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PROSPECTIVE : Après une trajectoire horlogère de quinze ans, le groupe LVMH a-t-il encore un avenir dans la montre suisse ?

Le grand jeu des rumeurs voit la main de Bernard Arnault partout. Il aurait même rencontré Nick Hayek à Bâle. On lui prête l'intentions de tout racheter. Et si c’était l’inverse : Bernard Arnault pourrait-il vendre son pôle horloger ? Conditionnel obligatoire pour les hypothèses et les contre-hypothèses… ▶▶▶ DÉCONSOLIDATION ?Les B.A. (bonnes actions) de B.A. (Bernard Arnault)...  ◉◉◉◉ Bernard Arnault est un turbo-capitaliste conséquent. Il …


Le grand jeu des rumeurs voit la main de Bernard Arnault partout. Il aurait même rencontré Nick Hayek à Bâle. On lui prête l'intentions de tout racheter. Et si c’était l’inverse : Bernard Arnault pourrait-il vendre son pôle horloger ? Conditionnel obligatoire pour les hypothèses et les contre-hypothèses…

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 DÉCONSOLIDATION ?
Les B.A. (bonnes actions) de B.A. (Bernard Arnault)... 
 
◉◉ Bernard Arnault est un turbo-capitaliste conséquent. Il a su créer son groupe en jouant sur le potentiel de croissance de quelques marques-phares. Ce ne sont pas les marques en elles-mêmes qui intéressent ce polytechnicien, mais uniquement leur capacité à créer de la valeur en multipliant leur chiffre d’affaires et en décuplant leurs profits. On achète des oranges pas trop cher, on les met dans la centrifugeuse et on en tire un jus d’orange qu’on peut vendre très cher quand on maîtrise le marketing et la communication [deux des marqueurs génétiques fondamentaux du groupe LVMH].
 
bernard_arnault_1200◉◉◉ En s’offrant un pôle horloger créé de toutes pièces à partir du rachat de TAG Heuer en 1999, Bernard Arnault a su faire du groupe LVMH un interlocuteur à part entière de l’horlogerie suisse. Les achats successifs ont fini par imposer l’idée d’une légitimité horlogère pour ce conglomérat de luxe, en dépit d’un certain nombre d’échecs (Ebel, De Beers, Fred) et de demi-succès (Louis Vuitton, Dior, Chaumet, Fendi). Ceci en attendant le retour à meilleure fortune chez Bvlgari, dont le rééquilibrage projectif est en cours.
 
◉◉◉ Le bilan n’est donc pas si positif, en dépit du rachat réussi de Hublot, de la relance de Zenith et de la consolidation de TAG Heuer, qui a dû laisser pas mal de plumes et couper dans ses marges pour résister aux assauts industriels et commerciaux du Swatch Group. La scission de la division Montres en deux entités distinctes n’a pas arrangé la situation, d’autant qu’elle laisse Louis Vuitton, Dior et Fendi en dehors de toute synergie horlogère, dans le seul périmètre opérationnel de chaque marque. Le fait que Dior, la marque-fétiche de Bernard Arnault, et Louis Vuitton, sa vache à lait, aient conservé leur autonomie dans cette séparation des activités horlogères n’est pas facile à décoder : soit c’est un signe de réalisme managérial [après tout, les montres ne pèsent que pour 4 % dans le chiffre d’affaires de Louis Vuitton et que pour 7 % dans celui de Dior : pourquoi les intégrer dans un combinat à la soviétique ?], soit c’est un signal faible de déconsolidation en cours des activités horlogères au sein du groupe…
 
◉◉ Le pôle Joaillerie, qui n'existe que par le poids spécifique de Bvlgari, a été confié de fait à Jean-Christophe Babin, nouvel homme fort d’une division provisoirement placée sous la responsabilité théorique d’Antonio Belloni, bras droit de Bernard Arnault. Si croissance il doit y avoir dans les années à venir, c’est plutôt du côté de la joaillerie que des montres. Laissons Chaumet de côté pour l’instant [ce qui ne veut pas dire que Bernard Arnault ne s’y intéresse pas pour relancer la machine ou revendre les actifs]. Avec le soutien du groupe LVMH, Bvlgari sera bientôt en mesure d’aller chatouiller non seulement Tiffany & Co, pourquoi pas Chow Tai Fook en Chine, mais aussi Graff et surtout Cartier, qui règne sans partage sur cet empire mondial du beau bijou. Les grandes manœuvres commencent à peine : nous y reviendrons souvent au cours des prochains mois…
 
