> 

ROCK’N’HORL 2021 (accès libre)
Il ne faut pas prendre les communistes chinois pour des enfants du Bon Dieu

Ce titre est emprunté au regretté Michel Audiard, qui avait réalisé en 1968 un de ses meilleurs films : « Il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages ». Il y avait un petit côté Antoine Blondin dans ce titre, mais le général de Gaulle l’immortalisera en l’utilisant dans une de ses conférences de presse. Tout ça pour dire que seuls les ravis de la crèche prennent le néo-totalitarisme chinois pour une institution de charité. La preuve par les enchères !


La maison d’enchères britannique Fellows (Londres) organise, le 19 avril prochain une vente horlogère sans rien de bien exceptionnel – à l’exception d’un lot tout-à-fait inhabituel : une montre chinoise ! Ce lot n° 173 vient d’être retiré, mais il figure encore à la page 39 du catalogue « papier » de la vente (ci-dessous). On y découvre une montre mécanique à remontage manuel assez ordinaire de la Beijing Watch Co. (boîtier en acier de 34 mm), avec un bracelet bicolore lui aussi assez pauvre, mais le cadran est plus excitant, avec le profil d’un soldat de l’Armée populaire de libération et une mention « 89.6 », suivie d’une inscription en chinois qui signifie « Souvenir de l’étouffement de la rébellion »...

Cette date et cette inscription ne peuvent faire référence qu’au mois de juin 1989 et aux fameux « événements de la place Tian’anmen, quand l’armée chinoise avait violemment réprimé les manifestations qui se déroulaient sur cette place et massacré au passage quelques opposants qui dénonçaient la corruption du régime et qui réclamaient des réformes politiques et démocratiques. Le monde entier s’était ému des images de ces massacres, notamment celle d’un étudiant qui stoppait à mains nues une colonne de blindés chinois (ci-dessous). Le nombre exact des morts relevés sur place [et dans l’autres villes chinoises], de même que leur identité précise, relève toujours en Chine du secret militaire – les estimations se situent autour de plusieurs milliers de victimes, voire plusieurs dizaines de milliers…

Cette montre fait partie d’une série qui avait été offerte par les dirigeants de la section du Parti communiste de Beijing et par la municipalité (communiste) de Beijing aux troupiers de l’Armée populaire de libération qui avaient participé à cette sanglante répression. C’est la première fois qu’une telle montre refait surface en Occident et qu’on en trouve une proposée aux enchères. Fellows précise que cette pièce sort d’une collection privée dont le propriétaire a préféré rester anonyme : la maison d’enchères l’estimait entre 2 500 livres et 3 500 livres.

Il se trouve que la montre a dû être retirée de la vente « en raison de menace proférées sur les réseaux sociaux », comme le précise le blog de Fellows, qui explique : « Notre équipe a entrepris de nombreuses recherches pour vérifier la provenance de cette pièce. À notre connaissance, le vendeur n'est associé ni à l'APL, ni au gouvernement chinois. En tant que maison de vente aux enchères, nous vendons souvent des objets ayant une histoire. Nous pensons que cet article présente un intérêt international. C'était un rappel des événements de juin 1989. Dans le passé, nous avons vendu des médailles de guerre de tous les côtés des conflits mondiaux, une bague commémorant le régicide de Charles Ier et des montres acquises auprès de prisonniers de guerre. Ce n'est pas à nous de commenter les événements du passé. Il est important pour nous de faire la lumière sur les événements historiques et d'en rendre compte de manière respectueuse et impartiale. Les menaces proférées sur les réseaux sociaux contre le propriétaire de cette montre ont amené le vendeur à exprimer des inquiétudes quant à leur sécurité. Nous avons pris la décision de retirer cette montre des enchères. ».

En clair, les autorités chinoises ont procédé, au Royaume-Uni, à leurs habituelles opérations inavouables de harcèlement numérique et de menaces contre tout ce qui leur paraît ressembler à une opposition. Des méthodes déjà mises en œuvre à Hong Kong et dans la périphérie chinoise contre des opposants politiques, avec des relais sur les puissants réseaux sociaux chinois, tous étroitement contrôlés par le régime communiste. C’est cependant la première fois que de telles pressions sont exercées, en Europe, contre une entreprise européenne qui se permet d’évoquer, même indirectement, cet épisode sanglant de l’histoire récente chinoise : ce n’est pas l’objet en soi – la montre – qui a choqué Beijing, mais ce que cet objet évoque et ce qu’il symbolise en rappelant à ceux qui auraient pu l’oublier que la Chine reste, sur cette planète et depuis un bon siècle, la nation qui a le triste record des plus grands massacres de sa propre population en temps de paix [on compte entre 40 millions et 80 millions de personnes les seules victimes de la « Révolution culturelle » menée par Mao Zedong].

En poussant la maison d’enchères Fellows à retirer piteusement ce lot n° 173 de sa prochaine vente d’horlogerie, Beijing affiche un peu plus clairement ce caractère néo-totalitaire dénoncé ici même récemment par Business Montres, qui mettait les marques horlogères en garde contre une collusion trop marquée avec ce régime, même au nom d’intérêts marchands bien compris (Business Montres du 18 mars et Business Montres du 21 mars, avec un complément directement relié à l’univers de la onde : Business Montres du 29 mars). Le parallèle avec le Reich hitlérien de la fin des années 1930 reste pertinent : que dirait-on si l’Allemagne faisait aujourd’hui pression pour interdire la vente aux enchères de montres de la Waffen SS qui glorifieraient les camps de la mort ? Ce n’est pas ici une différence de nature, mais de degré dans la common indecency. Quand acceptera-t-on de considérer les Chinois, qui sont déjà tout sauf des interlocuteurs commerciaux fiables et loyaux, comme des partenaires dangereux et moralement condamnables ?


Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter