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GREUBEL FORSEY : Dix ans d'inventions mécaniques et esthétiques en toute liberté – merci, Robert ! merci, Stephen !

C'est en 2004 que la jeune marque Greubel Forsey fait sa première apparition à Baselworld. Dix ans plus tard, avec dix-sept calibres totalement innovants à leur actif, Robert Greubel et Stephen Forsey n'ont pas la moindre intention de relâcher la pression... ▶▶▶ DIX BOUGIES POUR UN DUO CRÉATIFUne expression contemporaine de l'art de faire des belles montres... ◉◉◉◉ LE PARCOURS HORLOGER DE LA MAISON Greubel Forsey n'a pas toujours …


C'est en 2004 que la jeune marque Greubel Forsey fait sa première apparition à Baselworld. Dix ans plus tard, avec dix-sept calibres totalement innovants à leur actif, Robert Greubel et Stephen Forsey n'ont pas la moindre intention de relâcher la pression...

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 DIX BOUGIES POUR UN DUO CRÉATIF
Une expression contemporaine
de l'art de faire des belles montres...
 
◉◉◉◉ LE PARCOURS HORLOGER DE LA MAISON Greubel Forsey n'a pas toujours été d'une limpidité linéaire. Arrivés sur le devant de la scène et sous leurs couleurs en 2004 (première apparition à Baselworld), Robert Greubel et Stephen Forsey n'étaient pas, à proprement parler, des « perdreaux de l'année ». On les avait connus – depuis 1992 – chez Renaud Papi (atelier de complications aujourd'hui passé chez Audemars Piguet), dont Robert Greubel (Français des Vosges, né en 1960) sera partenaire avant de voler de ses propres ailes [il a également passé quelques années chez IWC]. Sujet britannique né en 1967, Stephen Forsey est passé par l'excellente école de la restauration horlogère avant de commencer à travailler avec Robert Greubel chez Renaud Papi, puis dans un petit atelier indépendant fondé par eux deux, Complitime, qui existe toujours et dont les clients sont quelques-unes des plus belles marques suisses de haute horlogerie – généralement, celles qui crient le plus fort qu'elles font tout elles-mêmes, in-house !
 
 
◉◉◉◉ EN 2004, L'OVERDOSE GUETTAIT LES AMATEURS DE TOURBILLON : il était temps d'innover un peu dans ce domaine, ce qui tombait bien pour les duettistes Robert et Stephen, qui avaient l'idée d'un tourbillon comme on en avait jamais fait, un tourbillon qui irait plus loin que les grands maîtres du XVIIIe et du XIXe siècle. Ils ne se sentaient pas obligés de faire comme tout le monde en Suisse. Il s'agissait de repenser le tourbillon pour l'adapter à une montre-bracelet, et non de dupliquer de ce qu'avait pu faire Breguet et ses successeurs [duplication qui était déjà celle d'une bonne cinquantaine de marques en 2004]. L'idée géniale de nos duettistes était non seulement de travailler sur la fiabilisation du tourbillon [pour lui donner les qualités de résistance qu'on peut exiger d'une montre-bracelet], mais surtout sur sa précision. On parle ici non de la précision au porter, puisque le fait de porter au poignet une montre mécanique fait que l'échappement est brassé dans toutes les positions et que ses performances sont moyennisées, mais de la précision au poser, puisque les collectionneurs ne portent pas en permanence toutes leurs montres et qu'il faut donc veiller à leur chronométrie en position fixe [on notera au passage que la réponse des tourbillons multi-axes à cette précision au posé n'est pas satisfaisante]...
 
