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MB&F #1 : Le futur s’écrit au passé recomposé (Legacy Machine n° 2)

Connaissez-vous l’« effet Lindy » ? Il illustre l'éternel retour de l'identique dans les cycles de la mode, y compris pour l'horlogerie. Les bonnes idées durent longtemps : c'est donc dans les tiroirs de la tradition qu'on peut aujourd'hui redessiner l'avenir des montres. Les montres à double balancier ont à peu près 250 ans : le futur leur appartient...  ▶▶▶ LEGACY MACHINE n° 2Un double balancier de haute lignée mécanique... …


Connaissez-vous l’« effet Lindy » ? Il illustre l'éternel retour de l'identique dans les cycles de la mode, y compris pour l'horlogerie. Les bonnes idées durent longtemps : c'est donc dans les tiroirs de la tradition qu'on peut aujourd'hui redessiner l'avenir des montres. Les montres à double balancier ont à peu près 250 ans : le futur leur appartient... 

 LEGACY MACHINE n° 2
Un double balancier de haute lignée mécanique...
◉◉ L’« effet Lindy » nous révèle que plus une technologie existe depuis longtemps, plus elle a une chance de durer tout aussi longtemps : existant depuis un bon siècle, la montre-bracelet a de bonnes chances d’être encore là dans un siècle (tentative de démonstration argumentée, mais on en trouve de nombreux exemples dans le nouveau livre de Nassim Nicholas Taïeb, Antifragile: Things That Gain from Disorder). Les bonnes idées vivent dans la plus longue durée : Homère est une maître à rêver depuis trente siècles – sans doute, le sera-t-il toujours dans trente siècles. C’est donc vers le passé qu’il faut regarder pour tenter de comprendre l’avenir : ce passé est celui de la tradition – ce qui, justement, ne passe pas dans ce passé – qui nous revient sous une forme toujours renouvelée.
 
◉◉ L’équipe de MB&F – chrysalide qui sort lentement de son cocon de start-up pour se doter des attributs d’une marque adulte – a choisi de réfléchir sur la tradition horlogère avec sa collection Legacy Machine – strictement parallèle à la collection des Horological Machines, moins rassurantes dans ce style rupturiste qui découle de leur encodage génétique, mais sans doute moins élaborées sur le plan de la philosophie mécanique. Première dissertation sur cette héritage légué par la tradition horlogère, LM1 (Legacy Machine n° 1 : ci-contre) avait réimaginé le balancier en le suspendant au-dessus de deux cadrans qui affichaient deux systèmes horaires différents quoique coordonnés, avec une amusante réserve de marche érectile qui faisait entrer cette indication pratique dans une troisième dimension inconnue. Les initiés avaient apprécié le style faussement classique d’un boîtier rond surmonté d’un dôme de saphir, dans une symétrie cassée par deux couronnes de remontage latérales. Les codes MB&F étaient respectés : double affichage d'une fonction ou d'un principe mécanique, tridimensionnalité de la construction, mise en évidence des éléments mécaniques, esthétique inattendue [dans le registre de la rébellion comme dans l'affirmation néo-classique] et finitions de très haut niveau [on admirera, dans l'image ci-dessous, la seule qualité de la couronne] pour ce qui relève fondamentalement des nouveaux jouets de luxe pour grands garçons très gâtés par la fortune...
 
◉◉ La Legacy Machine n° 2 se lance dans la bataille avec un style esthétique comparable, le cadet étant plus « viril » que l’aîné, avec une épaisseur plus marquée et un dôme de cristal au galbe encore plus prononcé. L’air de famille est évident. Même lien de parenté entre les différents attributs du cadran, qui ne compte qu’un sous-cadran pour les heures et les minutes, toujours avec cette laque qui reproduit à la perfection le velouté fondant de l’émail grand feu. L’arche bifide qui « tenait » le balancier sest dédoublé en deux arches jumelles, qui assurent le maintien en quasi-apesanteur de deux balanciers sous cette coupole de saphir. Une micro-architecture qui tient de post-steampunk autant que de l’audace d’un Santiago Calatrava (l'architecte, pas la légende horlogère). L’alternance des surfaces polirs, satinées ou mates, ajoutée au graphisme des lettres anglaises renforce l’ambiance rétrofuturiste de l’ensemble.
 
