(BONNES) RÉSOLUTIONS 2023
Les sept leçons de 2022 qu’il ne faudra surtout pas oublier en 2023
Le plus souvent, on savait déjà tout ça, mais on l’avait oublié : 2022 nous aura confirmé quelques acquis fondamentaux qu’il faut à présent garder en mémoire pour éviter de nouvelles sorties de route…
L’horlogerie est un faisceau de métiers où, généralement, on n’apprend pas des crises : dans l’amont industriel comme dans l’aval commercial, en passant par les marques et les médias, sans oublier les clients, les cycles se succèdent sans que personne n’en conserve la mémoire. Ce qui conduit tout le monde à refaire sporadiquement les mêmes bêtises en revivant les mêmes situations. En se décidant à rester un peu plus sérieux et en s’assurant de ne pas retomber dans les ornières d’un passé récent, on pourrait par exemple garder en tête quelques enseignements magistralement mis en lumière en 2022…
❑❑ LES CYGNES NOIRS VOLENT EN ESCADRILLE : commencées en pleine panique pandémique, les années 2020 ont vu se vaporiser toutes les certitudes qui semblaient avoir été moulées dans le marbre de la « bulle » des années 2000 et 2010. Les hoquets du capitalo-communisme chinois, la guerre en Ukraine, la déstabilisation géopolitique d’une planète en phase accélérée de déglobalisation, le dérèglement climatique, la dédollarisation des échanges commerciaux, la crise larvée de la zone euro : autant de « cygnes noirs » qui ont envahi l’horizon dans une ambiance de coagulation brutale des facteurs négatifs. En un an, le paysage planétaire aura plus changé qu’au cours des vingt années précédentes – ceci pour ne rien dire des mutations sociétales qui marque l’émergence de nouvelles générations milléniales en rupture avec les boomers qui géraient l’ancien désordre mondial. Le monde est tragique, comme on le sait depuis toujours, mais, gavés et repus, les moutons de Panurge de la bergerie occidentale avaient préféré l’oublier. L’histoire ne pardonne rien à ceux qui tentent d’échapper à ses implacables rouages en s’auto-proclamant intemporels. 2023 s’annonce comme la fessée du siècle pour les faux-monnayeurs qui se pensaient naïvement ou perversement crisis proof : ami, entends-tu le vol noir de ces cygnes sur nos plaines ?
❑❑ QUAND ON A TOUCHÉ LE FOND, IL NE RESTE PLUS QU’À CREUSER : faut-il que les marques soient résilientes pour supporter les maltraitances managériales dont elles sont victimes ! Quelques exemples au hasard, sans considération de taille ou de statut. Ouvrons le dossier Breguet, dont Nicolas Hayek Senior avait restauré la grandeur et fait oublier des décennies de décadence : sur sa lancée des années 2000, la marque flirterait aujourd’hui avec le milliard de francs suisses, alors que son chiffre d’affaires a pratiquement été divisé par un peu moins de trois dans les années 2010 – pour se retrouver au quart du milliard qu’il s’agissait de tutoyer. Plus la moindre ambition, plus de perspectives un tant soit peu réjouissantes, plus de carburant dans un moteur qui réclamerait une sacrée révision, plus de dignité dans l’absence de respect dû à une des plus belles marques horlogères de l’histoire : moyennant quoi, l’actuelle direction – confiée au brillantissime Lionel a Marca – continue à creuser alors qu’elle a déjà touché le fond. C’est même à se demander s’il ne ‘agit pas d’une épidémie, parce qu’on retrouve les mêmes symptômes toxiques chez les autres « marques de luxe » du Swatch Group (Blancpain ou Harry Winston, par exemple)…
❑❑ QUAND ON A PLUS RIEN À DIRE, IL FAUT LE CRIER TRÈS FORT : autre exemple frappant de déréliction managériale, le cas Roger Dubuis. Si la marque était un temps prometteuse [au moins avant son rachat en catastrophe par le groupe Richemont, et sans doute encore un peu sous la houlette de Jean-Marc Pontroué], on y chercherait en vain aujourd’hui les reliefs de ce faste passé : il ne reste que les guenilles grandiloquentes des avancées stratégiques précédentes, des mécaniques déjà lancées et de partenariats qui n’ont plus ni queue, ni tête. Le narratif autoréférencé de la marque sidère par son emphatique vacuité : « Découvrez l’expertise horlogère résolument extravagante, rebelle et