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TAG HEUER : Retour à la base ! Comment se repositionner avec réalisme sur des marchés qui ont cessé de rêver ?

Bien entendu, on va vous parler d'optimisation des capacités et de montée en puissance contrôlée, mais le virage reste brutal et difficile à négocier, avec un repositionnement assez drastique sur le coeur de l'image historique de TAG Heuer – pas tout-à-fait là où le groupe LVMH avait cueilli la marque, mais presque.   ▶▶▶ DÉPROGRAMMATION REPROGRAMMÉEAutant en emportent les ventes...  ◉◉◉◉ IL Y A DES LOGIQUES SYSTÉMIQUES CONTRE LESQUELLES on ne peut rien, ou pas grand-chose tellement elles …


Bien entendu, on va vous parler d'optimisation des capacités et de montée en puissance contrôlée, mais le virage reste brutal et difficile à négocier, avec un repositionnement assez drastique sur le coeur de l'image historique de TAG Heuer – pas tout-à-fait là où le groupe LVMH avait cueilli la marque, mais presque. 

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 DÉPROGRAMMATION REPROGRAMMÉE
Autant en emportent les ventes... 
 
◉◉ IL Y A DES LOGIQUES SYSTÉMIQUES CONTRE LESQUELLES on ne peut rien, ou pas grand-chose tellement elles sont inéluctables. Il était évident que le départ de Jean-Christophe Babin de la présidence de TAG Heuer mettait le point final à un chapitre de la marque, qui aura à peu près multiplié par 2,5 son chiffre d'affaires en une décennie et un doublement du prix moyen des montres – avec une image de marque poussée à des sommets dans le monde entier (voir notre analyse des « années Babin » : Business Montres du 7 mai 2013). Saluons l'exploit et ouvrons le grand livre au chapitre suivant : il était tout aussi évident que la prise de commandement du pôle horloger de LVMH par Jean-Claude Biver allait engager la marque vers d'autres perspectives. Business Montres (28 mai) révélait récemment que la pratique de l'ambush marketing au Grand Prix de Monaco [une guérilla entamée du temps de Hublot, et actuellement face à Rolex, sachant que chaque plan de télévision a été négocié par Stephane Linder – ci-dessus – pour éviter de froisser Rolex sans léser TAG Heuer] touchait probablement à sa fin : plus que deux ans de contrat, pendant lesquels TAG Heuer devrait en faire beaucoup moins, sachant qu'il sera très difficile aux gérants monégasques du Grand Prix de résister aux sirènes accouplées d'un Bernie Ecclestone toujours financièrement convainquant et d'une maison Rolex qui veut absolument régner en maîtresse unique sur le Rocher. 
 
Monaco GP Friday 23/05/14
◉◉ CETTE DÉMONÉGASQUISATION PRÉVISIBLE de TAG Heuer n'est que le prélude à une révision complète des actuelles strtaégies de la marque. Partons de l'amont vers l'aval pour les comprendre. L'outil industriel est en cours de reformatage : on va regrouper à Chevenez, dans le Jura (ci-dessous), les chaînes de production (T0-T1) qui étaient mises en place au siège de La Chaux-de-Fonds [une opération menée sans casse sociale, avec le reclassement à La Chaux-de-Fonds des non-partants à Chevenez], avec une internalisation de tâches aujourd'hui sous-traitées. L'atelier de haute horlogerie de La Chaux-de-Fonds n'est pas remis en cause : contrairement à une idée reçue, il est commercialement profitable ! La production des boîtiers reste concentrée à Cornol et celle des cadrans à Tramelan. Ces changements s'accompagnent d'une nouvelle stratégie de verticalisation : TAG Heuer va désormais mettre tous ses efforts sur le mouvement CH1887 [celui dont les sources Seiko – aujourd'hui totalement remaniées – avaient entraîné une polémique, lors de son lancement, en 2010 : Business Montres du 7 décembre 2009 et 5 décembre 2009] et abandonner de fait les développements prévus pour le calibre CH80.
 
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◉◉ POUR QUELLES RAISONS CESSE-T-ON DE VERTICALISER ? D'une part, comme c'était prévisible et clairement anticipé par Business Montres quand tout le monde s'est excité sur la « fin des livraisons de mouvements par le Swatch Group », l'offre est aujourd'hui beaucoup plus abondante du fait de la montée en puissance de nouveaux fournisseurs (Sellita et Soprod, notamment), y compris pour les assortiments (Seiko, Citizen, les Russes, les Indiens et même les Suisses). Il ne serait même pas très étonnant de voir ETA – qui sollicite actuellement quelques-uns de ses anciens clients – recommencer à livrer sans restrictions TAG Heuer. On prend les paris ?
 
ff664e431d54e3414220e85e9cc34257b0c49cb0◉◉ D'AUTRE PART, VERTICALISER REVIENT À AUGMENTER les prix de revient, donc les prix de vente de ses montres ! Le risque de dépositionnement commercial est évident : TAG Heuer ne peut pas vendre à moins de 6 000-7 000 CHF des chronographes dotés de mouvements manufacture (ci-contre, le CH-1887), alors que son prix moyen de marché est autour des 2 200-2 400 CHF. Cette stratégie de verticalisation irraisonnée est en train de tuer Breitling, qui ne peut contenir son prix moyen qu'en sacrifiant sa marge au point de la rendre négative ! Ce n'est pas dans ce genre de piège que Jean-Claude Biver peut se laisser enfermer. Donc, retour à la case marché pour les composants ou des mouvements qui peuvent être outsourcés. Ce qui va permettre de ramener l'offre produits aux alentours d'un prix moyen de 1 000-3 000 CHF, base de légitimité de TAG Heuer sur les marchés du monde entier. La haute horlogerie (V4 et concept watches) ne sera plus que le témoin d'une excellence et d'un savoir-faire non stratégique...
 
◉◉ À PRÉSENT, C'EST TOUTE LA STRATÉGIE DE TAG HEUER qui se trouve repositionnée à la base. Quelle base ? La base de la pyramide des marques LVMH. C'est là qu'on reconnaît la patte de Jean-Claude Biver, trop bon élève de Nicolas Hayek pour oublier cette notion de pyramide, plutôt en rupture avec la culture de liberté marketing des marques LVMH. À la pointe de la pyramide, Hublot. Au centre, Zenith. À la base, TAG Heuer. C'est simple et facile à comprendre, avec une logique de prix moyen pour structurer l'ensemble. Tout le reste en découle. Ce positionnement – qui vise à redégager des marges érodées au fil du temps – induit l'abandon partiel de la verticalisation poussée ces dernières années [une stratégie très coûteuse en investissements pour acquérir une indépendance logistique qui semble moins indispensable], la concentration des moyens industriels et le reformatage de tout le logiciel opérationnel de la marque. C'est la fin de la montée en gamme au forceps, le retrempage dans les racines sportives, le rajeunissement de la clientèle (cible : 18-35 ans), l'exploration de nouveaux terrains de jeu [on peut également parier que TAG Heuer sera la marque suisse pionnière dans le domaine des smartwatches – concept déjà expérimenté lors de la dernière America's Cup : révélation Business Montres du 12 septembre 2013)...
 
cameron-diaz-the-counselor◉◉ LA MAISON TAG HEUER S'ÉTAIT EMBOURGEOISÉE : on devrait la voir s'encanailler un peu plus, retrouver le chemin des vestiaires sportifs plus que celui des photocalls, prendre des risques créatifs en communication et cesser de confondre Hollywood – voire Bollywood – et la Coupe de l'America. Pour justifier sa montée en gamme et accroître la densité de l'image véhiculée par des montres plus sévèrement tarifées, TAG Heuer a dû se vautrer dans les paillettes et dans le glamour, en recrutant à Hollywood plutôt que les terrains de foot. Toute la communication se trouve transmutée par les nouvelles perspectives bivériformes : à quoi bon Leonardo Di Caprio quand on a Cristiano Ronaldo [lequel sera la prochaine vedette de la campagne publicitaire de la marque] ? Côté grand écran, Steve McQueen fait l'affaire. Pourquoi tout flamber sur Cameron Diaz (ci-contre) quand on a Maria Sharapova (ci-dessous) ? Une vraie photo en action vaut mieux qu'un Photoshop en studio. Même question concernant les montres, sachant que TAG Heuer doit redevenir une marque de volume : pourquoi avoir honte de sa Formula One à quartz ou de ses Monaco d'entrée de gamme, tout aussi « nobles » aux yeux de leur acheteur qu'un tourbillon V4 à 200 000 euros ? C'est désormais l'action qui prime [on le verra dans les prochaines pubs de la marque], l'efficacité du modèle sportif et la réactivité à l'événement : on va (re)commencer à penser en dehors des clous et à sortir des règles de la bienséance horlogère...
 
