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AUTOMNE 2015 : Les trois raisons qui font de Jean-Claude Biver l'homme-clé de cette rentrée horlogère...

Très sollicité, disert quoique cachottier, le porte-parole international (officieux) de l'horlogerie suisse aimante les micros en battant les estrades. Il faut le surveiller d'autant plus près qu'il a décidé d'intervenir sur trois des méridiens les plus névralgiques de la recomposition qui s'annonce... ▶▶▶ SUPER-BIBI ?« Télévangéliste fromager » ou pionnier inspiré d'un nouveau cycle ? ◉◉◉◉ QUE …


Très sollicité, disert quoique cachottier, le porte-parole international (officieux) de l'horlogerie suisse aimante les micros en battant les estrades. Il faut le surveiller d'autant plus près qu'il a décidé d'intervenir sur trois des méridiens les plus névralgiques de la recomposition qui s'annonce...

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▶ SUPER-BIBI ?
« Télévangéliste fromager »
ou pionnier inspiré d'un nouveau cycle ?
 
◉◉ QUE DE FOIS NE L'A-T-ON PAS DIT CUIT, FICHU, RINCÉ, RINGARD, hors course, vidé et mûr pour la retraite ? Qui n'a pas guetté chaque de ses nouveaux numéros en se demandant si ce n'était le dernier round ou le combat de trop ? Pourtant, que d'obstacles n'a-t-il pas surmonté et combien de fois n'est-il pas remonté en selle après un échec ? À se demander s'il n'est pas inoxydable, ce Jean-Claude Biver devenu grand féodal horloger du groupe LVMH auquel il a promis de redresser la barre, de reconquérir le terrain perdu et les bouter les déficits hors des comptes du groupe. On imaginait Hublot périclitant sans lui : avec un Ricardo Guadalupe transfiguré par un costume managérial dont on prétendait qu'il ne lui allait pas vraiment, la marque ne s'est jamais aussi bien portée, en accumulant ces derniers mois les meilleurs mois de son histoire déjà trentenaire. On considérait déjà « Bibi » comme le naufrageur de Zenith : il a pris son temps, mais la relance de la marque sur des bases limpidement restructurées prouvera bientôt que Jean-Claude Biver a encore de la ressource. On a fait de TAG Heuer un trop gros morceau pour Jean-Claude Biver, qui aurait vu à la fois trop grand et trop vite dans les coupes claires infligées à la marque : les résultats récents de la marque prouvent que la « mayonnaise Biver » commence à prendre, lentement certes, mais sûrement, et beaucoup plus sur ses nouveaux marchés et sur la base de ses nouvelles ambitions qu'auprès des vieux « amis de la marque », toujours un peu ronchons...
 
◉◉ ON EN PRENDRA POUR PREUVE UN PASSAGE CHEZ KIRCHHOFER, à Interlaken, où TAG Heuer a connu 92 % de croissance commerciale depuis le début de l'année ! C'est-à-dire depuis la reprise en main par Jean-Claude Biver. Interlaken : c'est la Chine en Suisse – rappelons que 130 des 260 vendeurs de Jürg Kirchhofer sont de langue maternelle chinoise, en plus d'une dizaine d'Européens mandarinophones. Pourquoi parler d'Interlaken ? Parce que TAG Heuer « ne plantait pas un clou » (ou si peu) auprès des amateurs chinois au cours de ces dernières années, en dépit d'un carpet bombing marketing des plus coûteux. Bien entendu, on partait d'un effet de base très bas, qui fait relativiser ces 92 % – mais les livres de Jürg Kirchhofer sont formels. Donc, voici que ce public chinois se réveille, grâce à une nouvelle offre, un nouvel environnement de marque et des nouveaux prix. À Paris, pour des raisons qui ne sont pas sans rapport avec Interlaken, la boutique TAG Heuer des Champs-Élysées a surperformé cet été : hasard ? C'est là qu'il faut s'interroger sur la nouvelle cuisine TAG Heuer à la sauce Biver. C'est là qu'on découvre que « Bibi » a décidé de (re)prendre en main le destin de la marque et de jouer sur les trois cordes stratégiques les plus sensibles du moment. Trois options dont il entend faire un vecteur de renaissance. C'est là que l'analyse du système Biver peut intéresser toute la planète horlogère – du moins ceux qui ont envie de survivre et qui refusent de s'abandonner au fatalisme et au déclinisme ambiant [nous nous focalisons ici sur le dossier TAG Heuer, mais on ferait le même constat avec le dossier Hublot]...
 
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◉◉ PREMIER « MÉRIDIEN » (ON PARLE D'ACUPUNCTURE MARKETING) mobilisé comme option stratégique : le repositionnement vers des prix plus accessibles. Il ne s'agit pas, nous jure Jean-Claude Biver, d'un repositionnement formel [c'est vrai, le prix moyen de l'offre n'a guère été tiré vers le bas que de quelques centaines de francs, et encore !], mais d'un recentrage du coeur de cette offre et d'une reformulation du message global de la marque. Tout le monde admet que le prix des montres suisses a bêtement pris l'ascenseur quand les revenus de ses clients traditionnels restaient scotchés au rez-de-chaussée. Toute la question est désormais de savoir comment baisser ces prix sans perdre la face et sans dévaluer les dix-huit mois de stocks qui alourdissent le bilan des filiales et des détaillants. Jean-Claude Biver a choisi d'agir sur les produits autant que sur la communication : TAG Heuer fait désormais la promotion des montres accessibles [celles qui se vendent], pour lesquelles on a repensé des prix d'accès plus accessibles. La cible reste clairement aspirationnelle : les jeunes qui ont à coeur de réussir dans la vie [alors que les marques suisses ciblent plus généralement les vieux qui ont déjà réussi dans la vie : c'est plus chic, mais moins riche d'avenir !]. Objectif clair : reconquérir les classes moyennes – c'est moins glamour, mais plus re-créateur de volumes profitables que les montres de milliardaires ! Les vecteurs restent générationnels : le sport, la musique et tout ce qui peut désembourgeoiser TAG Heuer, sans jamais cesser de rester accessible [le prochain chrono-tourbillon mécanique – ci-dessus – à moins de 15 000 CHF prouvera qu'on peut rester accessible dans tous les segments de marché]. L'image doit coller à la proposition de qualité suisse de la marque : d'où les couches de suissitude inlassablement repassées pour repeindre chaque événement de la marque (le glacier de la Jungfrau : Business Montres du 1er septembre, le fromage d'alpage et tout le reste, montagne, cor des Alpes et touche canine avec les saint-bernard griffés TAG Heuer). Chez Hublot, qui surfe sur la même tendance, on parlerait pour cette première approche des nouvelles collections Classic Fusion, qui créent une nouvelle offre accessible sans compromettre le coeur de l'offre Big bang (autour de 20 000 euros)...
 
◉◉ DEUXIÈME MÉRIDIEN DE CETTE DYNAMISATION NÉVRALGIQUE : la montre connectée. Elle est déjà prête et visible (fonctionnante) au poignet de Guy Sémon. Elle sera effectivement lancée début novembre – les stars de Google et d'Intel seront de la fête – et livrée dans les boutiques à cette date. Elle ressemble à un vraie TAG Heuer [presque impossible de ne pas la confondre avec la TAG Heuer 01 présentée à Baselworld] et elle sera purement digitale, avec un « écran » (on ne parle plus de cadran) blufflant tellement il est réaliste en version analogique [on devrait pouvoir y afficher des phases de lune et d'autres fantaisies qui calmeront les talibans de la mécanique]. Pour l'instant, c'est la première riposte digne de ce nom de l'horlogerie suisse : si on peut regretter qu'elle vienne un peu tard, cette montre connectée TAG Heuer Wearable a au moins le mérite d'exister comme contre-défi global à l'Apple Watch. Il ne s'agit pas de proposer un simple traceur d'activités [option dépassée depuis que le marché des bracelets connectés explose parallèlement à celui des montres], mais une vraie montre. Elle est ronde et elle ressemble à une monde [comme quasiment toutes les smartwatches de nouvelle génération], elle est compatible Android et iOS [idem] et elle sera probablement transformable en montre purement mécanique si le porteur se lasse de l'hyperconnexion [mêmes cotes pour les boîtier]. Tout ce qu'on espère, c'est que les fonctionnalités captives annoncées (dédiées au sport, à l'art et à la musique, piliers de l'identité TAG Heuer) seront à la hauteur. Chez Hublot, l'option technologique ne privilégie pas (encore ?) les montres connectées, mais se porte sur les équipements électroniques d'avant-garde dont nous entendrons parler à Baselworld, en 2016.
 
 
 
◉◉ TROISIÈME MÉRIDIEN : LA VOLONTÉ DE CASSER LES CODES. En bon lecteur de Lampedusa, conservateur par nature, mais libertaire par tempérament, Jean-Claude Biver sait que c'est en « changeant tout » qu'on fait en sorte que rien ne change. Toute sa vie, par principe ou par nécessité, il a opté pour la pensée en dehors des clous t l'action en marge du courant dominant. Pour lancer Blancpain, il avait osé ostraciser le quartz (mainstream à l'époque) de son offre. Chez Omega, il avait préempté James Bond auquel plus personne ne pensait [et surtout pas les enquêtes marketing qu'on aurait pu mener]. Il a sauvé Hublot sur la base d'un récit – la « fusion » – auquel personne ne voulait croire, hormis les amateurs. Chez TAG Heuer, il persiste et signe : son chrono-tourbillon mécanique à moins de 15 000 euros va décoiffer tout l'établissement horloger, qu'il va obliger à repenser son offre. De même, pour sa montre connectée, il casse le tabou du Swiss Made intégriste [il sera intéressant d'étudier les réactions et les retombées]. Pour séduire la jeune classe moyenne chinoise, il organise un concert pour blogueurs chinois sur le glacier de la Jungfrau (ci-dessus) : personne n'avait encore tenté le coup ! On pourrait aussi mettre à son actif l'obsession du prix d'accès à la marque, préoccupation jugée vulgaire par les grandes maisons : il sait à quel point cet accès est, historiquement, une des composantes les plus attractives de l'identité TAG Heuer [déjà, dans les années 1990, quand il pilotait Omega, il avait TAG Heuer dans son collimateur]. Pour ce qui est de casser les codes, Hublot s'y entend depuis les origines, en fusionnant or et caoutchouc, luxe et football, ou mécaniciens antiques (Anticythère) et Magic Gold sous pression...
 
◉◉ CES TROIS THÈMES DE TRAVAIL NE RÉSUMENT PAS la démarche de Jean-Claude Biver, mais ils sont à la base des réflexions de toute l'horlogerie suisse pour assurer son devenir, sinon son avenir. C'est uniquement avec des montres créatives et accessibles que la Suisse horlogère pourra trouver la voie d'une résistance aux montres connectées des géants de l'électronique. C'est en cassant ses propres codes que cette industrie trois ou quatre fois centenaire parviendra à se replacer dans l'air du temps, quand le reflux du flicage individuel, acté par l'hyperconnexion de tous à tout commencera à lasser tout le monde. On peut sourire du « télévangéliste fromager », mais heureusement qu'il est là pour faire le job !
 
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