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GPHG 2019 #05 (accès libre)
Il manque un prix au GPHG 2019 : celui de la marque qui n’a aucune chance d’en gagner un !

Dix-neuf prix seront distribués en novembre prochain : pourquoi pas vingt ? Sur le papier, certaines des marques qui viennent de s’inscrire dans la compétition n’ont pas l’ombre d’une chance de gagner quoi que ce soit. C’est peut-être ça le problème du Grand Prix : y récompense-t-on vraiment les montres qui le méritent ?


Plusieurs marques ont pu bénéficier d’une reconnaissance de la profession en recevant un Grand Prix d’Horlogerie de Genève dès leur apparition dans le paysage horloger et lors de leur première inscription : citons, entre autres, Laurent Ferrier, maison récompensée en 2010 (montre Homme) alors que la marque, qui venait de faire son apparition à Baselworld, n’existait pratiquement pas encore, ou Rexhep Rexhepi, qui a signé en 2018 de son nom son premier cadran et raflé, lui aussi, un prix de la montre Homme lors de son premier galop d’essai au GPHG [coïncidence supplémentaire : un même « gourou » était à la manœuvre derrière ces deux prix, l’excellent consultant horloger Olivier Muller]. On pourrait trouver d’autres (rares) exemples, mais ces exceptions – qui ne doivent représenter que moins de 3 % des prix distribués depuis vingt ans – ne feraient que confirmer une règle qu’on ne peut que déplorer : le GPHG ne laisse quasiment aucune chance aux nouvelles marques qui apparaissent sur le marché…

Prenons, par exemple, le cas de la toute jeune marque indépendante genevoise Genus, qui a choisi le GPHG 2019 comme rampe de lancement et comme tremplin médiatique (révélation Business Montres du 2 juillet). La marque, qui émerge tout juste sur la scène horlogère, est inconnue d’à peu près tous les membres du jury. Son horloger de référence, Sébastien Billières, s’il a beaucoup travaillé dans les coulisses et les arrière-boutiques de la haute horlogerie, a toujours été trop discret pour se mettre en avant et il n’était connu que d’une poignée d’initiés du microcosme méchanicien de Genève. Son associée, Catherine Henry, vient de nulle part [d’un point de vue horloger, s’entend !] et elle n’a aucune relation « utile » dans ce mundillo de la haute horlogerie. Aucun « pape » de la montre – qu’il soit d’antique noblesse (Jean-Claude Biver) ou de nouvelle aristocratie (Maximilian Büsser) – ne s’est penché sur le berceau de la GNS 1 qui porte tous les espoirs de la marque Genus. Pas un média horloger [à part Business Montres, dont c’est la fonction élémentaire] n’a repéré l’arrivée de cet « ovni » dans le paysage. Les détaillants qui opèrent dans cette gamme de prix [on est dans les 300 000 dollars] pour ce type de montre n’ont pas encore été contactés. On imagine qu’il faudra du temps pour que ce concept de reconquête d’un « temps en liberté », d’affichage circulaire et vaguement satellitaire des heures, de « chenillette » octoformée pour indiquer les dizaines de minutes et de disque numérique pour lire les unités de minutes mettra du temps pour infuser dans la mémoire séquentielle des collectionneurs…

Donc, sur le papier, Genus n’a pas la moindre chance de passer le barrage des présélections du GPHG 2019, surtout dans une catégorie comme « Exception mécanique », où le plateau est toujours très relevé puisqu’on devrait y régater cette année entre grandes marques très connues [heureusement pour tout le monde, Greubel Forsey a choisi de se retirer de la compétition] et entre outsiders horlogers de référence [genre Jacob & Co, HYT, Rebellion ou Konstantin Chaykin], tous déjà primés ou du moins rompus aux pratiques du GPHG. Sur le papier toujours, une chance sur quatre pour l’équipe de Genus d’être présélectionnée pour accéder à la finale et, à ce jour, pas mieux qu’une chance arithmétique sur vingt de décrocher le prix au mois de novembre [sans doute infiniment moins en tenant compte de tous les facteurs horlogers non mathématiques]. Pour Genus, le parcours du combattant ne fait que commencer, mais la partie semble perdue d’avance pour une première séquence au GPHG…

