LE SNIPER DU MERCREDI (bloc-notes en accès libre)
Des élus genevois se décident enfin à adopter un « programme horloger » – enfin pas tous…
Second Sniper de l’année 2023 : on va donc vous parler, entre autres, de figurines couronnées « à la manière de », d’un programme politique très horloger et très convaincant, d’un âge moyen seniorisé et une compilation secondaire de tout premier plan – on en oublie, mais vous retrouverez tout ce petit monde dans les notes ci-dessous. Bloc-notes ? L’excellent Sylvain Tesson nous prévient : « Les blocs-notes sont des coups de sonde, des carottages donnés dans le chatoyant foutoir du monde ». Bloc-notons donc…
PROGRAMMATION (1)…
Dans un passé récent, Business Montres a trop critiqué les responsables politiques genevois qui n’avaient pas de « programme horloger » pour ne pas se réjouir de voir Pierre Maudet, l’ancien maire de la ville de Genève, par ailleurs ancien président du Conseil d’État de Genève, prendre résolument parti à ce sujet. Son mouvement politique, Libertés et Justice sociale, se prononce ainsi clairement pour la création d’un musée de l’horlogerie, dont il est à ce jour le seul défenseur affiché – on se demande pourquoi l’idée d’un tel musée fait peur à tous ceux qui se gargarisent à propos de « Genève, capitale mondiale de l’horlogerie » sans jamais lever le petit doigt pour que ce concept s’enracine. Proposition programmatique de Pierre Maudet, qui sera donc défendue pendant la campagne cantonale qui s’ouvre d’ici au 2 avril prochain (élections du Grand Conseil et premier tour de l’élection au Conseil d’État) : « Le canton lance en 2025 une campagne dynamique de repositionnement de la marque “Genève“ autour de l’horlogerie, entre passé, présent et avenir, avec des événements phare, l’ouverture d’un musée dédié, le lancement d’une pépinière de la créativité horlogère pour les jeunes horlogers (avec les HES) et le développement d’un « Mondial de l’Horlogerie », à savoir un salon associant grandes et petites maisons, tourné aussi bien vers le public que les professionnels » (source et argumentation complète : site de Libertés et Justice sociale ).
PROGRAMMATION (2)…
Rien dans ce programme horloger qui puisse nous choquer, mais, au contraire, une sympathique convergence vers des propositions déjà formulées ici même à plusieurs reprises. Pierre Maudet précise ses intentions concernant ce musée : « Un Musée de l’horlogerie est créé dans le bâtiment du Musée Rath, rénové intégralement en 2009, qui est aujourd’hui sous-exploité (5 mois d’ouverture en 2022) et sans véritable vocation muséale autre que d’accueillir des expositions temporaires destinées à rejoindre le nouveau MAH à l’horizon 2030. Il sera cofinancé par le secteur public et des acteurs privés, permettra d’exposer les collections prestigieuses que détient la Ville de Genève et qu’elle n’expose plus depuis le cambriolage de 2002, à Malagnou. Ce musée dédié sera accompagné d’un réaménagement piéton de la Place Neuve en surface (demandé en 1998) qui valorisera le patrimoine culturel genevois en bordure et permettra l’implantation d’un monument emblématique en l’honneur de l’horlogerie, ainsi qu’une extension en sous-sol pour le musée. L’attractivité de Genève est tributaire de sa capacité de fédérer des publics locaux et étrangers autour de ses atouts traditionnels et constitutifs de la marque très forte que représente son nom. Cette marque “Genève” est étroitement liée au développement des arts et métiers de l’horlogerie. Il apparaît opportun aujourd’hui de fédérer ses acteurs publics et privés autour d’un projet permettant d’aimanter les énergies et de mutualiser les efforts de communication. Un programme complet, sur quatre ans (2024-2028), sera déployé sous l’égide des pouvoirs publics et des fondations privées investies à Genève, pour donner un rythme nouveau à l’attractivité de la cité, par l’entremise d’un budget pluriannuel spécifiquement dédié ». On attend maintenant des autres candidats et têtes de liste aux prochaines élections genevoises qu’ils se prononcent clairement sur la mise en orbite de ce musée horloger et qu’ils émettent d’aussi excellentes idées pour épauler concrètement l’horlogerie genevoise (pépinière pour les jeunes créateurs, élargissement du salon de printemps, etc.). S’ils manquent d’imagination, nous avons quelques propositions à leur suggérer…
