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@BASELWORLD 2015 #22 (accès libre) : Zenith, la manufacture qui pèse lourd quand elle souffle les 150 bougies d'une histoire parfois compliquée...

Mieux qu'un mémoire d'historien commandité ou qu'un pensum de journaliste accrédité pour réciter la bonne parole, un livre d'amateur passionné, de photographe éveillé et de collectionneur avisé : Zenith a trouvé la bonne recette et le bon cuisinier pour le gâteau d'anniversaire où planter ses 150 bougies...   ▶▶▶ LECTURESZENITH, la saga d'une …


Mieux qu'un mémoire d'historien commandité ou qu'un pensum de journaliste accrédité pour réciter la bonne parole, un livre d'amateur passionné, de photographe éveillé et de collectionneur avisé : Zenith a trouvé la bonne recette et le bon cuisinier pour le gâteau d'anniversaire où planter ses 150 bougies...

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▶ LECTURES
ZENITH,
la saga d'une manufacture horlogère étoilée
 
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ZenithDuval-coffret-Businessmontres◉◉ L'AVANTAGE DES LONGS WEEK-ENDS DE PRINTEMPS, c'est qu'on peut y prendre le temps de lire les volumineux volumes qu'on a mis de côté au cours de l'hiver. Les 3,7 kilogrammes du livre édité pour les 150 ans de la manufacture Zenith font partie du lot : pas question [sous peine de divorce] d'en faire un livre de chevet, pas question non plus de le feuilleter négligemment dans les transports en commun ou de l'apporter [sauf pour caler la serviette] sur les premières plages de l'année. C'est la table de travail ou rien ! On se demande d'ailleurs pourquoi Zenith a choisi de lancer cette somme pendant Baselworld, événement par définition nomade et où le monde arrive ou repart en avion ou en train, sans pouvoir s'encombrer d'un tel opus, d'un poids rebutant en bagage accompagné. On aurait pu attendre les beaux jour de mai [au printemps, on voyage plus léger] ou s'en servir pour épaissir une campagne d'avant Baselworld...
 
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Jean-Claude Biver & Aldo Magada◉◉ DONC, POUR COMMENCER, QUELQUES CHIFFRES en plus de ces 3 700 grammes de culture horlogère à haute dose : 450 000 signes [soit 300 feuillets journalistiques, ou 100 000 mots pour les médias américains: l'équivalent de trois SAS pour les amateurs qui ont des lettres], 250 mm x 330 mm pour le format, 440 pages bien tassées en papier 170 g, 650 illustrations (la plupart inédites et hors images traditionnelles de la communication Zenith), un coffret (étui entoilé) pour confirmer qu'il s'agit là d'un précieux objet éditorial. Il fallait bien ça pour fêter le cent-cinquantième anniversaire d'une marque qui aura vendu depuis le XIXe siècle à peu près 10 millions de montres, créé plus de 500 mouvements et accumulé à peu près 2 333 prix d'horlogerie. Ajoutons à cette ardoise algébrique le fait que ce livre a été préparé sous quatre directions différentes de la manufacture – de 1998 (donc avant le rachat par LVMH) à Aldo Magada (ci-contre, à gauche, avec Jean-Claude Biver en dissident au poing rageur), qui a préfacé le livre, en passant par le mirobolant Thierry Nataf et le sémillant Jean-Frédéric Dufour. Deux derniers chiffres sur l'auteur : Joël Duval est l'animateur du célèbre espace horloger francophone Forumamontres, qui fête cette année ses 10 ans et ses 60 000 membres...
 
