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MONTRES & HISTOIRE (accès libre)
La rarissime Panerai « démilitarisée » de l’amiral n’en est que plus militairement passionnante

Dans les archives de la marque, c’est la Luminor Marina réf. 6251 1, n° 124591 : datée des années 1950, elle a été offerte à l’amiral Cataldo Gigantesco en 1983. C’est un triple concentré d’histoire, d’horlogerie et d’investissement intelligent – une montre garantie sans certificat bidon du musée Panerai…


Laissons la parole à un vrai passionné de montres, qui est aussi, du fait même de sa passion, un des experts les plus intransigeants et un des plus exigeants de la scène horlogère européenne. Geoffroy Ader nous présente cette montre, qui sera vendue aux enchères le 28 juin prochain par l’étude française Aguttes (lot n° 5) : « De tous les temps, l’homme a voulu conquérir les profondeurs sous- marines, il fallait donc une “montre-outil” qui puisse le guider par tous temps et notamment au cœur de l’obscurité, qui comme chacun le sait est un des traits majeurs des plongées en eaux profondes ou encore lors d’expéditions spéciales durant la Seconde Guerre mondiale. En effet, les nageurs de combat italiens qui sont devenus pour certains des héros à titre militaire lors de cette guerre ont largement contribué à la légende des montres vintage Panerai qui s’est emparée du monde des ventes aux enchères internationales. C’est toujours un moment particulier pour l’expert de pouvoir croiser le chemin de ces montres de plongées historiques. Ayant déjà eu l'occasion de pouvoir expertiser celles de l’Amiral Birindelli puis celle du vice-Amiral Amedeo Vesco, c’est une chance de pouvoir croiser à nouveau le chemin de celle offerte à l’Amiral Cataldo Gigantesco. Au-delà de la “montre-outil” qui était utilisée par les nageurs de combat, notre exemple porte une signification particulière puisqu’elle a été “démilitarisée” et récompense la vie d’un homme qui a dédié son existence à la Marine militaire italienne et dont les exploits sont reconnus à leur juste valeur avec cet objet symbolique. Cette montre historique ayant appartenu à l’un des plus hauts gradés des forces armées italiennes depuis l’après Seconde Guerre mondiale, est un véritable trophée pour un collectionneur passionné de montres vintage et militaires en particulier ». 

Entre les années 1930 et 1990, Panerai aurait livré moins de 500 montres à la Marine italienne. Cette Luminor Marina (réf. 6251-1, n° 124591) est enregistrée dans les archives des plus grands spécialistes de la marque depuis 2007. Elle est répertoriée dans le livre de référence Vintage Panerai The references 1950’s-1960’s, paru en 2016 et édité par Ralf Ehlers et Volker Wiegmann, reconnus comme les plus grands spécialistes de montres Panerai militaires. La démilitarisation de la montre, ainsi que les gravures visibles sur le fond de boîte y sont évoquées et reproduites, avec l’aide d’explications écrites sur ce modèle et son historique. Elle a été vendue pour la première fois en 2007 par le fils de l’Amiral Cataldo Gigantesco à un collectionneur français, qui l’a cédée quatre ans plus tard à un autre collectionneur français, lequel l’a conservée jusqu’à ce jour. Rares sont les pièces historiques qui réapparaissent sur le marché ou en ventes publiques. Équipé d’un mouvement Rolex avec calibre 618, notre exemplaire est une montre particulièrement rare : à ce jour, seuls 64 exemplaires du modèle 6152-1 combinant mouvement Rolex et protection de couronne sont répertoriés. Accompagnée d’une notice complète sur l’Amiral Cataldo Gigantesco, transmise lors de la première session par la famille, cette montre historique est sérieusement documentée. À ce titre, cette montre est une pièce de qualité muséale que chaque collectionneur en quête d’une pièce historique doublée d’une provenance prestigieuse rêve de faire entrer dans sa collection…