PRÉSENTATION…
Quelle sera la première marque à ne pas patienter jusqu’à la traditionnelle Wonder Week (les salons horlogers du printemps) pour présenter ses nouveautés 2023 ? Rappelons que cette Wonder Week concerne au mieux une centaine de marques, alors qu’on en dénombre cinq à six fois plus dans tout l’Ouest horloger européen. Pour l’instant, c’est une marque du Swatch Group qui tient la corde, avec une présentation organisée au Bellucci Ristorante de Zurich par la maison Hamilton, dès le 24 janvier prochain [le Swatch Group a laissé ses marques libres de choisir leurs interventions 2023 où elles veulent – pourvu que ce ne soit pas à Genève !]…
APPROXIMATION…
Dans notre dernier Baromontres, nous indiquions que le marché secondaire – les montres de deuxième main – devrait dépasser le marché des montres neuves dans l’année qui vient (à propos de Jean-Frédéric Dufour et de Rolex : Business Montres du 31 décembre). C’est un raccourci un peu sommaire et certainement hâtif : en prenant en compte le prix public (et non le prix export) des montres neuves, le croisement des courbes ne devrait pas se faire avant deux ou trois ans. Une approximation qui rend absolument nécessaire un rapport d’intelligence économique sur ce sujet. Le prochain rapport de LuxeConsult (le bras séculier du consultant Oliver R. Müller) sur le marché secondaire de l’horlogerie tombe donc à pic, avec ses 75 pages bourrées de chiffres et de données dont personne à ce jour n’avait encore tenté la compilation : on devrait pouvoir disposer de quelques éléments à ce sujet dès le début de la semaine prochaine…
CONFIRMATION…
Toujours pas de nouvelles du successeur potentiel de François-Henry Bennahmias pour diriger Audemars Piguet : la défection du candidat officiellement sélectionné et accepté par le conseil d’administration (Business Montres du 2 janvier) n’a pas vraiment aidé à clarifier la situation, ni surtout stimulé l’empressement des autres candidats. Commentaire d’un de nos lecteurs, qui va dans le sens de nos propres analyses : ce fauteuil de direction est un « cadeau empoisonné » ! Ne nous affolons pas : il se trouvera toujours un « jeune loup » pour assurer cette succession, qu’il soit ou non recruté dans le village horloger…
INTERROGATION…
Deux chiffres inquiétants qui devraient interpeller les services marketing de l’horlogerie. Le premier : l’âge moyen des acheteurs de voitures neuves est aujourd’hui de 57 ans (statistiques Autoways sur la base des registres français d’immatriculation). On en déduira logiquement que le marché des voitures neuves est aujourd’hui une affaire de seniors ! Second chiffre : la moitié des buveurs de vin ont plus de 55 ans (étude IWSR et Wine Intelligence). La consommation de vin rouge a baissé de 30 % en dix ans et on estime qu’il faudra très vite arracher 10 % des vignobles actuellement en production – ceci sans préjuger de l’impact du dérèglement climatique sur la viticulture dans les pays tempérés. On déduira de ces deux données civilisationnelles que les mutations globales du marché sont beaucoup plus profondes et brutales qu’on ne le pense, que ce soit pour les voitures [l’automobile reste un des piliers de notre économie] ou pour le vin [qui reste un des piliers de notre art de vivre]. Et les montres : quel est donc l’âge moyen d’un acheteur de montre traditionnelle ? Ne serait-ce pas encore pire en calculant cet âge moyen avec l’addition des montres traditionnelles et des montres connectées, beaucoup plus achetées par des seniors que par des milléniaux ? On devrait avoir peur de découvrir que le marché horloger est lui aussi l’apanage des « vieux » – pour toutes sortes d’excellentes raisons…
