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MERCATO (accès libre)
Breitling s’offre un nouveau propriétaire dépourvu de toute expérience horlogère

Ce n’est donc pas le groupe Kering qui rachètera Breitling, comme la rumeur suisse l’affirmait, ni d’ailleurs aucun autre groupe horloger. Encore moins le groupe Rolex, comme le murmuraient certains « experts » après le développement conjoint d’un mouvement entre Breitling et Tudor. Ce ne seront pas non plus les investisseurs chinois qui rôdaient autour d’une des dernières grandes marques indépendantes. C’est finalement un fonds d’investissement anglo-américain basé au Luxembourg qui l’emporte. Pour le meilleur ou pour le pire ?


 Les lecteurs de Business Montres savaient depuis la fin de l’année dernière (notre édition du 30 novembre 2016) que Breitling était à vendre et que la transaction se ferait après Baselworld, avant l'été, mais qu’il ne fallait sans doute pas compter sur le groupe Kering pour la mener à bien (l’article faisait le point complet sur la situation). Autant dire que nous avons depuis surveillé de près le lait qui bouillait dans cette casserole, sachant qu’il fallait se méfier des « rumeurs de ceux qui parlent sans savoir » et des « humeurs de ceux qui savent sans parler ». Autant avouer que le communiqué d’annonce officielle du rachat de Breitling par le fonds d’investissement CVC Capital Partners ne nous a pas ému outre-mesure : grâce à son bureau français, qui a mené l’opération en liaison avec les services financiers d’Altium, à Zurich, CVC Fund VI – un des satellites de CVC Capital Partners – s’arroge 80 % des parts de l’entreprise, dont Teddy Schneider, l’ancien propriétaire (représentant de la famille Schneider), conserve 20 % à titre personnel.

 Le montant de la vente n’a pas été publié, mais on peut l’estimer au-dessous des 850 millions de CHF demandés par les héritiers Schneider : il devrait se situer autour des 650 millions pour les 80 % du capital, un accord ayant été passé pour la dévolution progressive des 20 % du capital, en fonction de la conjoncture économique et des performances de l’entreprise. La manufacture Breitling, qui compte encore 900 personnes, continuera dans un premier temps à être dirigée par Jean-Paul Girardin. Compte tenu de son chiffre d’affaires (estimation Business Montres : autour des 390 millions de CHF pour une production de 130 000 montres), l’entreprise se trouve ainsi valorisée à moins de deux fois son chiffre d’affaires et à moins de dix fois son résultat annuel supposé.

 Cette transaction, qui est probablement une bonne affaire pour Kering [qui n’a pas voulu la mener à bien, compte tenu de différents facteurs de risques] est-elle une bonne affaire pour CVC Capital Partners, dont les différents véhicules d’investissement gèrent un total de 43,8 milliards d’euros (54,2 milliards de dollars), dont 10,9 milliards d’euros pour le seul Fonds VI ? On l’espère pour les 900 employés, qui sont manifestement en sureffectifs, mais on a tout de même des doutes : une restructuration imposera de toute façon de tailler dans la masse salariale et dans le fabuleux train de vie des dirigeants, notamment l'ancien actionnaire de référence. Non que Breitling soit, en soi, une « mauvaise affaire » : la marque était plutôt récemment sur la bonne pente, même si elle n’avait pas encore tout-à-fait « digéré » sa verticalisation. Il est cependant évident que la marque a partiellement loupé sa mondialisation [ce qui lui laisse un joli potentiel de croissance sur différents continents] et la verticalisation de sa distribution, qu’elle a totalement oublié de se digitaliser [elle a toujours été on ne peut plus réticente au e-commerce et ombrageusement méfiante vis-à-vis des réseaux sociaux] et que toute sa communication, comme ses relations avec ses clients, restent à rebâtir – sans parler de l’indispensable modernisation de son catalogue produits…

 Ce qui fait beaucoup de chantiers pour une équipe de direction un peu fatiguée et nettement usée par les incertitudes de ces dernières années. Ce qui fait aussi beaucoup d’investissements à consentir pour remettre à flot un grand paquebot qui fut une des plus belles marques suisses : la comparaison entre les performances respectives de Breitling face à TAG Heuer, Longines, Omega ou même Rolex au cours de ces vingt dernières années est accablante ! Quand tout le monde croissait, Breitling stagnait et se faisait « chiper » ses parts de marché par des outsiders comme Bell & Ross, qui ont totalement capté et détourné à leur profit l'imaginaire Breitling. Bon courage, messieurs les financiers, vous qui semblez à peu près dépourvus de toute expérience dans l’univers de la montre et qui n'avez jamais géré d'entreprise horlogère !

 Et le partenariat Breitling-Tudor dans cette affaire ? Bien malin qui peut dire quels sont les accords précis passés entre Tudor [qui travaille depuis plusieurs années sur ce dossier] et Breitling pour la production conjointe de chronographes. Et bien malin qui est aujourd’hui en mesure d’en faire un décodage stratégique pertinent, tant du point de vue des intérêts de Breitling que du point de vue « industriel » du groupe Rolex : nous y travaillons, affaire à suivre, donc…


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