 
 
 BI-RÉGULATION 
La tentation séculaire de redoubler la précision...
◉◉ Pourquoi deux balanciers ? Bonne question… Pourquoi pas ? Si l’exercice du double échappement-double mouvement a été bien explorée par les grands maîtres, d'Antide Janvier (un peu aussi par Abraham-Louis Breguet) à François-Paul Journe, soit dans une logique de résonance, notion qui fait toujours débat [nous n’entrerons pas en matière], soit dans une logique de chronographie, la piste du double balancier-simple mouvement n’a guère tenté les horlogers. Deux écoles se sont toujours affrontées dans ce domaine : pour les uns, les irrégularités d’un balancier compensent les irrégularités de l’autre et les neutralisent ; pour les autres, ces irrégularités se cumule(raie)nt au lieu de se réguler et leur addition produi(rai)t même d’autres irrégularités ! Les experts trancheront une joute académique que les historiens eux-mêmes abordent avec d’infinies précautions.
 
◉◉◉ Il semblerait – conditionnel de prudence, puisque l’histoire des montres est en révision permanente – que l’horloger anglais Tompion ait construit, pour le roi Charles II, une montre à deux balanciers, si réputée que Tompion en recevra commande de deux autres pour le Dauphin du trône de France. On repère également, au XVIIIe siècle, une invention du Dr Hooke et une autre, anonyme, en Allemagne, dont le double régulateur fonctionnait avec deux foliots (plutôt qu’avec des balanciers classiques) qui ressemblaient à des haltères dont le poids lancerait et entraînerait la rotation (image ci-contre). À défaut d’être efficace, c’est spectaculaire ! Ferdinand Berthoud mentionne également, dans ses ouvrages, mais sans le commenter autrement que par un dessin, un double balancier partiellement superposé : l’un est directement entrainé par la roue d’échappement, mais il entraîne, sur un axe indépendant, une second balancier dont les mouvements se combinent avec le sien (image ci-dessous).
 
 
 
◉◉◉ En revanche, du même Ferdinand Berthoud, on connaît une superbe montre à deux balanciers (ci-dessus) dont l'esthétique puissante n'a visiblement pas échappé à l'oeil affûté d'Eric Giroud, qui a dessiné la nouvelle LM2, de même qu'elle n'avait pas échappé aux continuateurs suisses de Berthoud. Au cours du XIXe siècle, hormis quelques tentatives isolées toujours fascinantes, on ne perd en effet la trace de créations horlogères à deux balanciers (pour un seul mouvement) que pour mieux en retrouver un exercice virtuose dans les années 1920, grâce à quelques montres-école réalisées dans la vallée de Joux (image ci-dessous), à l'Ecole du Sentier. On connaît plusieurs montres de ce type, avec des subtilités mécaniques qui prouvent l'excellence mécanique de leurs concepteurs. On notera aussi (au-dessous et plus bas) un tourbillon central à double balancier de toute beauté, toujours mis au point par les concertistes chevronnés qui faisaient leurs gammes à l'Ecole professionnelle de la vallée de Joux : c'est du Paganini mécanique !
 