FIGURATION…
Même les non-initiés savent que les différents modèles de Rolex sont désignés par des surnoms non officiels et non autorisés, mais néanmoins très utilisés par les amateurs – par exemple, « Kermit » ou « Hulk » pour les Submariner vertes, « Batman » pour la GMT à lunette bicolore noir-bleu, etc. Surnoms qui viennent s’additionner aux anciens surnoms affectueux des modèles vintage : « Steve McQueen » pour l’Explorer II, « Pepsi » pour la GMT rouge-bleu, etc. Spécialisée dans les figurines dérivées des héros de la pop culture et des comicscontemporains, la maison japonaise Fools Paradise a eu l’idée de créer des « poupées » horlogères de 30 cm de haut qui représentent les personnages de ces prénoms, la tête étant le cadran de la montre (c’était la dernière révélation Atlantic-Tac en 2022, ci-dessus : Business Montres x Atlantico du 30 décembre). Détail facile à expliquer : ces cadrans parfaitement identifiables ne portent ni le nom de Rolex, ni la couronne emblématique de la marque, mais ces « têtes » n’en sont pas moins couronnées. Chacun appréciera la délicatesse de ce clin d’œil nippon [ni mauvais ?]. Attention, certaines de ces figurines – toutes rebaptisées de noms japonais et proposées à des prix très accessibles, autour des 300 dollars – sont déjà sold out (on peut les commander sur le site de Fools Paradise). Nos héros préférés de cette série Honmono Taiketsu : le « superdiver » ci-dessous (Submariner) et le « batman » GMT Flying Fool (en haut de la page)…
SOUSCRIPTION…
Même un peu assoupi, sinon assommé par les fêtes de fin d’année dans les pays occidentaux, le marché du sociofinancement n’en reste pas moins très actif, avec son lot habituel de montres de plongée relativement interchangeables, de sempiternels boîtiers en bronze, de copies de Richard Mille et de délires sans lendemain qui ne trouveront de toute façon pas preneur. Première exception récente : la campagne hongkongaise Pitata sur Kickstarter, avec une montre connectée de style ultra-classique, mais une souscription qui frôle déjà les 300 000 euros et qui tendrait à prouver que le marché des smartwatches qui ressemble à des vraies montres est en pleine consolidation. Seconde exception : le succès d’une autre campagne hongkongaise, celle d’Angles Watches, dont la montre Cylindrex [boîtier cylindrique à lecture « cylindrique » des heures et des minutes] vient de frôler les 60 000 de soucription, avec 160 contributeurs (ci-dessous : une très originale montre mécanique proposée dans les 300 dollars sur Kickstarter).
DÉFLATION…
Shootée à la volée dans une boutique genevoise, une image inimaginable il y a six mois : et encore, ça pourrait être pire, la plupart des revendeurs n’osant plus afficher les prix en vitrine de peur de devoir les modifier plusieurs fois par semaine. C’est l’hiver en pente douce : les spéculateurs qui avaient acheté trop cher en espérant revendre encore plus cher n’ont plus qu’à encaisser leurs pertes et se tourner vers des modèles qu’ils aiment vraiment – si tant est qu’ils aient jamais été motivés par une quelconque passion pour les montres…
RÉCRÉATION…
Nous reprenons dans ce bloc-notes la bonne vieille habitude prise par le Sniper, celle du « dessin du jour », qu’on pourra retrouver dans notre dernière chronique « Horlotainment » (Business Montres du 3 janvier). Vous y croyez, vous, à un rebond de la croissance horlogère en 2023 : n’y aurait-il pas « une méprise sur la reprise » ?