GLOBE SHOPPING
La bulle du « shopping touristique » peut-elle se dégonfler ?
Le 25 / 06 / 2013 à 12:27 Par Le sniper de Business Montres - 2694 mots
Sur le papier, les chiffres du « globe shopping » (le nouveau nom chic et plus précis de l'ex-travel retail) laissent rêveur. Sur le terrain, c'est autre chose. Global Blue, spécialiste de ces questions, dévoile des données qui démontrent le retard stratégique des marques horlogères sur ce terrain, alors que se profilent, en Chine, des lois qui peuvent tout changer...
▶▶▶ EN RÉSUMÉ...❏❏❏❏ LA BULLE …
Sur le papier, les chiffres du « globe shopping » (le nouveau nom chic et plus précis de l'ex-travel retail) laissent rêveur. Sur le terrain, c'est autre chose. Global Blue, spécialiste de ces questions, dévoile des données qui démontrent le retard stratégique des marques horlogères sur ce terrain, alors que se profilent, en Chine, des lois qui peuvent tout changer...
▶▶▶ EN RÉSUMÉ...❏❏❏❏ LA BULLE DU GLOBE SHOPPING : un objet de luxe acheté sur deux est vendu aux nomades dépensiers au cours de leurs périples touristiques... ❏❏ HORLOGERIE : la part des Chinois dans les exports privés d'horlogerie est en décroissance légère... ❏❏ LÉGISLATION : le 1er octobre prochain, une nouvelle loi chinoise sur le tourisme devrait bouleverser l'organisation actuelle du marché... ❏❏ CHALANDISE : la structuration par pays est un frein à une approche du marché par nationalité... ❏❏ JAPON : les Japonais sont pénalisés par la faiblesse du yen... ❏❏ THAÏLANDE : les touristes siamois ont la fièvre du shopping... ▶▶▶ GLOBAL BLUEQuand les boutiques de luxe remplacent les musées... ◉◉◉◉ « Globe shopper » : un néologisme très chic et très marketing pour désigner une « personne qui considère le shopping comme faisant partie intégrante de son voyage ». C'est apparemment une nouvelle pratique culturelle chez les nouveaux touristes en provenance des pays émergés, qui achètent aujourd'hui, pendant leurs déplacements dans le monde, plus de la moitié de tous les biens de luxe échangés sur cette planète. Autant dire qu'il s'agit d'une population-cible très convoitée et d'une pratique culturelle stratégique pour les marques et les groupes de luxe : pour 82 % des Chinois ou 56 % des Proche-Orientaux, le shopping est la principale motivation d'un voyage. Les sociologues de l'avenir pourront écrire des tonnes d'études pour expliquer ce tropisme marchand... ◉◉◉◉ C'est encore plus stratégique pour l'horlogerie : selon les statistiques Global Blue, qui portent sur 23 millions de transactions (travel retail classique ou achats touristiques en centre ville : on parle ainsi d'« exports privés »), les montres représentent 16 % de ces achats, immédiatement derrière les 20 % des articles de mode, mais devant la maroquinerie (15 %) ou l'électronique (14 %). On s'en doutait, les Chinois pèsent pour 23 % dans ces achats de luxe (tous produits confondus, mais 36 % de leurs achats sont des montres et des bijoux, contre 40 % pour la mode), suivis par les Russes (17 %), les Thaïlandais (4 %), les Indonésiens (4 %) et les Américains (3 %). Les autres nationalités sont infimes à l'échelle du pays concerné – ce qui ne veut pas dire que les achats ne sont pas conséquents : on compte deux Nigérians parmi les dix meilleurs acheteurs de Harrod's Londres en 2012... ◉◉◉◉ Les pays champions de la croissance dans le shopping touristique sont, en 2012, avec une croissance globale du marché de 13 %, les Thaïlandais (+38 %), les Ukrainiens (+21 %), les Séoudiens (+17 %), les Singapouriens (+15 %) et les Indiens (+13 %), l'ensemble du marché croissant en moyenne de 13 %. En 2011 et 2012, les seules dépenses horlogères des Thaïlandais auront progressé de 120 % ! Côté décroissance, les champions 2012 sont les Japonais (-43 % : un effet de la dévaluation du yen, alors que les Japonais étaient dans le Top 3 de la croissance en 2011), les Honkongais (-23 %), les Brésiliens (-19 %), les Taïwanais (-9 %), les Américains (-7 %) et les Chinois (-2 %, quoiqu'on soit à +73 % sur les deux dernières années). ◉◉◉◉ L'effet « globe shopper » est encore plus net dans