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HISTOIRE HORLOGÈRE : Vive la Tasmanie libre ! Du nouveau sur l'invention de la montre automatique...

Pieusement répandu par des auteurs intéressés à le faire, le mythe du « Perrelet-inventeur-de-LA-montre-automatique » avait du plomb dans l'aile après les travaux historiques de Joseph Flores. Il s'effondre totalement avec la publication des recherches de Richard Watkins, The Origins Of Self-Winding Watches : 1773-1779. On s'y promène de surprise en surprise...  ▶▶▶ GÉNÈSE DE LA MONTRE AUTOMATIQUEUne impitoyable histoire critique pour balayer les impostures... ◉◉◉◉ Les théories scientifiques sont faites pour être …


Pieusement répandu par des auteurs intéressés à le faire, le mythe du « Perrelet-inventeur-de-LA-montre-automatique » avait du plomb dans l'aile après les travaux historiques de Joseph Flores. Il s'effondre totalement avec la publication des recherches de Richard Watkins, The Origins Of Self-Winding Watches : 1773-1779. On s'y promène de surprise en surprise...

 
 GÉNÈSE DE LA MONTRE AUTOMATIQUE
Une impitoyable histoire critique pour balayer les impostures...
 
◉◉ Les théories scientifiques sont faites pour être bousculées. Les légendes historiques à plus forte raison. Dans les années 1960, on pensait l'histoire de l'évolution humaine de façon linéaire, selon la théorie un peu simpliste du « Out of Africa » [un berceau unique sur le Rift est-africain] : on sait aujourd'hui que cette évolution a été buissonnante (polygénique), chaotique et multi-continentale. Il en va sensiblement de même pour l'histoire de l'évolution des montres modernes : la cause était dite dans les années 1950 après la publication de L'Histoire de la montre automatique d'Alfred Chapuis et Eugène Jaquet, que tout le monde a recopié depuis, mais un chercheur comme Joseph Flores (Perpétuelles à roues de rencontre) a dynamité l'édifice de ce savoir officiel en réhabilitant Hubert Sarton – plutôt que l'improbable Abraham Louis Perrelet – comme premier « inventeur » historiquement attesté du remontage automatique par rotor. À part Jean-Claude Sabrier et Dominique Fléchon, tous deux intéressés [pour différentes raisons] à ne pas rendre à Sarton ce qui ne peut plus revenir à Perrelet, tous les historiens de l'horlogerie savent à présent qu'il faut réécrire le récit de génèse des montres automatiques, entre 1750 et 1780.
 
◉◉ C'est la mission que s'est assigné l'historien australien Richard Watkins, membre de la NAWCC (ci-dessus), qui vit en Tasmanie mais qui vient de passer plusieurs semaines en Europe, du côté de La Chaux-de-Fonds, du Locle et de Neuchâtel, à s'immerger dans les mythiques « archives Dubois » et (ancienne maison d'horlogerie) dans toute la littérature connue pour en ramener des milliers de notes et de photos. Son travail, The Origins Of Self-Winding Watches : 1773-1179 (cliquez sur le lien pour la version anglaise) est pour l'instant ce qui se fait de plus définitif et de plus complet sur la question. Business Montres avait déjà signalé la façon assez sèche dont il avait taclé Dominique Fléchon, l'historien officiel de la FHH (Fondation de la haute horlogerie), pour sa « légèreté » historique dans La Conquête du temps : sans insister, sa nouvelle publication déshabille littéralement Jean-Claude Sabrier (La montre automatique) en pointant explicitement ses erreurs, ses partialités, ses interpolations, ses omissions et ses présupposés [pour ne rien dire de ses « petits secrets » pas forcément avouables, comme la non-communication de ses sources]. Verdict sans appel concernant Jean-Claude Sabrier : « Non scientifique » – ce qui en dit long sous la plume d'un historien anglo-saxon...
 
◉◉ La méthode historique anglo-saxonne est impitoyable pour les idées reçues, les lieux communs et les facilités de langage. Avec beaucoup de sûreté dans le propos, Richard Watkins passe en revue toutes les sources connues en matière de montres automatiques [ce qu'est loin de faire Jean-Claude Sabrier], en y ajoutant un point de vue technique assez proche de celui de Joseph Flores [le seul « horloger » de tous les « historiens » de l'horlogerie] et avec une méthodologie critique assez proche de celle de Philippe Poniz, l'expert américain qui a récemment mené l'enquête pour authentifier la pendule de marine de Christian Huygens [une autre pièce qui révolutionnaire l'histoire des montres : Business Montres du 8 novembre 2013], qu'on découvrira bientôt au musée Patek Philippe de Genève...
 
◉◉ Richard Watkins étudie longuement le cas Perrelet, mais sans vraiment convaincre à propos d'un personnage aux attributions généalogiques multiples, aux identités successives toujours entachées de flou, aux patronymes changeants et à la réalité historique toujours discutable. Sans parler de son « mouvement automatique » dont rien ne nous permet de penser qu'il s'agissait d'un rotor central – hormis le fait que Hans Wilsdorf (le fondateur de Rolex et le créateur de la montre-bracelet automatique à rotor) était le parrain des recherches d'Alfred Chapuis ! On se souvient des arguments de Joseph Flores à propos de ce mystérieux « Abraham Louis Perrelet », dont tout le monde parle sans qu'on sache bien si c'est du même qu'on parle : si horloger Perrelet il y a eu, il a joué un rôle, mais pas forcément celui que lui attribuent les perroquets de l'histoire horlogère. De même à propos de l'horloger Hubert Sarton, Richard Watkins descend assez profondément dans l'analyse technique de sa montre à rotor présentée à l'Académie des sciences et assortie d'un schéma très explicite (ci-dessous) : de quoi vérifier que les cinq mouvements à rotor identifiés à ce jour [mais non signés par Sarton] dans une montre de poche relèvent bien de la même logique mécanique – à vrai dire, très contemporaine dans son approche purement mécanique. S'il y a un grand vainqueur dans cette joute historique, c'est bien Hubert Sarton, horloger réhabilité auquel on peut attribuer le premier rotor automatique, même s'il n'est pas, en soi, l'inventeur de la montre automatique [terme d'ailleurs inapproprié pour ce genre d'avancée mécanique]...
 