élégante, l’expression percutante du style et de la maîtrise horlogère de Roger Dubuis ». Flatus vocis, auraient dit les scholastiques : une flatulence vocale, un pet verbal dirait-on aujourd’hui. Le catalogue met en évidence cette hyperbole du grand vide : à force de s’instituer réservée à « un cercle exclusif d’hédonistes », auxquels on propose « l’expérience la plus passionnante de l’hyper-horlogerie », la marque a perdu et ses derniers hédonistes, et ses parts de marché [on comparera les dizaines de millions de pertes qu’elle génère aux centaines de millions de profits que réalise à présent Richard Mille, alors que les deux marques étaient au coude à coude à la fin des années 2000]. La maison Roger Dubuis est tout simplement sortie de l’horizon mental des amateurs : au lieu d’être existentielle [ce qui aurait été défendable, même à une échelle microcosmique], elle n’est plus que résiduelle…
❑❑ LA FORTUNE SOURIT TOUJOURS AUX AUDACIEUX : ils ont osé et ils ont eu raison d’espérer. On pense ici à l’équipe de Code41, qui a eu l’audace de proposer son Mecascape, objet horloger non identifié, inclassable hapax sans famille et sans équivalent, galop d’essai mécanique pour une autre façon de repenser notre rapport au temps qui passe – il fallait du culot pour repenser ainsi la montre en la… repassant pour tout remettre à plat ! On pense également à la M.A.D. 1 de l’équipe MB&F, qui a pris le risque d’une montre accessible [cinquante à cent fois moins coûteuse que les modèles du catalogue], en acceptant de changer tous les codes techniques et logistiques pour mieux préserver l’essence esthétique d’une proposition tout aussi radicale : l’ivresse sans le flacon – quand près de 25 000 personnes prennent leur mal en patience sur les réseaux, c’est qu’il y a une demande évidente pour une horlogerie créative à des prix décents. Dernier exemple : la trajectoire culottée de Louis Érard, marque revenue du néant où elle s’enfonçait pour caracoler en tête des « coups » les plus fumants de l’année, avec ou sans « collabs » signées Alain Silberstein : Louis Érard, c’est le cas d’école emblématique d’un repositionnement intrépide et sans révérence pour la fausse sagesse des « sachants » de l’horlogerie. On pourrait citer beaucoup d’autres exemples, notamment du côté de la nouvelle horlogerie française, anglaise ou même asiatique : tout ce qu’il faut souhaiter, c’est qu’il y ait encore, en 2023, assez d’audacieux pour tenter des coups de fortune…
❑❑ UN CHANGEMENT DE FACTEUR SUFFIT À INVERSER L’ÉQUATION : quelques coups de projecteur sur les réussites de 2022 illustrent cette logique mathématique. Le cas Jean Arnault : en quelques mois, il a su remonter une horlogerie Louis Vuitton qui semblait vouée à l’insignifiance par les managements précédents. Et ce n’est pas parce qu’il s’appelait Jean Arnault : c’est parce qu’il a fait preuve de volonté, d’intelligence et d’opiniatreté dans ses choix. L’histoire Antonion Calce : à force de mauvais choix managériaux, la maison Greubel Forsey était en danger. Robert Greubel a eu assez d’estomac pour faire confiance à Antonio Calce, un des meilleurs managers horlogers de sa génération, malheureusement affublé d’une réputation exécrable par ls perroquets qui font confiance au qu’en dira-t-on : en trois ans, la manufacture Greubel Forsey a plus que doublé son chiffre d’affaires et elle vole de profits en profits vers les cinquante millions de chiffre d’affaires annuel ! L’affaire Breitling : un seul être vous manque et tout est déprimé ! Sauf que Georges Kern est arrivé à temps pour plus que doubler un chiffre d’affaires qui frôlera bientôt le milliard, en multipliant par cinq la valeur de l’entreprise. Dernier coup de projecteur sur le fabuleux coup de la MoonSwatch : la maison Swatch était en perdition [elle l’est toujours, mais c’est un autre problème], mais il a suffi d’une bonne idée de la garde rapprochée de Raynald Aeschlimann, le CEO d’Omega, pour redonner à Swatch une désirabilité oubliée depuis un quart de siècle – c’est ainsi qu’on entre dans l’histoire des montres : le bon produit avec la bonne idée au bon moment ! Le facteur sonnera-t-il aussi souvent en 2023 ?
