LAURENT BESSE : Bientôt trois décennies d’expérience pour un grand « méchanicien » qui a toujours plus d'une belle idée dans son sac...
Le 07 / 07 / 2014 à 03:00 Par Le sniper de Business Montres - 2992 mots
Laurent Besse est un grand timide en public, mais c’est un grand créatif devant sa planche à dessin. C'est un des piliers secrets de cette ingénierie mécanique horlogère, sans laquelle les montres suisses n’auraient pas reconquis le monde : ses 20 réponses à nos questions à bout touchant…
▶▶▶ LAURENT BESSE20 questions horlogères à bout touchant et 20 réponses sans concessions
Laurent Besse est un grand timide en public, mais c’est un grand créatif devant sa planche à dessin. C'est un des piliers secrets de cette ingénierie mécanique horlogère, sans laquelle les montres suisses n’auraient pas reconquis le monde : ses 20 réponses à nos questions à bout touchant…
▶▶▶ LAURENT BESSE20 questions horlogères à bout touchant et 20 réponses sans concessions au médiatiquement correct... ◉◉◉◉ LAURENT BESSE FÊTERA DANS QUELQUES MOIS les trente ans d'un parcours horloger qui l'a vu opérer sur de nombreux fronts créatifs, de ses premiers établis à ses derniers dossiers chez Corum, dont il vient de quitter le radeau de La Méduse. Il y a une dizaine d'années, il avait cru pouvoir donner forme à son rêve en créant Les Artisans Horlogers, atelier qui a fonctionné pendant sept ans et auquel on doit quelques « montres et merveilles » de l'âge d'or des concept watches (années 2000). Aujourd'hui, c'est un homme libre qui jette un regard sur sa trace, sans illusions sur les paillettes comme sur les grandeurs d'une horlogerie qui se trouve, comme il y a trois décennies, à la croisée des chemins. Vingt questions en rafale et vingt réponses du tac au tac... 1 • BUSINESS MONTRES : Déjà un quart de siècle depuis la première loupe à l'oeil ?LAURENT BESSE : C’est même un peu plus ! 29 ans depuis le premier établi en 1985, à l’Ecole d’Horlogerie de Besançon, dont je sors en 1991 avec quatre diplômes en poche. Direction : La Nouvelle Lémania, à la vallée de Joux avec mon premier contrat pour un poste au bureau d’étude. La société étant, à l’époque, un fournisseur multimarques, j’ai eu la chance de travailler pour Breguet, Vacheron Constantin, Piaget, Patek Philippe, Heuer, Le Marquand, Alain Silberstein, Daniel Roth, Eberhard, Lassale, Paul Picot et d’autres. La liste est trop longue. Cela a constitué une très belle opportunité de formation pour la suite de ma carrière. 2 • BUSINESS MONTRES : Ton mouvement préféré parmi toutes tes créations ?LAURENT BESSE : J’ai toujours beaucoup de peine à répondre à cette question. Je ne renie pas ou n’adule pas mes créations, car elles ont toutes égales à mes yeux. Elles sont toutes mes bébés, avec leurs qualités et leurs défauts. Après ,je préfère parler de fierté et j’ai un pincement au cœur quand une montre est récompensée en ayant comme moteur un de mes mouvements. C’est le cas avec le Grand Prix de d’Horlogerie de Genève pour MB&F en 2011 (Horological Machine N°4 en 2011), pour la Zenith Stratos Flyback Striking 10th en 2013 et d’autres encore… 3 • BUSINESS MONTRES : Peux-tu nous définir ton métier ?LAURENT BESSE : J’ai un but, une passion, un métier. Je suis créatheur (au masculin), au féminin, créatheuse. Un inventeur horloger à la recherche technique et artistique, avec, pour objectif, l’obtention de la représentation des douze filles de Cronos. La représentation la plus marquante, la plus singulière, la plus sensuelle et et la plus différenciée. 