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ROCK’N’HORL 2019 (accès libre)
Cette affaire d’avion Breitling posé sur le mont Blanc est un vrai régal de gourmet

Quand on pose les bonnes questions, on obtient généralement les bonnes réponses. Se demander ce que fichait cet « avion Breitling » posé sous le sommet du mont Blanc a quasiment déclaré une guerre aérienne entre la France et la Suisse, tout en révélant les dérives horlogères d’un « marketing d’influence » mal compris et les ravages médiatiques du déni de réalité sur les réseaux sociaux…


On peut déjà commencer à débriefer cette affaire d’« avion Breitling » posé mardi matin sous le sommet du mont Blanc et en tirer de savoureux enseignements, tant du côté horloger que du côté médiatique, l’affaire ayant bénéficié d’une fantastique couverture internationale, aussi bien dans les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux. Que peut savoir aujourd’hui de cette affaire, dont les enseignements méritent vraiment le détour ?

❑❑❑❑ LA MARQUE BREITLING N’EST POUR RIEN dans cette épopée ridicule ! Informée par Business Montres dès mercredi matin, la direction de Breitling tombe des nues. Alors que la polémique commence à enfler dans les médias [plus d’une cinquantaine de titres et de sites ont finalement repris l’information], Georges Kern secoue les puces de son équipe et vérifie tout ce qui peut l’être : seule certitude, Breitling n’a rien à voir avec ce posé sauvage sur le mont Blanc. En revanche, c’est bien une peinture Breitling « officielle » qui décore l’avion, mais elle est le souvenir d’une ancienne opération de « marketing d’influence » tentée par l’ancienne direction de Breitling voici plus de dix ans, sur le thème « On vous offre la peinture de l’appareil en échange du nom de la marque ». Bref, la peinture de l’« avion Breitling » qui s’est livré à cette déplorable pitrerie montagnarde était bien une peinture « officielle », mais c’était celle de l’ancien monde Breitling, pas de la nouvelle orientation de la marque. À la place de Georges Kern, on ferait repeindre tous les fuselages de ces dangereux ex-influenceurs…

❑❑❑❑ UN « AVION BREITLING » S’EST BIEN POSÉ sous le sommet du mont Blanc, en zone interdite et sans la moindre autorisation, à l’endroit indiqué par les gendarmes du PGHM, où il a d’ailleurs été photographié ce matin-là par un alpiniste (voir, sur la page de Skitour, la randonnée rapportée par Laurent Leemans : images ci-dessus et ci-dessous). Tous ces faits sont correctement rapportés par la journaliste du Dauphiné Libéré, Maëlle Le Dru, correctement citée par Business Montres (18 juin), qui n’avait pas d’autre intention que d’attirer l’attention de la communauté horlogère sur ce fait-divers [sachant que Breitling avait déjà quelques enfumages médiatiques à son actif : voir la conclusion de notre précédent article]

❑❑❑❑ CET « AVION BREITLING » EST BIEN SUISSE : ce Piper Super Club PA-18-180M, immatriculé HB-PIC et daté de 1982, est un avion privé, qui appartient au groupe des pilotes de montagne de l’Aéro Club de Genève, lequel est propriétaire (voir le Registre matricule des aéronefs suisses). Cet Aéro Club s’est fendu d’un communiqué emberlificoté pour expliquer que son avion s’est bien posé dans le massif du mont Blanc, mais à l’endroit où il a été photographié et verbalisé par les gendarmes du PGHM. « Aucune “dépose” n’est effectué par l’Aéro Club », a-t-on précisé de source genevoise – sauf que deux Suisses – ce Piper est un biplace – ont bel et bien été surpris sur place, en tenue de montagne, avec des cordes et des piolets, en train de terminer leur course vers le mont Blanc – leur identité a été relevée, dont celle du pilote. À moins de prendre en compte l’hypothèse d’un détournement d’avion, la communication de l’Aéroclub de Genève semble aussi loupée qu’embarrassée…

❑❑❑❑ CET « AVION BREITLING » EST UN FANTASTIQUE RÉVÉLATEUR des dérives contemporaines de la machine à informer. Cette affaire, somme toute mineure, illustre parfaitement tant les dangers du « marketing d’influence » et que les effets d’une communication de crise bien ou mal maîtrisée. Elle révèle aussi l’incroyable propension des acteurs de cette machine à informer au déni de réalité, selon des mécanismes psychologiques qui ont fonctionné ici de façon quasiment parfaite, comme on va le voir ci-dessous.

❑❑❑❑ UNE DÉRIVE DU MARKETING D’INFLUENCE : l’ancienne direction de Breitling (dix ans avant l’arrivée de Georges Kern aux commandes) avait cru bon de repeindre quelques fuselages, notamment en Suisse. Pour le prix d’une page de publicité dans un grand magazine, la marque bénéficiait d’une exposition aérienne toute l’année et, selon certains contrats, d’heures de vol à sa disposition sur de nombreux appareils. Génial pour un storytelling aérien ! Parfait pour se poser en « influenceur » du ciel, mais on comprend vite les limites de l’opération, d’une part quand la marque  réoriente son marketing vers d’autres sports et se dépositionne partiellement de son pré-carré aéronautique [ce qui est le cas actuellement] et, d’autre part, quand l’avion ainsi repeint contrevient à la common decency aéro-montagnarde. Pour prendre un exemple extrême de scénario catastrophe, que se passerait-il si un de ces « avions Breitling » était détourné pour s’écraser sur le SIHH : quelle serait l’ampleur des dégâts d’image ? Bref, si cette « peinture Breitling officielle » relève à présent du souvenir malencontreux, c’est aussi que l’ancienne direction de Breitling, toujours encline à se prendre les pieds dans le tapis, a vu son initiative tourner au désastre, avec des « influenceurs » [dépositaires incontrôlés de l’image de la marque] capables du pire en oubliant le meilleur…