◉◉◉◉ Les trois marques de montres (Hublot, Zenith, TAG Heuer) ont été confiées à Jean-Claude Biver, qui n’a jusqu’ici officiellement avoué qu’une ambition limitée : avoir une croissance supérieure à celle de la branche horlogère suisse en général. On l’a connu plus disert et plus conquérant. À en croire les communiqués de triomphe de tous les groupes et de toutes les marques après Baselworld, tout va pour le mieux dans le meilleur des carnets de commande. Sauf que le culte du « double digit » de ces dernières années est un incantation magique de moins en moins crédible dans un monde du luxe en pleine mutation. Dans la novlangue horlogère, « consolidation » signifie acceptation de la décroissance
 
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 QUESTIONS POUR UN CHAMPION
Une réaction à la baisse tendancielle du taux de profit ?
 
◉◉◉◉ C’est justement là qu’on peut se poser des questions et formuler des hypothèse rationnelles. Du fait de cette séparation en deux pôles, l’horlogerie LVMH – les seules marques pure players de Jean-Claude Biver – n’est plus que numéro 5 mondial [derrière le Swatch Group, Richemont, Rolex et Fossil], voire numéro 6 selon les modes de calcul. Une situation qui ne doit pas mettre Bernard Arnault très à l’aise, tant il sait qu’il y a toujours, dans les industries du luxe, une prime au leader, un avantage au challenger et un encouragement à l’outsider, mais rien ou pas grand-chose à gratter pour les simples suiveurs. Surtout quand ils n’ont ni base industrielle éprouvée, ni ancrage significatif dans les secteurs moins exposés de la mode et de l’entrée de gamme...
 
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◉◉◉◉ D’où l’interrogation légitime qui agite les analystes : et si Bernard Arnault, au lieu d’être acheteur de marques ou de groupes [on lui prête régulièrement des vues sur Chopard, le Swatch Group ou Audemars Piguet – autant d’hypothèses absurdes !], était tout simplement vendeur de ses marques pure players ? Il avait payé très cher la paire TAG Heuer-Chaumet, mais il s’est largement remboursé depuis avec leurs profits, même en intégrant dans ce retour sur investissement les lourdes pertes encaissées avec Ebel. Sous-évaluée lors de son rachat, mais bien relancée au cœur de la crise, la manufacture Zenith a su rester une opération globalement profitable. Hublot était un jack-pot payé très cher, mais le taux de croissance qui ne s’est pas démenti depuis – celui-là même qu’on avait fait miroiter aux analystes et aux actionnaires – justifiait le prix payé : Hublot a largement remboursé son prix d’achat…
 
◉◉◉◉ Aujourd’hui, ce pôle purement horloger voit se marges s’éroder et sa profitabilité tendanciellement décroître [tout comme celle de la profession en général], sans espoir de corriger le tir autrement que marginalement. L’affaissement de la bulle chinoise rend illusoire tout espoir de croissance explosive, alors que se profile « 2014, année de tous les dangers » (montres connectées, désordres monétaires, surstockage chronique, hoquets industriels, distribution cahotique, etc.). Déduction logique : faute de pouvoir jouer un rôle moteur sur un marché qui lui échappe, Bernard Arnault pourrait donc avoir la tentation de vendre ces trois marques qui ne lui apportent plus grand-chose et qui ne sont plus guère susceptible de doper le cours de l’action LVMH. Un remake de « Prends l’oseille et tire-toi » ! L’action LVMH ne s’en porterait que mieux, les marchés ne comprenant de toute façon rien aux métiers horlogers et à leurs constantes de temps…
 
◉◉◉◉ Le cash récupéré par une telle vente ne serait-il pas susceptible de recréer une dynamique forte au service de Bvlgari, qui porte désormais les espoirs d’explosivité du groupe ? Les milliards encaissés ne seraient-ils pas plus profitables et plus générateurs de retombées financières si on les affectait au service des autres grandes marques-phares du groupe ? Question subsidiaire : quelles sont les vraies perspectives de croissance de la branche horlogère (les vraies anticipations, pas celle de la Pravda d’après Baselworld) pour les trois prochaines années ? Entre moins 15 % et plus 5 %, diront les spécialistes : pas de quoi émoustiller les analystes ! Il faudra donc chercher ailleurs que dans la montre des relais de croissance qui éviteront à l’action LVMH de piquer du nez…
 
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 HYPOTHÈSE
Un scénario de sortie à mettre au conditionnel ?
 
