à me faire quitter le service. ◉◉◉◉ J.J. Rousseau a dit je crois, qu’une conscience coupable avoue contre nous des témoins qui n’y pensent pas22 car certes c’était bien loin de ma pansée de vouloir rappeler à la Reine la mauvaise issue du projet de voyage à Metz, mais aussi c’était une faute d’attention impardonnable de moi qui avais pénétré dans le cabinet du Roi le 4 oct. précédent (1789) et vu sur une table le plan de la ville de Metz copié de sa main. Lorsque le Roi se leva, il voulut savoir combien je lui vendrais cette machine, j’en voulus laisser le prix à sa volonté ; mais il insista et comme je connaissais sa méthode, je m’étais muni des quittances des ouvriers, je lui dis : La carte me coûte 600* voilà la quittance de Coteau ; la boîte 600 » voilà la quittance de Schwerdfeger ; l’exécution du mouvement 600» voilà la quittance. - Et vous, vous comptez-vous pour rien ? - Eh bien fixer pour ma composition et mes soins traitez moi comme les autres et cela fera 100 Louis - C’est bien généreux de votre part, que pourrais-je donc faire pour vous ? - Sire me donner le cordon de St Michel. - Je suis prisonnier et les ordres sont abolis. - Sire, je le porterai là, en découvrant ma poitrine. Il était fort sensible, ses yeux se couvrirent d’un nuage et me prenant par le poignet de la main gauche il me dit avec émotion : je vous le promets, puis il ajouta vous calerez la pendule comme il faut sur la cheminée où elle a déjà passé trois jours. ◉◉◉◉ Je ne sais ce que la Reine put lui dire sur mon compte, mais Duret vint m’avertir deux heures après, que le Roi ne prendrait pas la pendule et qu’il lui était impossible de deviner d’où venait ce changement. Je m’eus gardé de communiquer mes soupçons à personne et je perdis ainsi en un moment l’affection d’un Prince qui ne s’était jamais démenti depuis la première fois que je l’avais vu. Arriva le 10 août (1792) la fuite de toute la famille dans l’enceinte de l’Assemblée législative et enfin leur détention aux Feuillants en attendant leur translation au Temple. Le Roi n’avait pas un seul serviteur autour de lui, il lui était impossible de se procurer seulement un mouchoir de poche et malgré qu’il m’eût éloigné de sa personne, je gémissais de cet abandon, lorsque je rencontrai ce garçon du château en qui Louis XVI avait pleine confiance et qui avait la tenue de sa cave, de son tabac, etc. Il me demanda si je ne pouvais pas lui obtenir la permission d’entrer auprès du Roi pour lui apporter ce dont il pouvait avoir besoin. Je connaissais un Mr. Merveilleux, président des inspecteurs de la salle et j’allai lui demander cette permission pour Duret qui m’accompagnait. - Réponds-tu sur ta tête de cet homme là ? - Oui. - Eh! bien signe cette sponsabilité sur le registre, ce que je fis et on me donna un laissez-passer. Je conduisis Duret jusqu’à la porte du Roi qui me vit très distinctement, qui n’ignora pas la part que j’avais eue en lui procurant un serviteur dont il avait si grand besoin ; mais je n’eus jamais le courage d’entrer, de présenter au Roi la manière inoffensive dont j’avais cru parler à Reine etc. et je m’en suis toujours repenti, parce que ce Prince est mort en croyant peut-être que j’étais son ennemi. ◉◉◉◉ Je laisse à part les chagrins domestiques qui m’assiégèrent durant la longue maladie de mon épouse. Ceux qui suivirent sa perte. Je laisse à part les diverses missions et les voyages fatigants dont je fus chargé, tant pour la fabrications des armes que pour l’établissement des lignes télégraphiques et autres travaux pénibles, particulièrement dans la commission temporaire des arts, adjointe au comité d’instruction publique ; les luttes et les combats que j’ai soutenus contre les efforts destructeurs et trop souvent victorieux du vandalisme, quand la terreur comprimait toutes les âmes, est peut-être l’un des plus