@BASELWORLD 2015 #11 : « Leroy est mort, vive Leroy ! » (les tribulations mécaniciennes d'une marque en quête d'elle-même, mais qui finit par se trouver un destin)...
Le 16 / 03 / 2015 à 05:58 Par Le sniper de Business Montres - 3119 mots
Prenons le pari que Leroy sera une des marques-événement de cette édition 2015 de Baselworld. Question d'influence sur le marché : Leroy prouve que la montre mécanique classique est sauvée si elle sait se ressourcer et se transcender.
▶▶▶ QUINTESSENTIELLEMENT CHRONOMÉTRIQUELeroy, une marque françaisedans une manufacture
Prenons le pari que Leroy sera une des marques-événement de cette édition 2015 de Baselworld. Question d'influence sur le marché : Leroy prouve que la montre mécanique classique est sauvée si elle sait se ressourcer et se transcender.
▶▶▶ QUINTESSENTIELLEMENT CHRONOMÉTRIQUELeroy, une marque françaisedans une manufacture suisseavec un horloger allemand et un actionnaire espagnol : vous suivez ? ◉◉◉◉ LEROY, C'EST D'ABORD UN HOMME, MIGUEL RODRIGUEZ, patron-fondateur du groupe espagnol Festina (ci-contre), qui voue aux montres une passion particulière. Pas seulement aux montres que son groupe vend par millions, mais à toutes les montres – et plus particulièrement aux montres de tradition et de haute horlogerie. Une sorte de complexe d'autodidacte, qui l'a ainsi conduit à investir dans différents ateliers de haute horlogerie (y compris pour la fabrication de spiraux, où il a été visionnaire), mais aussi à racheter une ma marque comme Perrelet et, surtout une référence comme L.Leroy, maison relancée en 1997 par Pascal Courteault (dans le cadre de l'atelier THA, qui a formé quelques horlogers-stars de l'horlogerie). En 2004, L.Leroy a connu une première relance, sans parvenir à trouver un second souffle convaincant. Toujours amoureux de sa danseuse, aussi coûteuse soit-elle [c'est l'avantage des hommes d'honneur : ils sont fidèles !], Miguel Rodriguez a donc décidé en 2014 de tenter une re-naissance, en confiant cette fois les clés de la maison à Olivier Müller, Appenzellois bien connu de l'horlogerie (qui venait de mener à bien le lancement de Laurent Ferrier), et les clés de l'établi à Karsten Frassdorf, Frison non moins bien connu de l'horlogerie, où les initiés savent qu'il est un des quatre ou cinq meilleurs maîtres-horlogers de sa génération... ◉◉◉◉ UN VRAI AMOUREUX NE REGARDE PAS À LA DÉPENSE, surtout quand il s'agit de faire renaître la splendeur et la gloire d'une maison française enracinée au coeur du XVIIIe siècle horloger – ce siècle de toutes les inventions mécaniques, en France et en Angleterre d'ailleurs plus qu'en Suisse. Miguel Rodriguez a donc offert à sa belle une « vraie » manufacture suisse, au coeur de la vallée de Joux (l'ancienne MHVJ : Manufacture horlogère de la vallée de Joux), avec tout son parc machines et ses ateliers, dont une manufacture de spiraux. La France, la Suisse, l'Allemagne, l'Espagne : on reste dans la quintessence méchanicienne de l'Europe la plus horlogère qui soit. Déjà dotée par la volonté du prince d'un immense stand à Baselworld (en binôme avec Perrelet, à l'avant-poste du Hall 1.1, devant l'architecture Hermès), Leroy va donc vivre sa troisième renaissance en quinze ans, mais c'est bien son septième ou huitième sauvetage depuis le XVIIIe siècle ! ◉◉◉◉ IL ÉTAIT TENTANT DE POSER QUELQUES QUESTIONS à Olivier Müller, mais ce sera après avoir noté le nouveau nom de la marque [qui a perdu son « L. » pour des raisons que nous allons expliquer] et sa nouvelle signature, en gardant les deux L affrontés (ci-dessus) : « Maître chronométrier depuis 1713 ». Bigre ! Plus Leroy rajeunit à force de renaître, plus la date de référence vieillit : en 2004, on nous renvoyait à 1785. On nous avait déjà fait le coup de 1751 (Leroy, époque Courteault) ! Il est vrai que personne n'a jamais rien compris à la gymnastique généalogique qui a toujours fait transpirer les historiens de la marque, passée de main en main, et de Leroy en Le Roy (pas toujours proches, ni apparentés), voire en Leroy & Fils, au cours de son histoire, et même dédoublée frauduleusement au cours des deux derniers siècles. Une bouteille à l'encre où la marque s'est perdue. Olivier Müller, le chef d'orchestre de ce retour sur le devant de la scène, s'en explique... Pourquoi « Chronométrier depuis 1713 » ?◉ OLIVIER MÜLLER : Leroy est fondamentalement une marque historique, née et développée en France, mais l'histoire de la maison Leroy est complexe. Plutôt que de nous noyer dans une approche génétique qui tenait de l'impasse, nous avons préféré en revenir aux racines : 1713 est l'année où Julien Le Roy (1686-1759, père de Pierre Le Roy, 1717-1789) a été reçu maître et admis dans la corporation des horlogers à Paris. Donc, 1713 marque à la fois une référence crédible et attestée, mais aussi un positionnement mécanique dans l'art chronométrique. Au cours de son histoire, Leroy n'a jamais été un foyer de complications [par exemple, on ne connaît guère qu'un ou deux tourbillons authentiquement signés Leroy], mais un atelier d'innovations et de perfectionnement dans le domaine de la précision mécanique. Ce qui n'exclut pas des avancées comme la première montre-bracelet automatique historiquement attestée (1922). C'est cette quête de la précision chronométrique qui constitue le fil conducteur de la relance de Leroy... Ce choix de la chronométrie n'enferme-t-il pas la marque dans un certain intégrisme mécanique ?