❑❑❑❑ UNE SENSIBILITÉ SOCIÉTALE EXACERBÉE : cette affaire de l’« avion Breitling » fait vibrer plusieurs cordes sensibles dont la résonance tourne au vacarme symphonique. Retenons, par exemple, la portée mentale symbolique du mont Blanc, plus haut sommet français à présent encombré de « touristes » indécents ; le rappel d’une éthique montagnarde un peu oubliée, mais très présente dans les cultures locales ; le souci écologique de préserver la nature des atteintes de la civilisation [c’est pour cette raison que les vols en altitude sont hyperréglementés] ; la décence commune face aux excès de l’argent et aux caprices des riches [la caricature du milliardaire qui se fait déposer à 400 mètres du sommet pour s’éviter une pénible marche d’approche] ; l’irritation française, notamment celle des élus alpins, face à une certaine insolence suisse [l’avion immatriculé à Genève et repeint aux couleurs d’une marque de luxe]. Le tout mis bout à bout rendait cette information hautement déflagrante et les médias ont accéléré l'emballement. Moralité : on ne joue pas impunément avec les affects d'une communauté...

❑❑❑❑ UNE DÉMONSTRATION DU DÉNI DE RÉALITÉ : l’irruption de cet « avion Breitling » sous le mont Blanc est une passionnante démonstration du fonctionnement désormais classique de la « machine » médiatique, qui fonctionne comme une machine à enfumer les opinions publiques...

• D’abord, on nie : il ne s’est rien passé et c’est la faute de journalistes, circulez, il n’y a rien à voir – c’est l’attitude de l’Aéro Club de Genève et de certains réseaux sociaux. Les ravis de la crèche nous ont répété, par exemple, que l’image de l’« avion Breitling » datait de plusieurs années [voir plus haut], que le pilote était un professionnel à toute épreuve, donc insoupçonnable, que ces informations n'étaient pas vérifiées ou qu’il était par principe scandaleux de faire du bad buzz à ce sujet. Sans procéder soi-même à la moindre investigation, on reproche à ceux qui rapportent les faits de ne pas procéder personnellement à de longues investigations...

• Après, on minore l’affaire pour créer de la confusion : l’avion s’est bien posé pas loin, mais pas là ; peut-être qu’il avait le droit d’être là, puisque ce qui n’est pas interdit est parfois autorisé ; peut-être que les deux Suisses ne voulaient pas escalader le mont Blanc (le témoignage de Laurent Leemans et des gendarmes est ici accablant) ; peut-être que, même si c'est un peu vrai,  ce n’est pas si grave que ça... 

• Vient ensuite le réflexe classique de l’imbécile qui regarde le doigt, et pas la lune : c’est encore un sale coup de Business Montres, qui ose citer Le Dauphiné Libéré en reliant Breitling à cette affaire, c’est la faute des « chasseurs de scoops sans moralité » (sic) et c’est particulièrement vicieux de poser des questions à Breitling à ce sujet, mais c'est probablement parce qu'on a une haine cachée contre Breitling [on a frôlé de peu le point Godwin]

• Enfin, quand on a bien enfumé tout le monde et que les faits ont, une fois de plus, fait la preuve qu’ils étaient obstinés et têtus, on oublie tout pour passer à autre chose et on se garde bien de tirer la moindre leçon de cet épisode alpino-horloger…

❑❑❑❑ UNE CRISE DE LA COMMUNICATION DE CRISE : deux attitudes différentes dans cette affaire. D’une part, Breitling qui se fait questionner sur une histoire qui met effectivement en cause la marque, mais dont la direction ne sait visiblement rien : Breitling qui regarde, qui analyse, qui constate et qui explique clairement que la marque n’est pour rien dans cette histoire. Ce qu’il est possible de vérifier et ce qui éteint aussitôt l’incendie [quand on se souvient de la gestion désastreuse du sauvetage bidonné en Alaska, on voit qu'il y a eu du changement chez Breitling]. D’autre part, l’Aéro Club de Genève qui s’enfonce dans le déni de réalité, qui trouble plus qu’il ne rassure par la maladresse de son communiqué et qui se trouve démenti par les faits (témoignage et images d’un alpiniste, constat des gendarmes du PGHM) sans pouvoir opposer de contre-récit crédible aux soupçons des uns et des autres. Un Aéroclub qui n’a pas compris la portée hautement symbolique de cette intrusion d’un de ses appareils au sommet du mont Blanc; un Aéro Club suisse qui répond de travers, avec des arguments faussement factuels, à un réquisitoire très émotionnel structuré par des archétypes très prégnants. Faute lourde sur toute la ligne…

Il semble maintenant temps de refermer e dossier de cette affaire d’un « avion Breitling » garé sous le sommet du mont Blanc. Attention, une affaire peut en cacher une autre : il n'y a plus d'affaire Breitling [et c'est tant mieux !], mais il y a maintenant une vrai affaire Aéro Club de Genève – mais elle ne nous regarde plus. On a la réponse aux questions posées : qu’est-ce que l’avion faisait là ? La marque Breitling était-elle pour quelque chose dans cette histoire ahurissante de deux Suisses qui prennent un raccourci pour se faciliter la vie ? La parole est maintenant à l’instruction du dossier et à l’enquête des gendarmes français. On se délecte par avance ce qu’ils vont trouver et ça ne fera sans doute pas plaisir aux ravis de la crèche horlogère…


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