◉◉◉◉ D'OÙ L'IDÉE D'UN DOUBLE TOURBILLON INCLINÉ à 30°, angle qui garantit une double égalisation des performances chronométriques de la montre. Le premier tourbillon tourne sur lui-même en 60 secondes, le second en quatre minutes. Les premiers chronomosomes de l'ADN Greubel Forsey étaient fixés. Les premiers codes esthétiques de la marque également – comme on peut le vérifier dans la galerie des 17 montres (et autant de calibres originaux) qui ont ponctué l'histoire de la première décennie de la marque. Réalisée pendant six années consécutives, ce premier Double tourbillon 30° – qui reprenait en les prolongeant les principes de tourbillons à angle (double axe) expérimentés par Anthony Rendall ou un Richard Good – est aujourd'hui très recherchée par les collectionneurs. La création de l'Opus 6 pour Harry Winston viendra couronner ces premiers pas réussis parmi les grands noms de la grande horlogerie...
 
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◉◉◉◉ AU COURS DES ANNÉES SUIVANTES, différents chantiers sont lancés, toujours pour aller plus loin dans l'approfondissement de la chronométrie contemporaine : ici, le tourbillon n'est pas une fin en soi [justifiée par la nécessité de vendre la montre plus cher], mais un moyen pour parvenir à la précision absolue. C'est un prétexte à des recherches fondamentales en mécanique horlogère. Ce seront les pièces nées de l'EWT (Experimental Watch Technology), sorte de banc d'essai qui a donné naissance à des montres comme le Tourbillon 24 secondes, le Double balancier, le Quadruple tourbillon ou le Différentiel d'égalité. Pas facile de s'y reconnaître, d'autant que nos duettistes ont simultanément lancé, avant ou après ces avancées, des montres comme l'Invention Piece n° 1 (2008 : on le reconnaît aux triangles rouges de ses indicateurs et à son grand pont transversal), une montre qui est une sorte d'hommage au premier Double tourbillon 30°, mais qui semble fixer définitivement les codes d'expression de l'architecture Greubel Forsey, avec ses fonctions clairement séparées, sa tri-dimensionnalité, ses ponts lancés dans le vide, ses heures décentrées et ses indicateurs sectoriels. Un autre hommage sera rendu à cette pièce pionnière avec le Double tourbillon asymétrique de 2013 (réinterprété dans le goût contemporain en camaieu de gris et reconnaissable au disque rotatif de sa réserve de marche, à 2 h)...
 
 
◉◉◉◉ UN AUTRE PUISSANT MARQUEUR GÉNÉTIQUE de l'esthétique Greubel Forsey apparaît dès 2007 avec la « bulle » latérale qui permet de créer un calibre légèrement surdimensionné dans un boîtier de taille raisonnable [c'est 43,5 mm depuis les origines : un diamètre qui semblait géant voici dix ans, mais qui est un standard aujourd'hui]. On peut le vérifier avec les dix-sept montres de cette rétrospective : au-delà des différences graphiques, il existe clairement un style Greubel Forsey, qui mêle harmonieusement les exigences d'un goût plus contemporain aux nécessités d'un langage mécanique tout aussi original, qui sera récompensé par le prix Gaïa en 2009, le Grand Prix d’Horlogerie de Genève en 2010, ou encore le Concours international de Chronométrie du Locle en 2011 (915 points sur 1 000 , soit 0,4 seconde par jour de décalage : une performance jamais atteinte dans l'horlogerie, même à l'âge d'or des montres mécaniques). Ce qui est rassurant pour les collectionneurs, qui dépensent souvent plus d'un demi-million (dollars, euros ou francs suisses) pour ces pièces, est sans doute la permanence de ce style qui répond plus à un souci d'expressivité mécanique qu'aux caprices d'un « designer » qu'on chercherait en vain dans les feuilles de présence du personnel de l'entreprise. Ces codes sont assez forts pour que le Quantième perpétuel de 2014 ait pu s'y plier sans rien perdre de son originalité mécanique (tourbillon incliné à 25°, balancier à inertie variable, etc.)...
 