◉ O.M. : Nous avons choisi ce terrain d'exercice, d'une part parce qu'il est actuellement délaissé par les horlogers suisses, qui se soucient beaucoup moins de précision qu'autrefois, alors que les grands collectionneurs adorent les performances dans ce domaine, et, d'autre part, parce que nous avons la chance d'avoir un magicien comme Karsten Frassdorf pour mettre en scène nos ambitions chronométriques. Sa culture de l'horlogerie mécanique époustoufle les meilleurs historiens, sa vision de ce que doit être une manufacture contemporain impressionne dans les ateliers et ses « doigts d'or » nous ont permis de faire un immense bond en avant – le tout en quelques mois. Cette chronométrie, nous allons non seulement la pousser très loin, mais aussi en vérifier les performances, puisque les montres Leroy seront certifiées chronomètre par l'Observatoire de Besançon, référence européenne dans ce domaine. De quelles avancées chronométriques parlez-vous ?◉ O.M. : Au programme des deux calibres que nous avons construit et développé en partant d'une feuille blanche, avec un objectif de rester « 100 % in-house » (y compris pour nos propres spiraux et balanciers) et sans bullshit marketing, nous avons une nouvelle force constante (qui n'est pas un remontoir d'égalité), une seconde morte, un nouvel échappement très spécial, un tourbillon et plein d'améliorations de ce que nous avons trouvé dans l'héritage de Pierre et Julien Le Roy (ci-contre), qui faisaient partie du cercle très fermé des horlogers européens qui ont « inventé » la montre mécanique telle qu'elle fonctionne aujourd'hui (on pense ici à Graham ou Sully). Ils ont notamment fait des recherches fondamentales sur les échappements libres et à détente, ultérieurement étudiés et maîtrisés par des grands noms comme Houriet ou Berthoud (père et fils), qui ont tous reconnu leur dette aux Le Roy – qui sont les vrais « pères » de la chronométrie de marine en Europe continentale. Tous les échappements actuels descendent de ces travaux : on doit notamment à Pierre Le Roy, dont l'apport à l'horlogerie est capital, les premières explications sur l'isochronisme. C'est en comprenant mieux les avancées des Le Roy dans l'art des échappements – et les concepts développés par ceux qui s'inspiraient de leurs travaux – que nous avons réinventé un échappement « duplex » qui est à la fois plus efficace que l'ancre suisse traditionnelle [mais pas du tout plus facile à produire], puisqu'il transmet mieux l'énergie au mouvement, avec moins de contraintes sur les rouages, ce qui améliore par isochronisme la précision de la montre. Nous avons également été inspirés par les travaux de Le Roy – qui avait tout compris, longtemps avant Berthoud – pour limiter les frottements et améliorer la compensation thermique, domaine dans lequel Pierre Le Roy était pionnier [au même titre et à la même époque que John Harrison en Angleterre], ce qui nous a donné l'idée d'un balancier thermo-compensé de nouvelle génération, développé conjointement à notre propre spiral à double courbe terminale. N'entrons pas plus dans les détails techniques, mais il est évident que nous débouchons là sur un terrain qui pose Leroy comme pionnier de la chronométrie, capable d'inspirer, à deux siècles de distance, l'échappement co-axial de George Daniels, qui faisait réfence à un Breguet lui-même nourri des expériences de Le Roy. Nous avons seulement choisi de remonter à la source ! Comment des échappements pour montre de poche pourraient-ils convenir à des montres-bracelets ?◉ O.M. : C'est précisément ce que nous avons réinventé et mis au point. Les horlogers du XVIIIe siècle n'avaient ni les matériaux, ni les machines pour aller jusqu'au bout de leurs idées. Notre manufacture du Sentier est ici un outil précieux, réactif et performant pour mobiliser des équipes au service d'un projet innovant. Pas besoin de nouvelles technologies ou de silicium pour faire mieux que nos prédécesseurs : un nouveau savoir-faire micro-mécanique suffit. Avec un vrai respect de la tradition : nous aurons des palettes en diamant, comme dans les montres historiques de l'époque. Il ne s'agit pas d'aller de l'avant avec le regard fixé sur le rétroviseur : il faut seulement comprendre ce qui s'est fait de mieux à l'époque pour s'en inspirer en allant aussi loin que possible, sans copier les voisins qui, heureusement pour nous, n'ont pas forcément un Karsten Frassdorf sous la main (ci-contre, en pleine opération d'alchimie métallurgique), ni les équipes de la manufacture Leroy du Sentier à leur disposition. Ils n'ont pas non plus un actionnaire comme Miguel Rodriguez, qui comprend les rythmes et les contraintes de la haute mécanique créative. On lui avait promis une vraie consistance chronométrique, avec une vraie réussite esthétique : apparemment, nous avons tenu le pari. Nos montres seront non seulement innovantes, fiables et précises dans la durée, avec des finitions de folie dans la plus pure tradition de la vallée de Joux, mais elles seront également très belles – là, merci à Eric Giroud, star internationale du design horloger, qui a bien voulu se pencher sur le berceau de nos deux premiers bébés... En quelques mots, une présentation de ces deux montres ?