◉◉◉ Qui pourrait acheter ces marques pure players, dont Jean-Claude Biver est aujourd’hui le « produit d’appel » en tête de gondole ? Tout le monde et personne… Prix de marché estimé, compte tenu des perspectives évoquées ci-dessus et d’un contexte concurrentiel animé : entre 3 et 3,5 milliards d’euros, disons autour de 3,2 milliards pour resserrer la fourchette. Payables au comptant ou en partie avec des actions du groupe LVMH [les équipes de Bernard Arnault ont prouvé leur savoir-faire en montages financiers pour s’offrir un quart de la maison Hermès sans rien dire à personne]. Ces marques horlogères ne sont pas endettées, elles ont une belle image, leurs managers sont entreprenants, leurs réseaux internationaux sont consistants et leurs bases industrielles sont tout sauf insignifiantes. Disons qu’elles sont toujours prometteuses. Procédons par élimination pour détecter les candidats potentiels au mariage…
 
◉◉ 3,2 milliards d’euros : une somme qui serait à la portée de compétiteurs directs comme le Swatch Group [qui a récemment payé un milliard son pas de porte dans la haute joaillerie, avec le rachat de Harry Winston] ou comme Richemont [qui a le trésor de guerre suffisant], mais qui n’aurait pas de sens sur le plan stratégique : ces trois marques LVMH sont à peu près concurrentes des marques du portefeuille de ces groupes, qui ont clairement opté pour la croissance interne et non externe. Pas beaucoup d’intérêt, donc. Exit le haut du panier. Voyons plus bas…
 
DiorSoieVerte◉◉ L’enjeu pourrait tenter d’autres groupes horlogers. S’il y avait, pour l’horlogerie, une stratégie industrielle et marketing chez Kering [ce qui se saurait], François-Henri Pinault aurait un minimum d’intérêt pour le dossier. Ce pôle horloger lui offrirait d’emblée une visibilité et une crédibilité horlogère dont il est dépourvu. Par affinité culturelle, Kering préfère les entités à dimension humaine, où le facteur affectif joue à plein : le charisme bivérien n’est en rien incompatible avec l’empathie chère à la famille Pinault. Très endetté, Kering n’a pas forcément les moyens de s’offrir ce balcon avec vue sur les vallées horlogères. Le voudrait-il seulement ? Pourquoi pas un groupe comme Fossil ? Les Texans sont des calculateurs froids et des businessmen avisés, qui savent que leur avenir se joue en Suisse, pourquoi pas dans la haute horlogerie avec trois marques qui leur accorderaient d’emblée un ticket d’entrée vers le paradis des montres dont on parle et qui font référence ? Qu’est-ce qu’un an de chiffre d’affaires du groupe – 3,3 milliards d’euros à investir – quand on peut pratiquement accéder, grâce à cet effort financier, au très envié podium suisse, au coude à coude avec Rolex, qui s’en trouverait de fait délogé ? Cet investissement créerait une sacré valeur pour les actionnaires du groupe : miam, miam, salivent déjà les analystes…
 
◉◉ 3,3 milliards d’euros : une somme à la portée de multiples investisseurs, qu’ils soient quatariens [de quoi consolider et environner d'excellence Tiffany & Co], chinois, coréens, américains ou tout simplement financiers (private equities, fonds de pension) et institutionnels (zinzins). C’est là que la nomination de Jean-Claude Biver à la tête de ce pôle LVMH relèverait du coup de génie : son capital de sympathie est proportionnel à la taille de son carnet d’adresses. Si un seul horloger sait parler aux puissances économiques de ce monde, c’est bien lui et il le fera consciencieusement, en grand professionnel qu’il est, par goût personnel autant que par loyauté à l’égard de son « ami » Bernard Arnault.
 
◉◉ Autant dire que les promis potentiels ne manquent pas pour la promise horlogère qui – gardons cette hypothèse – n’intéresserait plus guère un über-spéculateur comme Bernard Arnault, gambler dans l’âme, joueur d’échecs qui n’aime rien tant que les coups joués sur des diagonales inattendues. En 1999, il avait misé sur le cavalier TAG Heuer pour emballer une partie horlogère où il n’avait aucun atout. On y a cru et les marques LVMH trônent aujourd’hui à l’entrée du Hall 1.0 de Baselworld. En 2014, le même Bernard Arnault pourrait vouloir changer d’échiquier : la partie oligopolistique qui se prépare pour la joaillerie est autrement plus excitante que les derniers accents du grand bal horloger, où le patron du groupe LVMH n’est même plus un des premiers violons de l’orchestre.
 
