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INFOX (accès libre)
Mais qui a donc intérêt à de telles manipulations de l’actualité horlogère ?

C’est l’info horlogère qui a le plus circulé la semaine dernière, sous le manteau, mais c’était une infox tellement évidente qu’on a du mal à comprendre comment certains médias horlogers ont pu se laisser prendre. La bonne question, c’est de savoir qui joue à quoi avec ce genre de fake news…


Pour mémoire, selon la terminologie officielle de la francophonie, une « infox » – mot formé par le mariage d’« information » et d’« intoxication » – est l’équivalent exact de la fake news anglo-saxonne, vocable confirmé par le Journal officiel de la République française. Selon la linguiste Jeanne Bordeau, le mot « infox » figurait déjà dans le palmarès des mots les plus employés par les médias en 2018…

Pour ce qui est de la planète Montres, la plus belle et de la plus récente de ces infox reste celle qui a enflammé, au milieu de la semaine dernière, tout le village horloger. Il s’agissait d’une (fausse) circulaire envoyée par la manufacture Rolex à ses réseaux, pour les informer que la pénurie de gaz (?) allait contraindre la marque à réduire sévèrement – de moitié ! – ses volumes de production entre le début novembre 2022 et la fin mars 2023. Tout dans cette circulaire (en bas de la page) sentait le canular, du bricolage de l’en-tête à la signature verte de Jean-Frédéric Dufour, en passant par le style ampoulé de la rédaction, l’anglais laborieux, le vocabulaire choisi et même l’absurdité du propos. Il s’est tout de même trouvé quelques « influenceurs » assez stupides pour faire état de cette infox, quelques rares médias s’y laissant bêtement prendre. Il aurait pourtant suffi de téléphoner aux premiers intéressés – les authorized dealers – pour comprendre que tout le monde avait reçu cette lettre, sauf, précisément ses destinaires supposés…

Soyons beaux joueurs et admettons qu’une telle circulaire aurait pu fait l’objet d’un de ces fameux « poissons d’avril » lancés pendant des années par Business Montres : nos lecteurs se souviendront que certains avaient été pris très au sérieux par les personnes et les marques concernées – lettre d’avocat à l’appui ! Ceci en admettant aussi que notre « poisson d’avril », si nous en avions imaginé un sur le même thême, aurait été mieux « ficelé » et probablement plus crédible…

Ce qu’il faut maintenant se demander, c’est qui a lancé une telle infox et surtout pourquoi ? Si la (fausse) circulaire de Jean-Frédéric Dufour n’a mis que quelques heures à faire le tour du village planétaire de l’horlogerie, c’est qu’elle a fait vibrer une corde sensible qui révèle de profondes inquiétudes…

• Il était d’autant plus facile de s’attaquer, sur ce thème, à Rolex, que la question des volumes livrés par la marque aux boutiques et aux détaillants est un sujet qui fâche, même si la maison Rolex semble faire ce qu’elle peut pour atténuer les tensions sur son propre marché. Les bricoleurs de cette infox jouaient sur du velours pour exciter les nerfs fragiles et à vif de la communauté horlogère…

• Il était sans doute plaisant de « piéger » quelques médias horlogers – ce qui prouve au passage la déconsidération qui les frappe puisqu’on les imagine capables de gober sans sourciller de telles sornettes. Le ridicule médiatique ne tuant plus personne depuis longtemps, le risque de dégâts collatéraux était réduit : on ne déplore pas le moindre suicide chez les gogos… En tout cas, la « manip » a échoué et ceux qui sont tombés dans le piège ont dû faire amende honorable…

• Il était probablement plus intéressant de tester la réactivité nerveuse des réseaux sociaux de l’horlogerie : cette infox a pu fonctionner comme un sismomètre de nos angoisses et de nos peurs. À chacun de ceux qui ont reçu communication de cette (fausse) circulaire de se demander de qui elle provenait et auprès de qui elle avait pu circuler auparavant : l’analyse plus fine du document transmis (le code source et tout le reste) réserverait probablement de jolies surprises. Notre pronostic : il y a, dans un ou deux grands groupes horlogers, assez de managers désœuvrés pour perdre leur temps à ce genre de fantaisie – sauf que le degré zéro de leurs connaissances horlogères et leur absence de subtilité a gâché ce qui aurait pu devenir une belle opération de manipulation collective. Tout le monde sait que le manque d’humour est assez contagieux chez Richemont…

• Il était de toute évidence inévitable de voir la manœuvre échouer : le coup n’était pas assez élaboré, ni correctement travaillé, même s’il a permis de vérifier la fulgurante diffusion en traînée de poudre d’une fausse information aussi manifeste. Le Premier avril est passé depuis longtemps : serait-ce l’anticipation funèbre d’un Halloween rigolard ? Le Trick or Treat adulescent d’un nouvel esprit frondeur dans l’actualité des montres ? Difficile de croire à la joyeuse pochade d’après quelques mojitos bien tassés, donc l’interrogation demeure : qui et pourquoi ?

• Il aura été clairement utile pour Rolex (en même temps qu'amusant) de vérifier lesquels de ses authorized dealers ont appelé la maison mère pour s’enquérir naïvement de l’authenticité d’une circulaire aussi ouvertement bidonnée : ces multiples appels en disent long sur la confiance qu’un réseau attribue à sa marque et sur le niveau de maturité socio-culturelle de ce réseau…

Nous en tenons pour une sorte de tir à blanc, une expérience in vitro, une forme de galop d’essai toujours utile avant de passer à des infox plus sérieuses et éventuellement plus destructrices. Le microcosme horloger est un champ d’expérimentations presque chimiquement pur pour ce genre d’opération : une communauté confinée, peu rodée à ce genre d’exercice mais très sensibilisée par certaines problématiques, avec des réseaux sociaux éruptifs, anxieux de ne pas être à la hauteur [on les comprend : c’est généralement le cas !] et avec des relais d’opinion qui ont les nerfs en ébullition faute de posséder le calme des vieilles troupes. Il suffit de pincer la bonne corde et de trouver les bons échos pour déclencher une cacophonie perturbatrice. C’était le but recherché. Il serait étonnant que les auteurs de ce gag qui a pollué les conversations horlogères s’en tiennent là : c’est trop drôle de voir les ravis de la crèche perdre leurs nerfs...


Coordination éditoriale : Eyquem Pons


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