Ici, une parenthèse sur le « mouvement Rolex » dont il est question ci-dessus. Dès 1900, Panerai s’affirme comme l’un des plus grands détaillants d’horlogerie suisse en Italie et le revendeur officiel des plus grandes marques de luxe comme Vacheron Constantin, Longines ou encore Patek Philippe. Mais c’est avec Rolex, cette nouvelle manufacture qui apparaît en 1905 dans le paysage horloger, que la firme italienne va développer des relations commerciales extrêmement étroites. Panerai sera d’ailleurs, le premier détaillant à importer la marque à la couronne en Italie. En 1922, Rolex commercialise la Submarine, la toute première montre équipée d’un boîtier étanche capable de résister à une immersion dans l’eau. En tant qu’équipementier de la Marine Royale, Panerai est particulièrement enthousiasmé par cette découverte. En 1926, Rolex concrétise ses recherches en matière d’étanchéité et fait breveter son mythique boîtier sous le nom de code « Oyster ». La fiabilité de cette innovation est rapidement médiatisée par l’exploit de la britannique Mercedes Gleitze qui, le 7 octobre 1927, réalise la traversée de la Manche à la nage équipée d’une montre Rolex « Oyster », non pas au poignet mais autour de son cou comme en témoignent les images d’archives de l’époque. Un journaliste du Times écrit à l’époque : « Mlle Gleitze a emporté une petite montre en or qui a parfaitement fonctionné durant tout le temps passé sous l’eau. » Cette performance va séduire Panerai qui imagine alors un projet de montre étanche et lumineuse, véritable outil de précision, qui permettrait aux commandos de la Marine de coordonner des troupes et des opérations militaires dans les conditions les plus hostiles, c’est-à-dire de nuit et sous l’eau. 

Précisions à ce sujet de Geoffroy Ader : « Ce projet militaire ultraconfidentiel, développé par Giuseppe Panerai, va faire l’objet de plusieurs années de recherches et développement. La firme italienne se fournit en boîtiers et mouvements auprès de Rolex, mais compte tenu des enjeux militaires, elle va demander à la marque suisse de réaliser des boîtiers et des mouvements sur mesure, de manière à répondre aux spécifications techniques exigées par Giuseppe Panerai. Dans la plus grande discrétion, Rolex va alors mettre en place une ligne spéciale de production dédiée à son client italien. Ce n’est qu’au printemps 1936 que le modèle “Radiomir” de la montre Panerai va être testé et approuvé par le haut commandement du premier groupe de sous-marin de la Marine italienne. Se révélant “excellente à tous les niveaux”, cette première montre fournie à la Marine Italienne va faire l’objet d’une série de modifications et innovations, et différentes versions, répertoriées sous plusieurs références, verront le jour au fil des ans. En 1939, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, la collaboration entre Panerai et Rolex s’intensifie et une clause d’exclusivité entre les deux marques apparaît. La collaboration qui a existé entre Panerai et Rolex n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’horlogerie. Rolex n’a jamais fabriqué de montre pour une autre marque, hormis Panerai, ce qui explique pourquoi cette double signature est aussi fascinante et suscite autant d’intérêt de la part des collectionneurs du monde entier. Mais si les montres Panerai sont aussi légendaires, c’est avant tout parce qu’elles sont les premières véritables montres professionnelles de marine de tous les temps, essentiellement destinées aux nageurs de combat qui formaient l’élite de la Marine militaire italienne. Si la collaboration entre Panerai et Rolex a autant marqué l’histoire de l’horlogerie, c’est parce qu’elle raconte comment deux manufactures, en fédérant leurs efforts de recherches et expérimentations sur la phosphorescence et l’étanchéité, sont parvenues à développer des montres fiables même dans les conditions les plus extrêmes ».

Parmi les modèles qui ont écrit la légende Panerai, deux références sont absolument incontournables : 3646 et 6152. La référence 3646 est produite en série dès 1938 pour les nageurs de combat de la Marine militaire italienne. Si cette montre est mythique pour tout collectionneur, c’est parce qu’elle introduit les jalons du « style Panerai » : un boîtier extra-large de forme « coussin ». Ce boîtier de 47 mm est associé à un mouvement aux proportions généreuses réalisé à partir d’une ébauche sur la base du calibre 618, réalisé par Cortebert, un fabricant suisse renommé et spécialisé dans la production de pièces horlogères pour montres de poche et montres de cheminots. Cette « montre-outil », grâce à son cadran « Radiomir » offre une lisibilité incomparable aux plongeurs, et ce même en eaux troubles, ce qui sera d’ailleurs d’une grande aide pour les missions spéciales des nageurs de com- bats italiens ou allemands. Plusieurs versions, déclinées sous les appellations Type A, B, C, D et allant même jusqu’à G, furent manufacturées jusqu’en 1944. Toutes sont équipées de couronnes vissées Rolex dite « grosse couronne ». La production totale de la référence 3646 est estimée à 1 345 pièces, mais compte tenu de leur utilisation en condition extrême, seulement peu de montres ont survécu et à ce jour, uniquement 211 exemplaires sont répertoriés. 