◉ OLIVIER MÜLLER : D'abord, un chronomètre d'observatoire, simple [enfin, presque !], fiable, précis, élégant et totalement exclusif dans un goût qualifié de « néo-classique ». La performance est dans le mouvement et dans l'esthétique, pas dans les détails surdimensionnés qui masquent une certaine pauvreté conceptuelle : on est ici dans un nouveau luxe, plus secrètement statutaire qu'ouvertement ostentatoire. Ensuite, un tourbillon tout aussi innovant (ci-contre : 147 composants pour la cage et du balancier surdimensionné, additionné de beaucoup d'inertie, avec une basse fréquence pour en « poser » l'isochronisme rigoureux), en plus d'une fusée-chaîne et une immense réserve de marche, dans une interprétation qui a épaté les collectionneurs ultra-pointus qui ont déjà vu la pièce. Existe-t-il vraiment un public de collectionneurs pour de telles pièces ?◉ O.M. : la chronométrie est au coeur de notre message et je sais par expérience qu'elle passionne les grands amateurs – qui savent d'ailleurs que cette précision horaire a toujours été liée à l'histoire de Leroy, marque qui avait conçu les appareillages horlogers destinés à caler scientifiquement le signal horaire des observatoires français, bien avant l'invention des horloges atomiques. Certes, ces montres ne sont pas d'une utilité fonctionnelle délirante : ni calcul des battements cardiaques, ni liaison Bluetooth, mais elles sont d'une intelligence folle et d'une ingéniosité sidérante dans leur quête de la précision absolue. C'est de l'art pour l'art horloger, quelque chose comme un défi lancé à la face du temps. On ne prend pas en main ces montres sans éprouver une émotion mécanique très particulière, mais très sensible et généralement instantanée. Une telle montre mécanique est un hypotenseur à base de micro-composants finis à la main. L'effet de fascination est instantané : il calme les angoisses d'un monde dont l'hyper-technicité donne le vertige et il donne l'impression de toucher (par le regard, par la main, par la haute culture ainsi enfermée dans la montre), sinon d'apprécier quelque chose de « vrai », quelque chose de fort et de fondamental. La montre mécanique rassure. La montre mécanique absolue rassure absolument : elle nous renvoie à la nostalgie d'un monde qui n'existe plus et qui nous semble moins angoissant. C'est cet indice de quotient émotionnel que nous mettons en scène. Maître-mot de notre proposition : le retour aux sources ! ◉◉◉◉ BUSINESS MONTRES REVIENDRA ÉVIDEMMENT aussi souvent qu'il le faudra sur les atouts chronométriques ainsi avancés par l'équipe de Leroy et sur la réussite esthétique de montres qui semblent effectivement intemporelles dans leur ambition d'arrêter le temps pour mieux le décompter. On veut prendre le pari que Leroy sera – dans sa catégorie [mais y a-t-il vraimet beaucoup d'autres compétiteurs à ce niveau d'exigence et de rigueur ?] – une des marques-événements de Baselworld 2015, moins par sa prétention à révolutionner le marché que par sa résolution à en influencer durablement le savoir-faire mécanique : avec l'oeil et la main de Karsten Frassdorf, soutenu ici par son actionnaire et par les équipiers en blouse blanche de la vallée de Joux, c'est une tradition historique qui renaît et qui va marquer l'histoire de l'horlogerie pour ce début de siècle. Ce qui n'est déjà pas si mal. On en reparlera... D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTESDE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...