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◉◉◉◉ L'INVENTION PIECE N°3 SERA LANCÉE en 2009 (Tourbillon 24 secondes incliné à 25°, repérable au message philosophique gravé dans l'or de son cadran), la même année que l'inauguration de la manufacture de La Chaux-de-Fonds, épatante par son architecture inclinée (en haut de la page), mais l'Invention Piece n° 2 ne le sera qu'en 2011. Cette IP2 est un Quadruple tourbillon ultra-technique, avec deux échappements inversés en vis-à-vis (ci-dessous, à gauche) et reliés par un différentiel sphérique au centre du cadran, toujours pensé avec le souci de mettre la mécanique en évidence et sans jamais cesser d'améliorer les performances extrêmes du mouvement – au besoin en inventant les appareils de mesure qui n'existent pas sur le marché. À partir de 2012, la maison se permet même des clins d'oeil à ses propres principes visuels en lançant, en 2012, un Quadruple tourbillon « classique » (qualifié de « secret » parce que complication apparente sur le cadran : ci-dessous, à droite), puis en variant les plaisirs esthétiques sans jamais renoncer à de nouvelles avancées fondamentales dans le domaine de l'échappement (tourbillon 24 secondes, double échappement sur des axes séparés, double balancier incliné à 35° de 2013). Les séries ultra-limitées des années suivantes continueront à conquérir une clientèle de passionnés (forcément dorés sur tranche).
 
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◉◉◉◉ L'AIR DE FAMILLE DE CES 17 ENFANTS EST ÉVIDENT : il ne faudrait pas en conclure au manque d'inspiration (chacun de ces 17 calibres est différent des autres, avec des architectures différentes), mais simplement en déduire une obstination dans la reconquête du temps. La réflexion qui a mené à chacun de ces calibres était intégrée dans la réflexion initiale [il aura fallu 10 ans pour venir à bout de la maîtrise du quantième perpétuel]. Ce qui n'empêche les incursions sur le terrain artistique (on n'est encore qu'aux premiers épisodes des « Art Pieces », à regarder de plus près à la loupe), ni les efforts louables pour diffuser l'art de faire des belles montres (ce sera le projet « Naissance d'une montre », avec et grâce à Philippe Dufour) – de quoi étayer les prétentions de la manufacture Greubel Forsey à des finitions manuelles superlatives [aussi « extrêmes » que les performances mécaniques des montres] et à un style de terminaisons qui mobilise dans les ateliers à peu près autant de petites mains que d'horlogers sur leur établi. Cette volonté d'ouverture et de « communication » est illustrée par la tendance loquace des montres de la collection : on y explique en toutes lettres les fonctions, on y déclame des intentions philosophiques et on n'y craint pas les mots gravés dans le métal précieux...
 
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◉◉◉◉ TOUT ÇA POUR UNE CENTAINE DE MONTRES PAR AN, dont chacune ne réclame pas moins de 500 heures de travail à près de 120 employés [c'est la seule manufacture suisse qui produise moins de montres qu'elle n'a de personnel], mais c'est la rançon de l'attachement viscéral – « historique et patrimonial », répètent les deux fondateurs – aux valeurs et au savoir-faire de l'art suisse de faire des belles montres. Aujourd'hui adossée au groupe Richemont, ce qui lui a donné accès au SIHH de Genève, la manufacture Greubel Forsey semble avoir existé de tout temps dans le paysage suisse, alors qu'elle n'a guère produit qu'un peu moins de 800 pièces depuis les origines : ses montres sont presque désormais des « classiques » de l'offre contemporaine, dont elles n'oublient pas de reprendre, ici et là, quelques coquetteries à la mode (l'introduction du titane, le culte du noir, la tendance bleue du Tourbillon 24 secondes de 2012, la Terre sphérique de 2011, qui n'en reste pas moins une des plus démonstratives de toute l'actuelle offre suisse, etc.). 
 