C’est peut-être là que le bât blesse et que le GPHG montre une certaine faiblesse dans l’accomplissement de sa mission première, qui serait la promotion au sens le plus large possible de la belle horlogerie genevoise – et non l’autopromotion égocentrique d’une poignée de privilégiés au cours d’une cérémonie endogamique rituellement codifiée. Ne manque-t-il pas un prix qui serait celui du « coup de pouce » à une jeune marque genevoise qui travaillerait dans les règles de l’art horloger [si tant est qu’on se soucie encore de ces règles à Genève] et dont le projet d’entreprise mériterait d’être encouragé ? Un prix annuel – à la disposition et à la discrétion des jurés – qui serait une sorte de « ticket d’entrée » accordé à la jeune pousse locale la plus prometteuse de l’année, qu’elle ait d’ailleurs ou non fait la démarche de s’inscrire. C’est tout à l’honneur du GPHG d’avoir su distinguer, dans les années passées, des talents prometteurs comme ceux de Laurent Ferrier, d’Habring 2, de Konstantin Chaykin, de Chronométrie Ferdinand Berthoud ou de Rexhep Rexhepi [sans parler, dans des temps plus reculés, de Vianney Halter, de François-Paul Journe, de HYT, de MB&F ou de Greubel Forsey]. Pour conserver sa dynamique et asseoir sa crédibilité [qui ne passe plus forcément par les seules « grandes » marques], le GPHG ne devrait-il pas se doter en 2019 d’un nouveau prix hors règlement intérieur résultant du droit d’autosaisine du jury ?

Décerner ce vingtième prix, en plus des dix-neuf qui sont officiellement annoncés, serait en quelque sorte un prix d’encouragement à la création contemporaine et un signal fort pour les jeunes professionnels de la future horlogerie suisse – tous ceux qui œuvrent pour rendre les montres mécaniques « great again ». On pourrait d’ailleurs élargir ce périmètre très au-delà de la Suisse, pourvu que la démarche de ces jeunes créateurs, encore très éloignés de la stratosphère où orbitent les majors, soit sincère, professionnelle, authentiquement inscrite dans une tradition de bienfacture, avec une volonté d’enrichissement de la tradition et l’ambition de témoigner d’une passion immémoriale pour les objets du temps. Si les jurés ont toutes les bonnes raisons qu’on imagine de claquer la porte au nez de ces insolents inconnus, ils ont aussi le devoir de ne pas négliger ceux qui risquent demain d’inscrire leur nom dans un grand livre où celui des gloires éphémères d’un passé récent s’efface déjà…

Inventons donc, lors du prochain GPHG, le prix de la marque qui n’a aucune chance d’en décrocher un, alors qu'elle le mériterait – ce qui laisse toutes ses chances à Genus. Ah bon, comment vous dites, ce n’est pas vraiment la vocation du GPHG ? C’est une mauvaise interprétation de ce que devrait être le GPHG ? Dans ce cas, si l’idée n’est pas d’encourager les jeunes marques indépendantes, c’est bien la preuve qu’il faut changer de GPHG…

GPHG 2019

Nos précédentes séquences sur le Grand Prix d’Horlogerie de Genève.

        ❑ GPHG 2019 #04   : Allez, MM les horlogers, encore un effort pour mériter une récompense ! (Business Montres du 26 juin)

        ❑ GPHG 2019 #03   : De toute façon, quoi qu’on en pense, il faut sauver le soldat GPHG ! (Business Montres du 11 juin)

        ❑ GPHG 2019 #02   : Un décodage sans faux-semblant de tout ce qui va changer pour le prochain GPHG (seconde partie : le nouveau règlement intérieur et les nouveaux prix) – Business Montres du 2 mai)

        ❑ GPHG 2019 #01   : Un décodage sans faux-semblant de tout ce qui va changer pour le prochain GPHG (première partie : le nouveau jury – Business Montres du 1er mai)

        ❑ GPHG 2018 #30   : Les dix changements radicaux qui peuvent éviter au GPHG 2019 un naufrage annoncé (seconde partie : Business Montres du 20 novembre)

        ❑ GPHG 2018 #29   : Les dix changements radicaux qui peuvent éviter au GPHG 2019 un naufrage annoncé (première partie : Business Montres du 19 novembre)


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