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◉◉ CE QUI RÉCLAME, ÉVIDEMMENT, UNE RÉVISION de la stratégie commerciale : à ces nouveaux prix, la « bulle » des boutiques monomarques n'est plus justifiée. Autant concentrer les moyens sur quelques flagships et retrouver les faveurs des détaillants, un peu oubliés, sinon méprisés ces dernières années, alors que le wholesale assure toujours 70 % du chiffre d'affaires [la communication sur le retail représentait pourtant 70 % des performances en relations publiques]. À quoi bon une boutique à Saint-Germain-des-Prés et boulevard des Capucines [là où aucun Chinois ne se risque plus chez Bucherer] quand on peut mettre tous ses moyens sur l'espace des Champs-Elysées ? Plutôt que des yachts dans le port de Monaco, des pom-pom girls court-vêtues aux armes de la marque ! Priorité à ce waow effect qui correspond de toute façon mieux au « Swiss Avant-garde » de la signature de TAG Heuer. Pas sûr que le message soit facile à faire comprendre dans les filiales, un peu bousculées par ces nouvelles orientations post-bivériennes, surtout dans une Asie chinoise qui ne valorise pas spontanément les valeurs du sport [mais il fallait à tout prix réagir sur un marché américain qui les valorise, mais qui a aujourd'hui tendance à faire les yeux doux à Tudor]...
 
Monaco GP Friday 23/05/14
 
◉◉ IL N'EN RESTE PAS MOINS QUE C'EST LA FIN D'UN RÊVE... Quand LVMH a racheté TAG Heuer, la marque réalisait un peu moins de 400 millions de dollars de chiffre d'affaires, mais Christian Viros, qui avait cédé la marque à Bernard Arnault, n'en affirmait pas moins que TAG Heuer serait au niveau de Rolex au XXIe siècle [question polie de Rolex à l'époque : au début ou à la fin du XXIe siècle ?]. Loin derrière TAG Heuer, il y avait Omega, qui ne faisait guère que 320 millions de dollars de chiffre d'affaires. Depuis, TAG Heuer a doublé son activité, mais Omega l'a multiplié par 7, au point de représenter un vrai danger pour Rolex, d'abord en volume (800 000 montres), puis, demain, en chiffre d'affaires et en légitimité. Pour TAG Heuer, l'heure n'est plus au rêve, mais au retour face à la réalité du terrain. C'est toute la culture d'entreprise qui est en voie d'être reprogrammée : s'il y a une nouvelle cible aspirationnelle, ce n'est plus Rolex, c'est clairement le tandemn Omega-Longines [marques pour la protection desquelles le Swatch Group avait pris son initiative stratégique de pénurie : il s'agissait d'asphyxier TAG Heuer en l'obligeant à monter en gamme ou à passer par des mouvements asiatiques- relire à ce sujet notre analyse anticipée sur « Longines comme TAG Killer » : Business Montres du 9 avril 2007]...
 
◉◉ CETTE REPROGRAMMATION N'EST PAS GAGNÉE D'AVANCE ! Ou ça passe, ou ça casse : les uns monteront dans le nouveau train ; les autres resteront sur le quai, Jean-Claude Biver n'ayant généralement pas l'habitude de finasser, ni de laisser les choses traîner en longueur. D'autant qu'il dispose à présent d'une nouvelle arme fatale : engagée comme consultante itinérante pour les différentes marques du pôle horloger, Valérie Servageon (ex-directrice marketing Hublot, mais également ex-Omega, comme Jean-Claude Biver) va provisoirement prendre en main ce reformatage marketing de TAG Heuer. Elle sera l'oeil et la main de Jean-Claude Biver, qui fait toute confiance à son expertise et à la sûreté de sa vision pour mettre en place le nouveau paysage mental défini pour TAG Heuer.
 
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