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◉◉ ENSUITE, L'OBJET ÉDITORIAL, AU MOINS IMPRESSIONNANT PAR SON VOLUME : on appréciera au passage le savoir-faire éditorial [la pure « cuisine » de la pré-production] des éditions Albin Michel, qui ont réussi l'exploit de transformer ce qui aurait pu n'être qu'un banal pensum historique, taillé dans cette langue de bois corporate si prisée des marques de luxe, en un vrai monument de bonne communication – avec des relances, des exergues, des textes bien dosés, un découpage de la matière en multiples fiches discontinues pour une lecture séquentielle, des images bien présentées et tout ce qui peut éviter les habituels et indigestes « tunnels » qui font qu'on referme ces livres de manufacture plus vite qu'on a été tenté de s'y plonger. Les parties techniques (références, mouvements, tableaux sur les calibres, précisions mécaniques) n'encombrent pas la lecture. Côté maquette, on ne regrettera qu'un abus du « noir au blanc » [impression en blanc sur fond noir], qui sont tout de même le comble de l'anti-lisibilité, surtout avec la graisse de la police de caractères choisie.
 
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page+87◉◉ ON RETROUVE LE SAVOIR-FAIRE D'ALBIN MICHEL dans le choix de l'iconographie complémentaire, qui met en scène et fait vivre ce siècle et demi d'histoire de montres plongées dans l'histoire (avec un grand H), ce qui nous vaut une inattendue apparition à l'écran du général de Gaulle aux côtés de Gandhi, de Churchill, de Louis Blériot ou de Santos-Dumont [tiens, tiens !]. Il y aurait une histoire à écrire autour des publicités horlogères de la manufacture Zenith [magistralement représentées dans l'ouvrage], avec des images qui comptent parmi les créatives d'une communication suisse pas toujours imaginative dans ce domaine, mais on ne négligera pas les séquences Art Nouveau (dans le style Mucha : ci-dessus), pas plus que la séquence Lalique ou les pages plus « militaires » de l'histoire de Zenith. Un bémol à ces éloges : un index final n'aurait pas été inutile, surtout avec la multiplication des incises et des éclatés éditoriaux.
 
Joël+Duval+(c)DR◉◉ MAIS C'EST DANS L'APPORT PHOTOGRAPHIQUE PUREMENT ZENITH qu'on appréciera tout particulièrement l'apport de Joël Duval (ci-contre). Il a photographié tout ce qui touchait de près ou de loin à Zenith depuis plus de quinze ans, au point d'en « savoir » plus au sujet de cette histoire et de ces montres que les propres responsables du patrimoine de Zenith. Un vrai régal d'amateur gravement accro à Zenith : le reportage photo dans les soupentes de la manufacture, là où sont encore rangés les outils de posage, de coupe, d'étampage sauvés clandestinement de la mise à la poubelle décidée par la direction américaine, vers 1975 (ci-dessous). C'est grâce à ces outils et au cahier de procédures rédigé alors par Charles Vermot [un horloger de la manufacture, qui désobéissait aux Américains] que le calibre El Primero a pu être sauvé du désastre et relancé ensuite pour équiper les Daytona de Rolex. On remerciera au passage Joël Duval de n'en avoir pas trop rajouté dans la légende – abusivement storytellinguisée dans un passé récent – du sauvetage de ce calibre automatique. Rien de ce qui concernait les six lettres de Zenith n'étant étranger à l'auteur, son regard porte loin, notamment sur les montres de poche d'un héritage lui aussi abusivement centré sur les seules montres-bracelets par la communication contemporaine de la marque...
 