honorables témoignages qu’un citoyen puisse invoquer en sa faveur. Nous étions là, plusieurs, qui faisions un rempart de notre corps à la véritable instruction, eussions nous emporté les dernières paroles de la science, nous eussions du moins rempli un grand devoir envers la génération future, ces années ont été les plus pénibles de ma vie. ◉◉◉◉ En 1800 je présentai à la classe des sciences de l’Institut de France, une sphère mouvante qui me valut des éloges et des encouragements pour l’adresse, l’intelligence et les combinaisons ingénieuses qu’on remarquait dans cette machine et pour la manière neuve dont j’avais représenté la différence du temps vrai et du temps moyen. A l’exposition des produits de l’industrie française en 1802, je présentai une sphère mouvante qui me valut une médaille d’or, distinction du premier ordre. Cette machine ne put être jugée par l’Institut parce que sa description était publiée dans L’histoire de la mesure du temps par Ferdinand Berthoud. En 1806 je présentai à l’exposition une machine avec le système d’équation du temps par les causes qui la produisent ; cette pièce construite exprès est destinée à servir de modèle pour des pendules à équation d’un genre absolument neuf. En 1810 je publiai « les étrennes chronométriques » sur un plan beaucoup plus étendu que ne l’avait connu Pierre Le Roi. Vol. in 18’ Paris. Courier. En 1811 je publiai un « Essai sur les horloges publiques à l’usage des communes de la campagne », vol. in 8° avec 3 planches en taille douce. Ce fut cet opuscule qui avertit le jeune Wagner de son génie; en moins de 6 mois il m’eut dépassé d’un demi-siècle, et pour ne pas nuire à cet ami de mon cœur, pour que le public ne pensât pas que je pouvais le guider dans une carrière qu’il parcourt avec succès, je mis mon livre au pilon. On me l’a vainement demandé de toutes les parties de la France, et de l’étranger, il n’a jamais reparu malgré ma misère. Ce n’est pas un éloge que je me donne, c’est un fait que je raconte. En 1812 je publiai un volume in 4° avec 8 planches en taille douce, ayant pour titre : « Des révolutions des corps célestes par les mécanismes des rouages », Paris presse Didot. Mr. Delambre en a porté un jugement favorable. En 1815 je publiai « Le manuel chronométrique ou précis de ce qui concerne le temps, ses divisions, ses mesures, leurs usages ». In 18°, 3 planches. Plus tard en 1821 je fis réimprimer cet ouvrage in 12° avec 5 planches, Paris Firmin Didot. C’est la dernière et le plus complète des éditions d’un ouvrage qui sous un petit vol. contient une multitude de choses qu’on ne trouverait que dans un grand nombre de livres rares. En 1824 j’ai publié un « précis des calendriers civils et ecclésiastiques », ouvrage d’un besoin journalier, Paris Didot jeune. Enfin en 1826 j’ai publié un « recueil des machines », dédié à mon ami Wagner avec 13 pl. en taille douce, in 4° Paris Jules Didot. C’est le dernier de mes écrits. ◉◉◉◉ A l’exposition des produits de l’industrie (1823) je présentai trois pendules dont l’une à équation était particulièrement remarquable par une grande simplicité des constructions qu’il me soit permis de citer le dernier jugement du jury national : « en reconnaissant qu’il est de plus en plus digne de cette récompense (la médaille d’or) le jury croyait ne lui avoir rendu justice qu’à moitié, s’il n’ajoutait pas que par son influence et par ses conseils désintéressés, Mr. Janvier rend journellement des services signalés à ses jeunes émules. Personne n’est plus érudit que lui : en traduisant les ouvrages des plus grands maîtres, il a fourni aux horlogers peu versés dans la connaissance des langues anciennes, les moyens d’étudier ces ouvrages ; il calcule la denture des rouages pour tous ceux à qui les mathématiques, ne sont pas familières ; il est le conseil et l’appui de tous les