❑❑ LES VESSIES WOKISTES NE SONT PAS DES LANTERNES ÉCONOMIQUES : quelques bien-pensants frappés de psittacisme nous avaient tant répété que 2022 allait être l’année du métavers que certaines directions horlogères avaient fini par le croire. Les arnaques du rocambolesque Sam Bankmann-Fried, l’as des as de FTX [huit milliards de dollars de détournements, en attendant un vrai audit de sa carambouille], ont douché les enthousiasmes : la bien-pensance numérique mettra quelques années à s’en remettre. Plus récemment, les ahurissantes dérives wokistes de Balenciaga [qui venaient s’ajouter à d’autres scandales analogues] ont révélé à quel point le luxe et, plus généralement, la communication des entreprises étaient actuellement subvertis par une idéologie de la déconstruction totalement étrangère à leur univers mental, mais plaqués pour faire chic sur tous les messages des marques – au risque de rebuter les amateurs inquiets de se voir forcer la main à des fins manipulatoires, notamment les amateurs asiatiques, africains, sud-américains ou proche-orientaux, culturellement imperméables aux fausses valeurs de cette idéologie déconstructive. Même illusions perdues du côté des influenceurs, et plus généralement des réseaux sociaux, maintenant qu’il est devenu évident que les médias numériques sont un fantastique marché aux voleurs, où tout s’achète – surtout le grand n’importe quoi à n’importe quel prix – et tout se vend, surtout les mirages, les faux-semblants, les tripotages, les consciences achetées, les magouilles et les filouteries. L’avenir de la digitosphère ne s’écrira pas comme on voulait nous le faire croire…
❑❑ L’ASCENSEUR NE MONTE JAMAIS PLUS HAUT QUE LE DERNIER ÉTAGE : les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, surtout quand ils ont grandi trop vite, comme la cote des icônes spéculatives sur le marché [sévèrement corrigée au printemps] ou les adjudications dans les salles de vente, désormais sérieusement questionnées par des spécialistes plus pointus et plus connaisseurs que les senior specialistsdes maisons d’enchères pour détecter les bidouillages que les couillonspayent quelques millions de plus qu’ils ne le devraient – comme leur argent est souvent mal acquis, et rarement à la sueur de leur front, cette taxe au mirage friqué n’est que justice ! Le second marché n’est qu’un miroir déformant et déformé du marché primaire : malheur aux marques qui l’ont oublié et tant pis pour les plateformes qui ont pensé décrocher la Lune en agiotant sur une poignée de marques artificiellement cosmétiquées pour appâter le chaland. Le tout est de savoir monter pas à pas, marche par marche, avec patience et détermination, l’échelle qui monte vers le paradis des vraies marques iconiques [ce que font avec un certain talent les directions de maisons comme Tudor, Breitling, Yema et quelques autres]. Les ajustements correctifs ne font que commencer sur ce marché, où les plus malins songent à prendre leurs bénéfices. L’ascenseur ne montera pas plus haut, mais il risque de chuter encore plus vite qu’il n’est arrivé au dernier étage…