Retour aux lumières de Geoffroy Ader pour la référence 6152, qui est celle de la Luminor Marina de l’amiral Gigantesco (ci-dessous) : « Dans les années 1950, le ministère de la Défense navale en Italie renforce ses exigences et demande à Panerai des montres plus robustes pour équiper ses hommes. Panerai introduit alors la références 6152 puis son évolution, la référence 6152-1 qui sera l’accomplissement ultime pour la marque Panerai. La référence 6152 apparaît en 1954, elle est aujourd’hui considérée par tous les amateurs comme le modèle le plus abouti et incontournable de la marque, puisqu’il a directement inspiré la plupart des montres de la collection actuelle. Après une phase de tests, réalisés en conditions réelles, le modèle 6152 est revu et amélioré pour correspondre davantage aux exigences des nageurs de combat italiens et une nouvelle version voit le jour en 1955 sous la référence 6152-1. Cette montre est révolutionnaire, car elle offre pour la toute première fois un vrai système de protection de couronne bien particulier et breveté par Panerai. Désormais emblématique de la marque, cet élément clé au design si spécifique témoigne de la modernité de Panerai et de l’importance accordée à l’esthétique des pièces manufacturées. Autre innovation apportant plus de robustesse à la montre : des cornes renforcées, façonnées directement dans le bloc d’acier ayant servi à usiner le boîtier. Du côté du mécanisme, deux calibres se succèdent dans le modèle 6152-1 : le calibre 618 produit par Rolex qui est le plus rare, ainsi que le calibre SF240 manufacturé par la maison Angelus. Au cours des années 1960, si le cadran « sandwich » perdure, la composition de sa matière luminescente évolue, au vue des contraintes réglementaires pour l’utilisation du radium, notamment sa matière radioactive. L’utilisation du radium étant proscrite en faveur d’un nouveau matériau à faible rayonnement, le tritium, les montres “Radiomir” cèdent définitivement la place aux cadrans “Luminor”. C’est ainsi que va apparaître sur les cadrans la mention “Luminor” qui donnera naissance au mythe ultime de la marque Panerai, tel que notre exemple qui est typique de la production des années 1950 ». 

Parce que son histoire est intimement liée à celle de la Marine militaire italienne, la marque Panerai et son ADN vintage reste dans l’inconscient collectif, et dans le cœur des collectionneurs, l’équipementier historique des nageurs de combat italiens. De toutes les unités de nageurs de combat qui ont fait la gloire de la Marine militaire italienne, la Xe Flottiglia MAS, connue aussi sous le nom de Decima MAS, est la plus mythique. Créée en 1939, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, cette unité d’élite est spécialisée dans l’assaut et dans le sabotage de navires. Portée par des plongeurs courageux et héroïques, à l’image du militaire Teseo Tesei, qui se sacrifia en mission au large de Malte en 1941, la Decima MAS s’est affirmée comme l’une des forces militaires les plus efficaces durant les combats de la Seconde Guerre mondiale. Malgré des ressources et des moyens limités, le talent des hommes-grenouilles de la Xe Flottiglia MAS est d’avoir eu recours à des tactiques navales peu conventionnelles, et développé des stratégies offensives jusqu’alors inédites. À l’issue du conflit mondial, la Decima MAS est réorganisée et rebaptisée en 1952 « Commando Raggruppamento Subacquei e Incursori “Teseo Tesei” », en hommage à l’un de ses hommes. Plus connue sous l’acronyme Comsubin, elle est toujours active aujourd’hui et compte plusieurs subdivisions, dont le fameux GOI, abréviation de « Gruppo Operativo Incursori », qui représente les forces d’opérations spé- ciales maritimes de la défense italienne. S’inscrivant dans la lignée des hommes- grenouilles de la Flottiglia MAS, les hommes du GOI (ci-dessous) ont hérité des principes fonda- teurs, des traditions, mais aussi de l’esprit des nageurs de combat qui les ont précédés. Considérée comme l’une des unités d’élite les plus performantes à l’échelle internationale, le GOI est admiré, mais aussi redouté par certains États, car cette organisation aurait entre 10 et 15 ans d’avance en matière de stratégie et tactique sur certains pays pourtant dotés d’une défense solide. 