jeunes artistes doués de quelque talent et, ce qui n’est pas moins utile, leur conseiller le plus sévère quand ils s’égarent. Le jury pense que personne n’a plus contribué que Mr. Janvier à porter l’horlogerie française à l’état de prospérité où elle est actuellement parvenue. ◉◉◉◉ Au retour de la famille des Bourbons, mon premier soin fut de me faire présenter au Roi qui ne me reconnut point. Mr. Le duc de Duras que je n’avais jamais vu à l’ancienne cour, trouva tout simple d’éliminer le vieillard qui avait été investi durant sept années consécutives de la bienveillance de Louis XVI. J’eus beau repré- senter que j’avais refusé 500 Guinée de traitement annuel de l’étranger pour y porter une industrie que je devais à la France ; que j’avais perdu toute ma fortune depuis 4 ans, à la maison Baudoin rue Grange Batelière, par une banqueroute de 1800 mille Fr. où j’avais vu anéantir le fruit de 30 ans de travail, d’économies et de privations, tout fut inutile ; il se borna à me dire qu’il me conserverait mes entrées et les honneurs du service. Mr. Le marquis de Rubelles, qui me voulait quelque bien, alla trouver Mr. Hue son ami et premier valet de chambre du Roi ; Mr. Hue regarda comme une injustice de me refuser du pain, et, sans aucune sollicitation de ma part, il fit expédier le brevet d’horloger ordinaire du Roi signé par S. M. le premier octobre 1814, il avait alors 30 ans que je servais sans interruption et sans honoraire. Mr. le duc d’Amont (alors duc de Pienne) m’écrivit que tel jour à telle heure du mois de novembre suivant il recevrait mon serment pour la charge d’horloger ordinaire du Roi. Je me rendis au château, prêtai le serment sous la dictée de Mr. Le comte de La Barfe secrétaire de la chambre et je continuai de conduire la sphère mouvante faite pour le Roi et que j’avais toujours soignée sous tous les gouvernements qui s’étaient succédés et cela sans nulle rétribution et en mémoire de mon auguste bienfaiteur Louis XVI. À cette époque aucun horloger employé aux Tuileries, ne savait encore comment on remontait cette pendule à sphère mouvante. J’eus la maladresse de le dire sans défiance à celui-là même qui m’a fait le plus de tort. Cette imprudence a été cause que l’on a compris cette sphère dans le marché fait avec Robin pour la conduite des pendules du château des Tuileries ; mais on a tellement senti l’iniquité de ce procédé qu’on n’a pas osé me demander les clefs qui ne sont pas sorties de mes mains, on en a fait d’autres. Mr. Le duc de Pienne m’écrivit ensuite que l’on réglerait incessamment mes époques de service et mon traitement. Je répondis qu’en qualité d’horloger ordinaire mon intention était de servir en tout temps, tant que mon coeur battrait dans ma poitrine quoique cette charge me fût donnée pour retraite, et que quant aux appointements je me bornais à 1 200 fr. qui m’était accordés comme horloger des Menus dont on me retirait le brevet. Il se passa beaucoup de temps sans que j’entendisse parler de rien ; à la fin, pressé par les besoins qui entourent un vieillard laborieux et infirme qui, comme je l’ai répété tant de fois ne mérita jamais le malheur, je réclamai. Les gentilshommes de la chambre me renvoyèrent au ministre, le ministre aux gentilshommes de la chambre ; quand on était las de mes suppliques on me demandait mon état de service. Je fus ainsi amusé jusqu’au ministère de Mr. Lauriston, et comme j’avais déjà dépensé 120 fr. pour faire faire des copies de pièces et états de services pour les autres ministres, je crus que Lauriston, comme militaire serait plus loyal, je lui envoyait quantité de pièces originales, que je n’ai jamais pu recouvrer et il finit par m’éconduire. Enfin arriva au ministère de la maison du Roi Mr. de Doudeauville ; je fus le trouver avec le brevet de ma charge, je m’expliquai très succinctement et d’une manière très intelligible. Il ne me comprit pas avec une tête à la Sostène car tel fils tel père. ◉◉◉◉ Enfin Mr. Arago, homme très franc, très loyal et généreux, surtout d’une justice impartiale, eut la bonté de faire une lettre à Mr. de Doudeauville. Ce Mr. avait pris pour chef du bureau des pensions à son ministère la plus plate médiocrité qu’il eut pu choisir, un grand flandrin nommé Guillard de Senainville secrétaire de la société d’encouragement pour l’industrie nationale. Cet impudent écrivit au brave Mr. Chauvin commissaire de police rue des St Pères de lui fournir des renseignements sur mes opinions afin que l’on pût juger si j’étais digne des bienfaits du Roi. Il y eut une espèce d’enquête de mouchards dans les boutiques environnantes et le marchand de curiosités demeurant vis-à-vis la croisée de mon ancienne cuisine. Le nommé Guilaine avertit ma Jeannette de cette espèce d’inquisition et cette fille m’en fit part. A quelques jours de là, Mr. Chauvin vint me voir pour le prétexte de savoir où en était un ouvrage que je faisais alors pour Mr. de Jumilhac, nous causâmes beaucoup ensemble et à la fin je lui dis : « Mr. Votre visite ne me parait pas naturelle, 1 ° parce que Mr. de Jumilhac passe tous les jours devant ma porte 2° parce que vos questions sont la plus part intempestives, qui êtes-vous ? Cette interrogation le déconcerta un peu, il tira une lettre de sa poche dont il avait coupé la signature et il me la présenta. C’était la lettre de Guillard de S. dont je reconnus l’écriture. Alors je tirai sur le casaquin du dit Guillard de manière à faire perdre le sérieux au pauvre Chauvin qui me demanda ce que je voulais qu’il fît ? -Mais ce qu’il vous plaira. - C’est qu’il faut que je fasse un rapport. - Eh bien, tenez voila un portefeuille qui contient à peu près 80 pièces justifiant les actes de ma vie depuis que je suis à Paris. Veuillez l’emporter chez vous, vous y trouverez sujet à rapporter, il compta les pièces du portefeuille et partit. Le lendemain matin il me fit prier de passer chez lui et là il me lut son rapport et je vous jure que le meilleur ami que vous-même ne vous fussiez exprimé avec plus de bienveillance. Monsieur de Doudeauville me fit expédier ce brevet de charité de 300 fr. avec retenue de 3 %. Heureusement que Mr. Dutremblai, l’ancien receveur de mon arrondissement se trouvait à la maison lorsque je reçus ce brevet car je l’aurais renvoyé sur l’heure tant j’étais indigné de me voir traité moins bien qu’un balayeur de cour après 36 ans de service. Mr. Dutremblai m’arracha ce brevet, l’emporta et ne revint que 6 mois après pour me demander mon certificat de vie et me faire signer la quittance que Mr. de La Porte son ami au trésor de la liste civile, lui avait confiée. Il alla toucher lui-même, me rapporta l’argent en gardant encore le brevet pour me garantir disait-il, d’un coup de ma tête. Eh bien ce même Doudeauville quand il quitta le ministère, fit accorder ma pension de 400 F. à ce Guillard déjà richement rétribué par la société d’encouragement et qui n’avait pas été son chef du bureau des pensions plus de 15 mois et ce ministre passe pour un homme de bien, pour un homme juste et intègre. Mr. Dutremblai qui m’a, à la fin abandonné le brevet m’a fait comprendre que je ne pouvais rien attendre de généreux de cet ex-roi dont le gouvernement occulte avait paralysé le bien qu’avait voulu me faire son frère, et je crois qu’il a raison. J’ai tout dit. ◉◉◉◉ P.S. : à moins que l’on ne veuille compter quelque chose que j’ai été ballotté à l’Institut avec Napoléon, qu’il ne me l’a jamais pardonné, parce que le père éternel ne lui aurait pas persuadé que je l’ignorais et que je ne croyais pas même avoir été porté sur la liste des candidats. A moins qu’on ne veuille compter pour quelque chose et avoir été assez haï par Napoléon pour qu’il ait