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◉◉ LE COUP DE GÉNIE DES PRÉSIDENTS DE ZENITH est peut-être, in fine, d'avoir fait confiance à un amateur – non historien et non professionnel de la communication – pour rédiger cet ouvrage. Tout le monde fait généralement appel, soit à des historiens commandités par la maison [ce qui donne des « histoires » de marque navrantes, obéissantes et parfaitement barbantes], soit à des professionnels de la communication, tout aussi instrumentalisés [ce qui donne des livres-anniversaires aussi éphémères que l'événement commémoré]. On cherche en vain, dans ces éditions corporate, plus souvent faites pour satisfaire l'égo des présidents que pour servir l'histoire, la moindre étincelle d'inventivité éditoriale, ni le moindre souci de sortir des ornières ultra-fréquentées du discours convenu. La passion personnelle de l'auteur tient lieu ici de fil conducteur et de garantie contre toute dérive outrancièrement marketing. On sent la liberté d'écriture et la liberté du regard photographique – et non la main du responsable de la communication qui pilote l'opération : c'est déjà assez rafraîchissant et inhabituel pour qu'on le signale. L'autre versant de cette écriture désinhibée, c'est la pertinence et l'intelligence du cadrage : pas de zones d'ombres [on peut vérifier que Zenith a vraiment tout tenté, avec des hauts impressionnants, mais aussi des bas vertigineux dans le grand n'importe quoi], mais une mise en perspective cohérente de trois demi-siècles d'existence, sans exécutions sommaires [les années Nataf sont traitées avec pertinence, ne méritant ni l'excès d'honneur octroyé en son temps par les lèche-bottes, ni l'excès d'indignité décrété par la suite] et sans gêne à propos des tâtonnements créatifs ou des retards à l'allumage de la manufacture au cours de son histoire...
 
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◉◉ L'AUTEUR EST UN PEU ELLIPTIQUE – non sans raisons – sur les épisodes peu glorieux d'avant le rachat par LVMH, les années Castella, quand Zenith ne survivait plus, en tant que marque [à des rares exceptions près : celles qu'on met sous le nez des amateurs, mais qui ne correspondent que de loin à la réalité des ventes], que par des montres à quartz vendues à vil prix en Europe et grâce aux commandes des mouvements El Primero réalisés sous pavillon Rolex, dans des ateliers bien séparés au sein de la manufacture. De même, au aurait aimé en savoir plus sur le passage décisif à l'horlogerie industrielle qui a fondé les bases de la manufacture telle qu'elle existe aujourd'hui : Zenith est ici emblématique de ce virage pris par la Suisse horlogère dans la seconde moitié du XIXe siècle, alors que les usines américaines avaient décidé de démocratiser les objets du temps. C'est grâce à des maisons comme Zenith que les beaux-arts de la montre sont sortis des ateliers artisanaux dispersés dans les vallées pour se fondre dans des établissements « modernes, où l'impératif de productivité l'emportait sur les règles de bienfacture. Ce changement des règles du jeu, notamment impulsé et démontré par l'histoire de Zenith, est absolument fascinant – d'autant qu'on en discerne encore les traces architecturales dans l'organisation même de l'actuelle manufacture...
 
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◉◉ « L'HISTOIRE DE ZENITH REPOSE SUR LE PASSÉ, S'ÉCRIT AU PRÉSENT ET SE CONJUGUE AU FUTUR » : une précision grammaticale importante trouvée dans la postface de Jean-Claude Biver, en fin d'ouvrage. La rhétorique est facile, mais elle tombe juste : l'histoire de Zenith ne se comprend pas sans un aller-retour permanent entre le (dé)passé et le présent. Elle réside précisément dans la tension entre une aventure (mouvementée) et un destin (par nature indéchiffrable dans l'instant présent). Le livre de Joël Duval est une brique de cette histoire à chaux et à sable. C'est un pont jeté entre un hier chaotique et un demain imprévisible : on s'aperçoit que l'étoile de Zenith a d'autant plus brillé que l'horlogerie suisse flamboyait et qu'elle pâlissait quand cette industrie s'étiolait. Zenith est une marque-baromètre dans le paysage horloger : le livre de Joël Duval est un photon bourré d'énergie dans ce continuum spatio-temporel étalé sur cent-cinquante années d'une vie qui n'a souvent tenu qu'à une réflexe de survie. C'est déjà beaucoup d'avoir survécu en tant que manufacture – incontestable et incontestée – autant que comme marque. Cet ouvrage peut constituer, en dépit de son poids et de ses dimensions, une bouée de sauvetage dans les convulsions possibles de ces prochaines années... 
 
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 ZENITH, la saga d'une manufacture horlogère étoilée, de Joël Duval (éditions Albin Michel, 448 p., 100 euros – il existe une édition en anglais – les illustrations de cette page sont des double pages de l'ouvrage)
 
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