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ROCK’N’HORL 2020 (accès libre)
« Nous partîmes à 20, mais, par un prompt renfort, nous nous vîmes 10 000 en arrivant au port »

C’est (presque) du Corneille dans le texte, mais notre Cid Campeador ne s’appelle pas Rodrigue et ses alexandrins ont un accent de Simplicity : pour le vingtième anniversaire du lancement de sa montre Simplicity, Philippe Dufour nous avait annoncé vingt pièces supplémentaires. La nouvelle a fait le tour du monde et 10 000 acheteurs se sont présentés. 50 000 % de sur-souscription ! Comment va-t-on choisir les heureux bénéficiaires de cette série ?


C’est probablement la série limitée la mieux souscrite de toute l’histoire de l’horlogerie : chacune de ces vingt montres [on imaginait bien que Philippe Dufour se réserverait la vingt-et-unième] a fait l’objet de 500 demandes ! En fait, pour être précis, il y en avait un vingt-deuxième, numérotée « 00 » : elle a été récemment vendue par Aurel Bacs aux enchères, à Genève, pour 1,36 million de francs suisses (lot n° 206 de la vente Phillips + Bacs & Russo du 8 novembre dernier : ci-dessous et en bas de page). Les vingt-et-une pièces de cette Simplicity du vingtième anniversaire [la montre a été lancée il y a vingt ans] sont réparties en trois séries : sept en or rose (dans le style de la pièce n° 00 ci-dessous), sept en or blanc (cadran gris, index mats), sept en platine (cadran bleu, index poli). Grand collectionneur devant l’Éternel et nouveau responsable de la commercialisation des montres de Philippe Dufour, Claude Sfeir a veillé au moindre détail pour ce que soit parfait : les dix premières montres seront livrées en 2021, les dix dernières en 2022. Pas une de plus – hormis les deux exceptions mentionnées ci-dessus.

Conscients que cette série serait probablement une des dernières mises en piste par Philippe Dufour, qui a beaucoup d’autres projets sur son établi, notamment une grande sonnerie, les amateurs se sont précipités : on en a compté 10 000 – du jamais vu dans la vallée de Joux. On parlera bientôt de « coup du siècle » dans les annales du marketing horloger ! Moralité : comme il a bien fallu faire un choix, les dix premières pièces ont été attribuées directement par Philippe Dufour et Claude Sfeir [le prix est encore tenu secret, mais il va s'établir dans les six chiffres, quelque part entre les 150 000 CHF du prix plus ou moins officiel d'il y a cinq ans et le 1,3 million de la dernière enchère Phillips]. Les dix dernières ont été tirées au sort parmi les 9 990 postulants : de quoi faire 9 980 déçus, qui pourront toujours se rattraper aux enchères. Là encore, c’est le plus fabuleux « coup » marketing de ce début de siècle : non seulement on crée un fantastique buzz planétaire pour le lancement de la montre, avec 50 000 % de sur-souscription [probablement du jamais vu dans toute l’histoire du luxe européen, voire dans l’histoire économique de l’Occident], mais on pérennise la valeur de la montre en lui assurant un taux maximum de désirabilité pour les vingt ans à venir [avec 9 980 frustrés, chaque montre qui repassera sur le marché au cours de la prochaine décennie aura forcément plusieurs dizaines, sinon plusieurs centaines d’enchérisseurs pour se la disputer]

En termes académiques, on pourrait qualifier cette géniale opération d’expérience in vivo de ce qu’il faudra bientôt appeler le marketing de la frustration [frustration marketing], technique déjà pratiquée à une échelle artisanale par Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet ou Richard Mille, mais portée ici à son point d’incandescence virtuose par le malicieux tandem Philippe Dufour-Claude Sfeir. Il est assez impertinent de constater que la montre la mieux souscrite de toute l'histoire horlogère est aussi la plus simple qu'on puisse imaginer : trois aiguilles sans date à remontage manuel. Un sacré pied de nez aux vestales de l'hyper-complication mécanique ! Il est tout aussi réjouissant de voir le plus « ermite » et le moins up to date de nos maîtres-horlogers donner ainsi une cuisante leçon de marketing intuitif à tous les diplômés des grandes écoles qui n’arrivent à rien dans les grandes marques avec leurs grands tableurs Excel : depuis le temps que Business Montres écrit que ce Philippe Dufour est le seul « trésor vivant » que la Suisse horlogère devrait honorer, nous ne pouvons que nous incliner bien bas (Business Montres du 20 avril 2020 et Business Montres du 21 avril 2020), mais en continuant à regretter que l’officialité horlogère persiste toujours à marginaliser cet horloger qui porte seul, à bout de bras, dans le monde entier, la haute réputation des maîtres du temps de la Suisse éternelle…

Reste maintenant à savoir si ces 10 000 acheteurs potentiels d’une Simplicity étaient des spéculateurs, des curieux, des amateurs, des décalés ou des aficionados, selon notre segmentation Business Montres du 30 novembre). Compte tenu du prix annoncé de la montre, on peut d’emblée éliminer les amateurs et les décalés, ce qui nous donnerait approximativement plus 7 000 purs spéculateurs, à peu près 2 000 curieux et moins de 1 000 aficionados – population qui reste la plus critique vis-à-vis de Philippe Dufour (ci-dessous ; en bas, avec Romaoin Gauthier, à gauche, et Grégory Pons). Ce qui fait beaucoup de frustrés…


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