arrêté tout court le rapporteur du jury en 1802, et observé qu’il fallait donner la médaille d’or à Jappy qui avait trouvé le moyen de faire un mouvement de montre pour 2 fr. et ce rapporteur Costas l’aîné, large sac de digestion, ne sut pas dire un mot, ce fut Mr. de Prony, que je ne connaissais pas qui prit ma défense à laquelle le consul n’eut pas un mot à opposer à moins qu’on ne veuille compter pour quelque chose d’avoir été rayé trois fois par le Corse de la liste de présentation pour la légion d’honneur du temps de Mr. de la Cépède grand chancelier de cet ordre, à moins qu’on ne veuille compter pour un titre d’honneur d’avoir été rayé une 4e fois, lorsque sur les pressantes instances de Mr Duquesnoy, maire de mon arrondissement, Mr. de la Cépède eut la complaisance de m’y porter encore plusieurs années après. Et pourquoi le Corse m’en voulait-il tant ? Il y avait une place vacante à la section de mécanique de la classe des Suisses à l’Institut : mon ami Montaucourt député des Ardennes, lié avec M. M. Perier, Prony, Monge etc. me fit porter sur la liste des présentations sans m’en prévenir. Ce député était aussi fort lié avec La Reveillère Lepeau, membre du Directoire et il allait souvent faire sa partie le soir au Luxembourg, il y trouvait toujours Napoléon qui postulait la place de l’Institut ; mais qui, plus fin que Montaucourt, n’en parlait qu’en tête à tête au lieu que l’autre, franc comme moi, en n’imaginant pas que le Corse y pensât, ne se gênait pas devant lui pour me recommander. Enfin la nomination arrive, nous avons même nombre de voix et il y a ballottage ; Napoléon l’emporte et Montaucourt garde le secret avec moi. Tout cela s’était passé dans le Louvre où l’Institut tenait ses séances et où je demeurais moi-même. Il y avait déjà 3 semaines d’écoulées lorsqu’un matin je reçus une lettre de Verdun renfermant un fragment de journal où l’on disait que j’avais été ballotté à l’Institut avec Bonaparte mais qu’il était naturel que Mars l’emportât sur Janvier. Je riais à gorge déployée de cette tournure lorsque Montau- court arriva. - Eh ! Tu es bien gai Antide, qu’est-ce qui t’es donc arrivé ? - Tiens, Célestin, lis. - Montaucourt pâlit, me prend dans ses bras en pleurant et disant : c’est moi qui t’ai perdu mon ami, cet homme là est corse, il te fera tout le mal qu’il pourra car le père éternel descendrait exprès sur la terre pour lui dire que tu n’en savais rien, que le père éternel ne le persuaderait pas. - Dis-moi donc comment cela s’est fait ? Alors il m’apprit ce que j’ai dit ci-dessus, qu’il avait employé Perier, Prony, Monge et d’autres amis notamment La Revre (La Reveillère) que la veille de la nomination il avait été au Directoire demander s’il y aurait quelque chance de succès pour moi ? Que La Reveillère avait répondu que non, que ce B. (Bonaparte) là ne voulait pas partir pour l’Egypte parce que cela était nécessaire au succès de la mission et voilà pourquoi, et pour être conséquent, les 7 ou 8 premières proclamations publiées en Egypte portaient pour protocole : « Bonaparte membre de l’Institut de France etc. » au lieu de « Bonaparte général en chef etc. ». Montaucourt avant de me quitter ce jour là me répéta qu’il m’avait perdu en croyant m’obliger, qu’il en était au désespoir, mais que je devais désespérer de (ne) jamais rien faire pour cet homme là s’il arrivait au pouvoir. Et qu’eut-il fait de moi s’il avait su que j’avais fait courir ce quatrain le jour qu’il fit ouvrir Notre-Dame ? Aussi grand général que politique habile Sous un dehors modeste ambitieux tyraPour être roi d’Egypte il prêcha l’alcoranPour être roi de France il prêche l’évangile Il m’eut fait périr dans un cul de basse fosse ◉◉◉◉ À RELIRE : la première partie de l'autobiographie d'Antide Janvier. D'AUTRES PAGES RÉCENTESDES ARCHIVES DE BUSINESS MONTRES & JOAILLERIE...