COMMUNICATION HORLOGÈRE
Une réinitialisation du narratif sur les montres est en cours (seconde partie : les nouveaux acteurs)
Fatigués, les vieux spécialistes des vieux médias horlogers ont laissé s’installer sur les marches de leur pré-carré une nouvelle génération de créateurs de contenus qui n’ont pas les mêmes règles du jeu. Un reformatage générationnel pas toujours pour le pire, mais souvent pour le meilleur…
❑❑❑❑ À RELIRE : La réinitialisation du narratif sur les montres est en cours (première partie : Business Montres du 21 juin)
Bien évidemment, les vieux quadras des services marketing n’ont pas encore intégré ce basculement en cours des audiences vers des expressions moins formatées que les images trop léchées d’Instagram, les contenus sponsorisés des blogs horlogers et les rédactionnels para-marchands des sites institutionnels. C’est pourtant dans ce creuset vidéo et dans ce bouillonnant chaudron de sorcières que se créent à présent ce qu’on peut appeler l’« opinion publique » horlogère, l’image des marques et la désirabilité des montres. Quelques figures héroïques commencent à émerger de ce magma encore informe, parmi lesquelles on peut citer (par ordre numérique du nombre d’abonnés, avec nos excuses à ceux qui seraient passés sous notre balayage radar) :
• Frank sans C (86 000 abonnés, fréquentation moyenne : 30 000/500 000 vues) : c’est à la fois la page leader et la plus atypique, avec un « sachant » quinquagénaire qui joue les vieux sages avec beaucoup de pertinence [le Frank en question n’est autre que notre ami Franck Declerck : ci-dessus et ci-dessous] et une culture horlogère qui tranche sur la sous-culture générationnelle des amateurs ciblés. Quelques « grands invités » relèvent le débat. L’approche de Franck Declerck est probablement la plus professionnelle, avec un vrai studio et un souci très rigoureux du référencement : le talent paie encore, et c’est très encourageant pour la suite !
• Le Calibre (41 000 abonnés, fréquentation moyenne : 10 000/400 000 vues) : les sujets sont légèrement surjoués, les indignations théâtralisées, l’enflure des titres évidente et les mimiques parfois grandguignolesques, mais l’efficacité est au rendez-vous et les résultats sont probants pour ce site qui se veut « créé par des passionnés pour des passionnés » (ci-dessous)…
• Montres et moi (31 000 abonnés, fréquentation moyenne : 10 000/300 000 vues) : ici, on se parle de montres entre copains, ce qui n’est pas forcément une garantie d’élévation culturelle, mais le tout reste très sympathique, en dépit de l’aspect convenu des angles éditoriaux et du côté trash de certaines approches (ci-dessous)…
• Clément Entreprend (21 000 abonnés, fréquentation moyenne : 10 000/300 000 vues) : l’approche est originale [pas toujours], parfois surprenante, pas forcément convenue dans le traitement éditorial des sujets choisis [pas toujours], mais le ton reste relativement professionnel avec des interviews qui tiennent la route (notamment Jean-Claude Biver). La culture horlogère a encore des « trous », mais l’évolution du site est encourageante (ci-dessous)…
• La Petite trotteuse (20 000 abonnés, fréquentation moyenne : 5 000/150 000 vues) : on ne parle ici que des montres accessibles, la page YouTube étant l’émanation du site de ventes en ligne éponyme. Rien de bien bouleversant, mais une tendance à accompagner gentiment les évolutions éditoriales des youtubeurs horlogers les plus radicaux.
• Olivine (17 000 abonnés, fréquentation moyenne : 10 000/200 000 vues) : la boutique parisienne de Gérard Vautrin (Olivine Prestige) nous propose de sérieux avis d’experts, sans les dérives éditoriales de la nouvelle génération. Rien à redire, c’est du sérieux, bien documenté et doctement expliqué…
• Dialicious (13 000 abonnés, fréquentation moyenne : 5 000/50 000 abonnés) : c’est amusant et sans prétention, sans grande originalité éditoriale mais également sans fausse note et sans les outrances de certaines pages ci-dessus, mais ça manque tout de même un peu d’épices et de passion (ci-dessous)…
• Watcharch Genève (10 000 abonnés, fréquentation moyenne : 3 000/50 000 vues) : tiens, c’est le seul site genevois et même suisse de cette sélection francophone, avec pour ambition la découverte des montres suisses sans discrimination de statut, de style ou de prix. D’où l’aspect gentillet et propre sur lui de ce sympathique canal suisse…
• Ne pas oublier non plus, avec des audiences vidéo plus anecdotiques : The Watch Observer, Montre ton calibre, Olma, Copain des montres, Tocantes, Passion horlogère, Road to Grail, etc. Ceci sans parler des chaînes francophones non spécialisées qui parlent régulièrement de montres entre autres « objets du désir » (Morgan VS : 1,2 million d’abonnés, Romain Lanéry : 1,1 million d’abonnés, etc.)
• Précisons que nous n’avons ici parlé que des horlo-vidéastes francophones : les sites anglophones sont beaucoup plus nombreux – certains dépassent le million d’abonnés – et beaucoup plus regardés, avec parfois plusieurs millions de vues : Just One More Watch, Archie Luxury, etc.).
Avec ces nouveaux sites d’actualités horlogères en vidéos plus ou moins décalées, agressives ou fantasques, la communication sur les montres vit une mutation au moins égale à celle qui avait permis aux médias en ligne de supplanter les médias imprimés. Les années 2020 s’effacent, et avec elles les sites qui avaient tenté de faire souffler un vent nouveau sur les contenus horlogers. Une révolution générationnelle se prépare !
On peut estimer qu’il était temps : après un effort considérable d’évangélisation horlogère entrepris depuis la fin des années 1990, les « vieux » médias horlogers ont l’âge de leurs artères et ça se voit : ils ont vieilli en même temps que leurs lecteurs, partis depuis longtemps s’informer ailleurs. Les nouvelles générations ne respectent pas plus les sites qualifiés de « référents », dont on sait à présent la dépendance financière des grands annonceurs et les biais éditoriaux au service d’intérêts qui ne sont pas ceux des lecteurs. Il appartient aujourd’hui à la caste médiatique horlogère de se tourner vers la génération milléniale pour y répandre une « bonne parole » horlogère plus pertinente que celle des jeunes acteurs de cette révolution : il faut tout simplement recommencer les efforts de promotion de la culture horlogère qui avaient permis à l’horlogerie de connaître deux quasi-décennies de bulle et de croissance.
Il y va de l’avenir de toute une industrie, qui se doit de réenchanter les montres traditionnelles qu’on porte au poignet et de réinventer de bonnes raisons de porter des montres qui ne soient pas connectées : question de créativité, de passion, de plaisir, de significations nouvelles et d’accessibilité. Les nouveaux acteurs de la communication par l’image vidéo ont compris qu’il y avait un problème et ils l’expriment à leur manière, même s’ils n’ont pas forcément – à quelques exceptions près – trouvé la bonne solution à ce problème. C’est tout le défi de ces prochaines années pour les communicants de l’horlogerie : comment recoller au train générationnel qui est en train de quitter le quai sans eux…