4 • BUSINESS MONTRES : Ton meilleur souvenir d'horloger ?LAURENT BESSE : Il y en a plusieurs, mais le principal reste quand même la petite seconde excentrée qui est devenu un incontournable pour la marque Piaget. Il faut savoir que le directeur produit de l’époque m’avait ordonné de stopper ce projet 551P, car la position de la seconde n’était pas habituelle. Je n’ai pas été très obéissant, mais j’en suis fier car cette petite idée dérangeante est devenue emblématique pour une marque. Et d’autres qui ont suivi… 5 • BUSINESS MONTRES : Et ton pire souvenir de galère mécanicienne ?LAURENT BESSE : Là aussi, ils sont pluriels. En règle générale, une vraie galère mécanique est intimement liée à une galère commerciale et financière. La principale est liée à mon refus de promettre les livraisons de l’Opus 3 réétudiée pour une date illusoire, ce qui a engendré la perte de ce contrat ainsi que celui de l’Opus 6. L’honnêteté ne paye pas toujours… 6 • BUSINESS MONTRES : Ton pire regret ?LAURENT BESSE : La pire des choses est de n’avoir pas réussi, envers et contre tous, à sauver une structure de manufacture mouvements après des années de travail. C’est une bataille permanente pour monter des équipes, de rendre cohérents la structure et les profils des intervenants. Il y a de la joie et des larmes, de la satisfaction et de la douleur, jusqu’à l’aboutissement final d’une société fonctionnelle avec des personnes heureuses et épanouies dans leur travail. Et, d’un seul coup, le couperet financier passe par là sans logique, ni discernement… Ma satisfaction reste que les personnes ont trouvé rapidement du travail correspondant à leurs profils. 7 • BUSINESS MONTRES : Ce que tu as fait de plus difficile/plus compliqué sur le plan mécanique ?LAURENT BESSE : C’est le développement et la mise au point de mon idée Maelström. La mise en position horizontale de l’échappement par rapport à la gravité dans une montre bracelet est typiquement le genre de produit très novateur et défricheur. Cela demande d’énormes engagements, de mise au point, de temps, d’ingéniosité, de patience, de ressources financières et cela sans en connaître la réussite finale. C’est le réalisme sur les moyens d’une petite structure qui m’a imposé de mettre en attente la finalisation de ce produit. 8 • BUSINESS MONTRES : Ta lecture préférée concernant les objets du temps ?LAURENT BESSE : C’est la revue Horlogerie Ancienne, de l’AFAHA. Une mine d’informations très pertinente… 9 • BUSINESS MONTRES : Ta montre préférée ?LAURENT BESSE : C’est la Breguet Tradition, car cette pièce est une pure réussite. Elle reste dans l’esprit traditionnel et classique de la marque, tout en propulsant celle-ci dans une approche contemporaine et moderne. Cette montre est une vraie liaison entre son passé et son futur. C’est intelligent et bien fait… 10 • BUSINESS MONTRES : De quelle montre rêverais-tu si tu pouvais te la procurer ?LAURENT BESSE : Une HM N°4 (ci-dessus). 11 • BUSINESS MONTRES : Trois grands noms de l'horlogerie dans ton panthéon personnel ?LAURENT BESSE : Les trois B : Berthoud, Bonniksen et Breguet. 12 • BUSINESS MONTRES : Qu'est-ce qui a le plus changé dans le métier au cours de ce quart de siècle ?LAURENT BESSE : Principalement les niveaux de compétences. Au début des années 1990, le milieu manquait cruellement de personnes formées, et cela à tous les niveaux. La crise du quartz avait dévalorisé les métiers de l’horlogerie et peu de jeunes prenaient le risque de venir dans une formation débouchant sur une hypothétique place de travail. Actuellement, on est dans une logique inverse et c’est très dynamisant intellectuellement. C’est bien mais soyons attentif aux évolutions, car nous sommes devenu, par facilité, nombrilistes dans nos axes de recherche. 13 • BUSINESS MONTRES : Qu'est-ce qui t'a le plus frappé dans les évolutions récentes du métier de « machinateur » ?LAURENT BESSE : Cette fuite en avant dans le développement de produit, sans une réflexion sur l’utilisation finale et le confort du consommateur. J’ai la chance de pouvoir tester une multitude de montres et je suis sidéré du peu de considération du consommateur final. Entre les boucles qui blessent les poignées, les montres impossibles à remonter sans se blesser, les angles des boîtes destructeurs des manches et de poignets, les impossibles lectures des informations, c’est un enfer… le soir, on abandonne la montre avec jouissance ! Quelques marques font vraiment bien ce travail d’optimisation, mais trop le négligent, alors que le détail est l’adage du luxe – bien plus que le prix de vente. 