 
◉◉◉◉ ÉVIDEMMENT, CETTE DÉCENNIE DE PRODIGES MÉCANIQUES ne pouvait s'effectuer sans de menus sacrifices collatéraux. Ni Robert Greubel, ni Stephen Forsey ne sont des commerciaux, encore moins des financiers et à plus forte raison des communiquants – même s'ils font dans ce domaine précis des progrès aussis spectaculaires que la maîtrise du français par Stephen Forsey [impossible d'en dire autant de la maîtrise de l'anglais par Robert Greubel]. Leur vision est purement horlogère et, s'ils ont eu la sagesse de se ranger au moins partiellement sous l'ombrelle Richemont, ils n'ont pas encore prouvé la puissance d'une vision managériale particulière. À l'orée de cette première décennie, les dysfonctionnements restent lancinants, avec un réseau commercial motivé quoique parfois désorienté par des choix un peu baroques d'allocations d'enseignes ou de montres : on se demande d'ailleurs pourquoi, avec une centaine de pièces annuelles en production et une hausse massive des ventes directes [officielles ou officieuses], la marque ne se contente pas d'une poignée de détaillants de référence – un ou deux par continent – plutôt que de mal maîtriser sa quarantaine de points de vente [qui sont de toute façon, volens nolens, doublés par de nombreux « parallélistes » qui entretiennent notamment, et avec succès, l'alimentation du marché des enchères, très florissant pour Greubel Forsey]. Côté financier, l'équilibre approximatif des comptes n'est pas une garantie de pérennité sur des marchés de collectionneurs sensibles aux effets de mode et aux retournements conjoncturels : la logique des prix élevés est un piège qui risque de faire vieillir la marque avec ses collectionneurs, sans en renouveler le tissu en temps utile. Heureusement pour ce segment où le prix n'est pas  impératif, mais indicatif, la planète compte toujours plus de milliardaires...
 
◉◉◉◉ POUR CE QUI EST DE LA COMMUNICATION, disons pudiquement qu'elle n'est pas moins baroque de la distribution... Les performances de la marque [dans son dialogue avec ses communautés de collectionneurs et d'amateurs, en particulier sur les réseaux sociaux] ne sont pas à la hauteur de ses performances dans les beaux-arts du temps. Les moyens sont disponibles, les hommes (et les femmes) aussi, mais on cherche encore la constante stratégique : il semble manquer quelque part tant l'envie de bâtir un storytelling digne de ce nom que le désir de se raconter, un exercice narcissique naturellement étranger – par nature et par culture – à tout maître-horloger. La marque n'est pas clairement mise en scène alors qu'elle pourrait relever du grand spectacle. À croire qu'elle refuse d'assumer son statut de parangon dans l'avant-garde mécanique, pourtant attesté par des succès aux enchères qu'il s'agirait d'encourager, de nourrir et de fortifier. Un projet comme « Naissance d'une montre » [surtout avec un parrain comme Philippe Dufour et un « filleul » comme Michel Boulanger, qui refonde expérimentalement en le condensant le savoir-faire de l'équipe] n'a toujours pas trouvé sa vitesse de croisière dans les médias, alors qu'il est stratégique pour l'image de marque autant que pour sa notoriété présente et sa légitimité à venir...
 
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◉◉◉◉ PEU IMPORTE, APRÈS TOUT, CES PETITS DÉSORDRES, tant que le diamant brut de cette manufacture reste intact. Le réacteur nucléaire, c'est ici le tandem horloger Robert Greubel-Stephen Forsey (le premier, ci-dessus, à gauche ; le second, à droite) : dix ans plus tard, leur duo conserve sa volonté d'aller de l'avant dans l'épanouissement et dans la plénitude de leur ambition méchanicienne. Adonnés à leur art de re-sculpter le temps et toujours aussi rigoureux dans leur volonté – parfois rugueuse – de ne pas faire de concession à l'intransigeance de leurs principes, ils ne semblent pas le moins du monde usés sur le plan créatif. À peine patinés par les années, ils ont encore l'air de s'amuser et de vouloir nous épater avec les Meccano de leur fantastique boîte à outils : en dix ans, ils ont su développer quelques sous-ensembles élémentaires de cette boîte à outils, sans jamais cesser de l'enrichir, ce qui permet d'assurer l'avenir par fertilisations croisées. S'ils n'étaient pas là, il faudrait les inventer, ces deux originaux. Merci, Robert ! Merci, Stephen !
 
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