 
 
 
◉◉ Pionnier pour les montres-bracelets à double balancier, Philippe Dufour tentera l’aventure avec la célébrissime Duality (ci-dessous : sa platine de travail et son dessin technique). On notera la parenté esthétique avec le double balancier ci-dessus : côté chronométrie, Philippe Dufour – qui est maniaque – notait pour sa Duality une amélioration de une à deux secondes par jour par rapport à un balancier simple. L’équipe Robert Greubel-Stephen Forsey le relancera cette idée avec son spectaculaire Double balancier incliné à 35°, à peu près sur les mêmes principes de base (différentiel). Il faut aussi mentionner le magnifique double balancier pratiqué par Beat Haldimann ou l'Oscillateur harmonieux de Rudis Sylva, et quelques autres propositions devenues plus ou moins sporadiques dans la production contemporaine. Autant dire que, même historiquement, on compte les pionniers de cette complication mécanique sur les doigts des deux mains… 
 
 
 
 PALÉO-FUTURISME
Les leçons rupturistes d'une tradition bien comprise...
◉◉ D’où la surprise de voir un des dynamiteros de la disruption horlogère contemporaine s’élancer sur la trace de Ferdinand Berthoud et d’Abraham Louis Breguet ! Ce qui confirme implicitement – ça n’a jamais été clairement affirmé – les ambitions subliminales de la collection Legacy Machine : poser un regard tantôt ironique, tantôt distancié, mais toujours respectueux, sur les traditions héritées de l’âge d’or des montres mécaniques, quand elles étaient des instrument scientifiques de conquête et d’expression du génie inventif des Européens. C’est pourquoi on peut reconnaître, au détour d’un cadran, d’un balancier ou d’un choix esthétique, des citations assumées de grands maîtres du passé et des clins d’œil aux codes dont nous gérons l’héritage.
 
◉◉◉ Alors, in fine, deux balanciers, pourquoi faire ? Peut-être tout simplement pour la volonté de le faire, pour le bonheur de les voir osciller au sommet de leur architrave, pour le plaisir des yeux et pour l’audace de recréer en trois dimensions des concepts qui étaient « écrasés » en deux dimensions par la rusticité des outils à la disposition des grands maîtres du passé. C’est la clé du paléo-avantgardisme à la Maximilian Büsser : explorer l’avenir de l’horlogerie, avec les techniques du présent, mais dans l’esprit du patrimoine légué par les Anciens – en réouvrant des portes qu’ils n’avaient pas eu le temps de pousser ou en éclairant des corridors qu’ils n’avaient fait qu’apercevoir… On est ici au cœur de cet artisanat créatif contemporain qui est la clé de la survie pour toute l’industrie des montres. Alors que les géants de la mondialisation horlogère (groupes ou marques) ne fonctionnent plus qu’avec le logiciel quantitatif du « toujours plus » [un plus de montres, de profits, de boutiques, de tout !], dans une logique déjà obsolète de mass market globalisé, les jeunes créateurs ont reformaté leur démarche autour du logiciel qualitatif du « toujours mieux » [un mieux pour l’imagination, pour l’exécution ou pour la stupéfaction des amateurs ébahis].
 
 
 
◉◉ Deux balanciers valent-ils mieux qu'un pour rendre la montre plus précise ? On serait tenté de répondre que ce n'est pas vraiment un problème : premier horloger à avoir tenté un double balancier dans une montre-bracelet, Philippe Dufour admet un renfort de précision supplémentaire de l'ordre de « une à deux secondes par jour » – ce qui est déjà énorme ! – pourvu qu'on règle finement chaque balancier, à part. Il avait d'ailleurs constaté que, systématiquement, un balancier prenait de l'avance sur l'autre, mais qu'ils s'équilibraient mutuellement. Un tel « jouet » a-t-il pour vocation de jouer les stars de la chronométrie ? Ce n'est pas ce qu'on attend de lui : la Legacy Machine n° 2 s'impose plus par son style que par ses performances [encore que ses 48 heures de réserve de marche soient intéressantes à noter], et plus par son style [encore plus affirmé dans la version en platine : ci-dessous] que par son respect des codes du bon goût horloger....
 
 
 À SUIVRE...
La nouvelle Legacy Machine n° 2 sous la loupe 
(Business Montres du 5 septembre)
 
 
 
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DE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...
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