 
◉◉ Les pages concernant Recordon, Breguet, Meuron et les autres innovateurs dans le domaine des montres automatiques sont tout aussi fouillées. On appréciera tout particulièrement les recherches concernant Philippe DuBois et sa fameuse maison d'horlogerie. Certains des documents d'archives mentionnés n'avaient jamais été étudiés : on y découvre que le commerce des montres « qui ne se remontent pas » était très actif à la fin du XVIIIe siècle, sans qu'on parvienne d'ailleurs à clairement distinguer à qui ces montres étaient destinées et par qui elles étaient signées, sur leurs lieux de vente. Les mentions de « Perrelet » – l'Ancien, le Gros ou le fabricant de boîtes, voire même la veuve Perrelet – sont tout aussi problématiques, mais les ventes au Liégeois Hubert Sarton ne le sont pas moins. Dans ce brouillard, la méthode Watkins – critiquer ce qui peut l'être et douter du reste, avec logique et lucidité, sans pour autant empiler de nouvelles énigmes pour tenter d'en résoudre un première – reste une précieuse boussole...
 
◉◉ Résumé rapide des avancées de Richard Watkins concernant les pionniers de la montre automatique : après une impressionnante série de déductions-inductions très fermement maîtrisées, l'historien tasmanien (19 traductions, 3 monographies et une bibliographie horlogère de 1 300 p., qui ont fait de lui un membre de la National Association of Watch and Clock Collectors) en arrive à quelques conclusions, dont la synthèse ne dispense pas de se frotter à ses raisonnements au scalpel. Tout commence vers 1773, avec une montre de poche dont nous ne savons rien, mais qu'on peut attribuer à l'horloger autrichien Joseph Tlustos. Le mundillo horloger ouest-européen en entend parler vers 1775 et un certain Abraham Louys Perrelet, du Locle, travaille sur l'idée d'une montre automatique à masse latérale, dont le principe intéresse plusieurs autres horlogers, dont Abraham Louis Breguet qui ne parvient cependant pas à en maîtriser la technique (l'échappement pose problème). Hubert Sarton, un très créatif horloger de Liège (ci-contre), comprend l'intérêt de ces montres automatiques, mais il opte pour le rotor central et il en expose le principe technique à l'Académie des sciences de Paris en 1778. Différentes montres sont réalisées avec un tel rotor : on en connaît aujourd'hui cinq, dont celle du musée Patek Philippe, autrefois attribuée à Perrelet (ci-dessous : la montre du musée Patek Philippe de Genève). Le jeune horloger Louis Recordon débarque à Londres à la fin de 1778 avec l'ambition d'y vendre des montres automatiques à masse latérale, mais avec un échappement plus performant : il en discute avec Breguet et, ensemble, ils vont en réaliser une série, avec fusée-chaîne. Nouveau concept horloger enfin fiabilisé, ces montres automatiques haut de gamme ouvrent à Breguet les portes des grands collectionneurs. Naissent ensuite (1779), en Francxe, en Suisse et à Londres, des montres de poche qui combinent les avantages de la masse latérale et du rotor central à la Sarton. Elles vont demeurer relativement rares et chères, mais elles ouvriront la voie pour les futures montres-bracelets automatiques...
 
◉◉ Avantage annexe du livre de Richard Watkins : non content d'être une remarquable démonstration de rationalité historique et d'induction-déduction d'un rigoureux cartésianisme, The Origins Of Self-Winding Watches : 1773-1179 est en accès libre (version anglaise : chargement avec le lien ci-contre, en espérant une traduction rapide en français). Seule une centaine de livres seront effectivement édités en version papier pour les universités et les bibliothèques traditionnelles. La version en ligne présentant toutes les photos indispensables à la compréhension du texte, on peut même considérer que cette édition numérique remplace avantageusement, pour les amateurs d'horlogerie ancienne, l'Histoire de la montre automatique de Jean-Claude Sabrier, superbe album pour sa réalisation, mais piètre guide historique pour son contenu. Tout ceci mérite un cri du coeur : « Vive la Tasmanie libre ! ». Libre de ses conclusions historiques, déliées de tout rapport marchand avec les marques, et libre de ses opinions (en cartouche en haut de la page : le lion passant de gueules du drapeau tasmanien)...
 
◉◉ Un dernier mot pour remercier Richard Watkins d'avoir cité Business Montres, notamment notre poisson d'avril 2012, grâce auquel on découvrait, grâce à un manuscrit inédit de Breguet, le nom du Père jésuite auquel Breguet attribuait l'invention de la montre automatique. Ce révérend Père P. Thüelle (« perpétuelle » pour ceux qui n'auraient pas percuté) faisait même l'objet d'une notice Wikipedia en bonne et due forme (page supprimée depuis parce que relevant du canular). Pas tout-à-fait innocent, ce poisson d'avril visait à se moquer des historiens qui se recopient les uns les autres sans jamais se vérifier les uns les autres – ce que n'a évidemment pas fait Richard Watkins. Du coup, son livre décisif n'a aucune chance d'être un jour subventionné par la FHH et l'établissement suisse...
 
 
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