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 CONTRE-HYPOTHÈSE
Jean-Claude Biver comme symbole d'engagement à long terme ?
 
◉◉◉ Maintenant, la contre-hypothèse. C’est un peu pour le business, mais aussi par une passion de néophyte qu’on peut estimer sincère que Bernard Arnault est venu à Bâle visiter les citadelles de son petit empire horloger (Bvlgari, TAG Heuer, Zenith, Hublot dans le Hall 1.0, Dior et Fendi dans le Hall 1.1, ainsi que Louis Vuitton hors les murs). Seul stand hors groupe visité : celui de Graff. Curiosité pour la joaillerie : on en revient à l’hypothèse précédente ! Rien ne l’obligeait à faire ce déplacement, un samedi, avec Jean-Claude Biver comme poisson pilote. A-t-il ou non rencontré à Bâle Nick Hayek, loin des regards indiscrets, pour lui parler de… distribution ? C’est une autre histoire… Dans son comportement privé, Bernard Arnault n’a pas affiché le moindre signe de désengagement : au contraire, ayant découvert dans la presse suisse le coup de gueule de Thierry Stern à propos des excès de l’impôt sur la fortune qui frappe en Suisse les biens professionnels, il aurait fait savoir à la famille Stern qu’il considérait – à titre personnel ? – ses précédentes propositions de rachat comme toujours ouvertes. C’est cette discussion impromptue – en présence de plusieurs témoins dignes de foi – qui a nourri quelques-unes des plus fantastiques rumeurs de la fin de Baselworld...
 
◉◉ Ensuite, le groupe LVMH sait aussi conserver des actifs non stratégiques et même non rentables. L’aventure De Beers et les soins intensifs à Fred ont bien dû gaspiller pas loin de deux centaines de millions d’euros sans émouvoir personne à la direction générale du groupe. Même si les montres en venaient à ne plus progresser, pourquoi s’en défaire alors que… ça peut toujours servir ? Et pourquoi offrir à la concurrence les manufactures sur lesquelles le groupe a investi et qui commencent à tourner : dans un avenir proche, Louis Vuitton ou Bvlgari pourraient avoir besoin de mouvements, de cadrans ou de boîtiers ? LVMH n’en est tout de même pas à 3 milliards près… Sur le fait que les trois marques pure players de Jean-Claude Biver n’aient pas été renforcés par les composantes horlogères de Dior, de Louis Vuitton, de Fendi, de Chaumet ou même de Bvlgari, au sein d’une macro-structure horlogère LVMH, deux analyses entre lesquelles il est difficile de trancher. Hypothèse ci-dessus : on a isolé les éléments « vendables » pour faciliter une déconsolidation ultérieure [un bloc homogène et compact est plus stratégique qu’un pudding disparate]. Contre-hypothèse : l’horlogerie est un métier à part entière, tout comme le pilotage d’une grande marque de luxe généraliste, pour laquelle les montres restent marginales et soumises aux impératifs stratégiques du management de la marque. Il y avait de graves risques de « politisation » des conflits et des querelles de territoire entre horlogers et non-horlogers : il était donc absurde d’instaurer un chaebol horlo-industriel au sein du groupe…
 
◉◉ Autre élément de la contre-hypothèse : c’est la première fois que le groupe offre une de ses divisions spécialisées à un élément totalement extérieur. Jean-Claude Biver est le premier Suisse à atteindre ce niveau au sein du groupe LVMH, c’est aussi le premier horloger de métier à occuper ce poste et c’est le premier patron de division à n’avoir pas de bureau à l’état-major parisien : ses trois marques sont gérées en Suisse, à la Suisse, par un néo-Suisse qui n’a même pas de carte de visite de directeur LVMH [Jean Claude Biver a conservé ses cartes de président de Hublot]. On peut y voir, au choix, le signe d’un enracinement indiscutable ou, au contraire, les prémices perverses d’un désengagement inéluctable, le groupe ne souhaitant même pas intégrer à Paris sa « tête de gondole » horlogère.
G.P.
 
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