l'horlogerie-joaillerie, poste compilé par Global Blue qui réserve ses statistiques détaillées aux marques clientes de ses services (37 pays scannés en permanence, 19 catégories de produits). Après les Chinois, qui représentent 41 % des acheteurs de montres et aux bijoux, on trouve les Russes (12 %), les Indonésiens (6 %), les Américains (4 %) et les Thaïlandais (4 % : dépense moyenne horlogère de 5 500 francs suisses par « globe shopper » thaïlandais). Budget shopping moyen d'un Chinois en promenade à l'étranger : 17 800 francs suisses, aux trois-quarts en cadeaux (que, par politesse, on ne dira pas « de corruption ») et en achats pour des tiers. Motivations principales : le prix (63 %), le style (49 %) et la qualit des produits (37 %) – ces deux considérations relevant de la crainte des contrefaçons qui pourrissent le marché local, notamment en Chine. Sensibilité de ces « globe shoppers » : la marque pour 60 % et la prix pour 40 %. Si 33 % de ces achats s'opèrent en boutique de centre ville, la part des duty free d'aéroport se monte à 24 % (3 % en boutiques de marque d'aéroport), les centres commerciaux à 22 % et les grands magasins à 18 %... ◉◉◉◉ Les cinq destinations les plus prisées pour les achats de montres et de joaillerie dans les pays permettant aux résidents étrangers de récupérer la TVA sont Singapour (29 % du total de la catégorie horlogerie-joaillerie), l’Allemagne (18 %), l’Italie (13 %), la France (9%) et la Grande Bretagne (5 %). À titre d’exemple, la plus importante transaction enregistrée entre janvier et mai 2013 se monte à 2,1 millions de francs suisses : elle a été effectuée par un client indonésien dans une boutique de montres de Singapour. ◉◉◉◉ On peut se demander à quoi servent les boutiques ouvertes à grand frais par les marques dans les pays d'origine de tous ces « globe shoppers » : apparemment, c'est pour les sensibiliser aux boutiques de ces mêmes marques qui les attendent dans leurs destinations touristiques. C'est ainsi que le vaisseau-amiral de Louis Vuitton sur les Champs-Elysées, à Paris, accueille désormais plus de « visiteurs » que le château de Versailles : une comparaison un peu stupide, mais très parlante ! Les marques ne s'en plaindront pas : ces touristes avides de marques dépensent en moyenne quatre fois plus par acte d'achat que les consommateurs autochtones. Les transactions des marques avec les « globe shoppers » ont plus que doublé au cours des ces trois dernières années (+30 % en glissement annuel)... ▶▶▶ ÉVOLUTIONSAtterrissage en douceur ou dégonflage de la bulle ?◉◉◉◉ Déception annoncée : selon Global Blue, on est à -13 % de baisse du « globe shopping » en Suisse. Notons aussi un -47 % à Singapour ! Apparemment, la décrue est annoncée. Toute la question est maintenant de savoir si c'est un « retour à la normale » [qu'est-ce que la norme dans ce domaine ?] ou l'amorce d'un dégonflage, sinon d'une explosion de la « bulle » ? Il n'est pas évident que le gâteau continue à augmenter au cours des deux ou trois prochaines années. D'une part, la crise gagne les marchés émergents (infographie Business Montres du 24 juin), ce qui va lisser les croissances explosives en cours. D'autre part, le ralentissement économique chinois ne pourra qu'accélérer la décroissance en cours, en « contaminant » la périphérie de la Grande Chine (Thaïlande, Singapour, Taïwan) : l'effondrement spectaculaires des achats de luxe par les Japonais prouve à quel point les retournements de conjoncture sont rapides sur ce marché. ◉◉◉◉ Le vrai danger réside dans l'actuelle « révolution culturelle » lancée en Chine par le nouveau Politburo, dont la « ligne de masse » idéologique (Business Montres du 19 juin) annonce des changements sociéto-économiques profonds, donc des comportements d'achat très différents et, à très court terme, des circuits d'achat tout aussi différents. La création de zones franches commerciales dans le sud de la Chine annonce une repolarisation du « globe shopping » à l'intérieur des frontières [n'oublions pas que c'est le prix qui motive les acheteurs, et non la culture de la vieille Europe] et la