14 • BUSINESS MONTRES : Ta complication préférée ?LAURENT BESSE : C’est la montre Leroy n° 1 avec ses 24 complications. Pour moi, cette pièce présentée à l’Exposition Universelle de 1900 à Paris reste vraiment emblématique. C’est une vrai prouesse pour l’époque. C’est l’ère des frères Lumière, du premier métro parisien, du trottoir roulant, mais, surtout, cette montre représente presque un siècle de référence absolue dans l’horlogerie. 15 • BUSINESS MONTRES : La montre que tu rêverais d'inventer ?LAURENT BESSE : Une fonction dans une montre mécanique qui communiquerait avec nos téléphones portables. J’ai déjà plusieurs ébauches d’idées et je rêve de trouver celle qui sera vraiment utile dans une montre, sans partir dans l’excès de la montre qui remplace intégralement le téléphone. Ce qui n’est pas forcement judicieux et surtout pas pratique… 16 • BUSINESS MONTRES : L'idée que tu regretteras toujours de ne pas avoir eue avant les autres ?LAURENT BESSE : La montre mécanique sans l’assortiment conventionnel de type ancre-balancier spiral… 17 • BUSINESS MONTRES : Si on te donnait carte blanche, tu ferais quoi, là, tout de suite, sur un établi ?LAURENT BESSE : Un concept de montre chronographe n’ayant que trois aiguilles, avec un système de sélecteur pour commuter de la fonction horaire à la fonction chronographe sans perte d’état. J’ai trouvé dernièrement une solution mécanique relativement simple et viable qui permet de faire cette fonction. A la disposition de celui qui me donnera carte blanche ! 18 • BUSINESS MONTRES : Voudrais-tu que ton fils soit horloger ?LAURENT BESSE : Comme beaucoup de pères, j’avais ce souhait, mais il ne veut pas suivre cette voie. Qu’il fasse ce qu’il veut, pourvu que ce soit par passion. Il a d’immenses facilités, donc je ne suis pas trop soucieux. Au final, on fait les enfants pour eux, pas pour nous… 19 • BUSINESS MONTRES : Que penses-tu de l'avenir des montres mécaniques – face aux smartwatches ?LAURENT BESSE : Je pense clairement que les montres mécaniques ont un avenir, moyennant l’acceptation de certaines évolutions que certains considèrent comme des entorses aux règles de l’art. L’apport de système, même à base d’électronique, n’est pas à mon sens une hérésie. La proposition d’Urwerk avec l’EMC est un bel exemple. Pourquoi ne pas faire ce type de démarche en faisant communiquer nos montres mécaniques afin d’obtenir certaines informations de type appel en absence sans sortir de notre poche de pantalon ce fameux portable ? 20 • BUSINESS MONTRES : Au regard de tes dernières aventures professionnelles, comment tu envisages la suite ?LAURENT BESSE : Je suis actuellement dans une grosse phase d’introspection (ci-dessous, en phase de méditation inventive). J’ai un parcours assez hors du commun, qui m’a fait passer dans quasiment tous les types de structures existantes. Toutes ont des points forts et des points faibles. Même si j’ai une grande expertise dans le développement de mouvements in-house industriels, avec l’implantation de toutes les structures annexes, je suis un constructeur horloger dans l’âme et j’ai un besoin viscéral d’être derrière un écran pour mettre en forme mes idées. Quelle que soit ma décision par rapport à mes contacts actuels, il y a un élément qui est sûr : je continuerai le développement de produits horlogers, quand bien même je devrais plus faire que cela. C’est ma raison de vivre dans ce milieu, c’est ma passion. A bientôt avec des nouvelles créations… D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTESDE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...