Parce qu’elles ont été l’instrument de plongée privilégié des héros de la Seconde Guerre mondiale, les montres Panerai fascinent les collectionneurs du monde entier. Rares sont les exemples passés en vente aux enchères avec une provenance parmi l’élite des officiers les plus hauts gradés de la Marine militaire italienne. Véritables vestiges d’un passé glorieux, elles racontent comment « un horloger de Florence » a convaincu Rolex, la marque horlogère suisse la plus célèbre, de leur fabriquer des montres iconiques dans l’histoire de la montre bracelet militaire au siècle dernier. En fédérant leurs génies et découvertes, Panerai et Rolex ont permis à des hommes de se dépasser et de réaliser des exploits incroyables dans des conditions les plus extrêmes. Georffroy Ader nous en dit plus : « Présentée pour la toute première fois en vente publique, notre exemplaire, une référence 6152-1, a appartenu à l’Amiral Gigantesco, figure emblématique du Comsubin, unité d’élite de la marine italienne qu’il dirigea pendant plusieurs années. Né en 1929 à Tarente, en Italie, Cataldo Gigantesco entre dans l’armée italienne en 1948, à l’âge de 19 ans. 15 ans plus tard, en 1963, il est nommé Amiral Commandant en chef des nageurs de combats italiens, dont la base militaire se situe à Varignano. À ce titre, il dirigera les hommes du mythique GOI (Gruppo Operativo Incursori). Le 25 octobre 1983, à l’issue d’une brillante carrière militaire récompensée par plusieurs décorations, l’Amiral Cataldo Gigantesco reçoit cette montre historique en cadeau de départ à la retraite. Cette montre de plongée offerte par les nageurs de combat de l’unité du GOI est unique en son genre avec cette incision ronde au dos du boîtier, ce qui en fait l’une des très rares Panerai vintage dite “démilitarisée”. À ce jour, on ne connait que très peu d’exemples de ce genre. La montre de l’Amiral Gigantesco (ci-dessous) fait partie des trois exemples qui sont répertoriés dans l’ouvrage de référence sur les Panerai vintage, écrit par Ralf Ehlers et Volker Wiegmann. Manufacturée par Rolex dans les années 1950, et livrée par Panerai à la Marine Italienne, ce modèle est particulièrement intéressant puisqu’il s’agit d’un rare exemplaire “démilitarisé”. La Marine Italienne, consciente que l’excellence de ses nageurs de combat est très enviée et elle prend des dispositions radicales pour éviter que le matériel ou l’équipement de ses plongeurs soient étudiés ou copiés par d’autres armées. À une époque où l’espionnage industriel est très en vogue, la décision d’usiner certaines montres, afin de ne pas permettre de les identifier comme équipement militaire, va s’imposer. L’effacement de tout marquage militaire sur le boîtier va être l’une des astuces utilisées, ce qui explique cette incision circulaire au centre tel “un rond creux au centre du dos du boîtier”. Notre exemplaire est particulièrement insolite, car si son boîtier fut usiné, il fut également personnalisé pour l’occasion et dédicacé à l’un des plus hauts gradés de la Marine militaire italienne. Ainsi, au dos la mention “All’ Amm Cataldo Gigantesco il G.O.I. Varignano 25-10-83” rend hommage au parcours d’un homme qui, entré dans la Marine Italienne à l’âge de 19 ans, est parvenu à se hisser au plus haut grade de la Marine Italienne en ayant le commandement de l’une des unités d’élites de nageurs de combats parmi les plus prestigieuses au monde ».

(remerciements à l’excellent Geoffroy Ader pour la mise à disposition de ses recherches sur cette Panerai exceptionnelle)

 

Coordination éditoriale : Eyquem Pons



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