campagne anti-corruption sème le doute sur la pertinence des cadeaux en « montres de corruption ». La maturation accélérée des consommateurs va également obliger les marques à reformater leur approche des marchés grand-chinois. ◉◉◉◉ Le plus grave danger se cache probablement dans la future loi chinoise sur le tourisme, annoncée pour le 1er octobre 2013. L'actuel racket des voyagistes, la pratique du « shopping forcé » dans des lieux imposés, la vente à perte des voyages au départ de la Chine (en margeant sur les commissions commerciales des achats touristiques), l'insatisfaction croissante des « globe shoppers » après leurs expériences étrangères, le sentiment de se faire pigeonner dans les haltes marchandes programmées, la psychose de l'insécurité [notamment en France] vont remodeler le paysage de l'offre touristique et, forcément, enrayer l'actuelle explosion de ce shopping touristique. Les contrevenants risqueront gros, ce qui va rendre les tour operators très frileux. Le coup de frein risque d'être brutal, le pouvoir chinois ne cachant pas son intention de reprendre en main ce marché, de se tailler un part significative du butin et d'utiliser cette arme commerciale dans son bras de fer avec les gouvernements des économies développées. On peut toujours rêver d'une nouvelle ère, celle des FIT (Free International Travellers), mais on a quand même des doutes sur les 76 millions de touristes chinois espérés pour 2016 (contre 52 millions aujourd'hui)... ◉◉◉◉ C'est sans doute parce que le gâteau va se réduire que ses parts seront encore plus disputées. Et c'est là qu'on s'interroge sur la stratégie des marques horlogères vis-à-vis de ces « globe shoppers ». Alors qu'une entreprise internationale comme L'Oréal a mis en place une organisation matricielle, qui cible ces acheteurs à la fois par pays (organisation classique), mais aussi par nationalité en nomadisme (les acheteurs issus d'un pays le long de leur diagonale marchande), aucune marque horlogère n'est encore organisée autour de ce marché mouvant. Le marketing reste cadré par un simple marqueur national, alors qu'il serait plus logique de travailler les amateurs chinois en Chine [avant leur départ]plutôt que dans la rue du Rhône ou à Lucerne. « La zone de chalandise s’est complètement globalisée. Les temps de la structure marketing par marchés nationaux sont révolus. Chaque point de vente est une véritable destination touristique et a ses clients qui peuvent lui être très fidèles (et très rentables), d’où qu’ils viennent de par le monde. Les marques doivent donc identifier et cibler leurs clients potentiels avant même leur départ, dans leur pays d’origine et dès le moment où ils planifient leur voyage », explique Manelik Sfez, le vice-président corporate marketing de Global Blue.
◉◉◉◉ Un exemple parlant : « On voit, par exemple, que l'indicateur de référence des exportations horlogères suisses a chuté de 24 % vers la Chine au premier trimestre 2013, par rapport à la même période en 2012 », explique David Mouquet, président et fondateur du Pôle de l’Horlogerie. « Cependant, selon les chiffres de Global Blue, on s’aperçoit que les ventes de montres aux Chinois voyageant à l’étranger ont augmenté de 21 % durant cette même période ! Ce paradoxe montre que les habitudes d'achats ont changé et que les clients parcourent le monde pour acquérir leurs garde-temps. Les marques horlogères suisses prennent bien conscience de l'ampleur des globe shoppers chinois, russes, indonésiens... Elles considèrent chaque jour davantage cette nouvelle réalité du marché ». Même si c'est encore loin d'être gagné... ◉◉◉◉ En conclusion : quels que soient les marchés et les marques, les difficultés sont devant nous. Même pour ce qui concerne les « globe shoppers », dont le nombre ne va plus beaucoup augmenter, mais qui seront de plus en plus difficiles à tracer, à convaincre et à séduire. Raison de plus pour les marques de développer une expertise dédiée à des nouveaux nomades dépensiers. D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTESDE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...