RENTRÉE 2023
Voici la nouvelle marque la plus culottée de ces dix dernières années !
À peine janvier entamé, l’actualité remonte lentement en pression, mais Alexandre Labails est trop pressé pour attendre la fin des vacances horlogères : il lance la marque (éponyme) la plus intrépide des années 2020. Depuis Richard Mille, on n’avait pas vu un tel culot dans l’approche du marché, ni une telle témérité dans l’art de se jeter dans le grand bain...
Déjà, pour commencer, le nom de cette marque – Labails – s’avère difficilement prononçable : dites « labaye » pour Labails, mais soyez charitable en songeant aux Asiatiques qui vont devoir apprendre à ne pas trop diphtonguer ce patronyme occitan et aux Américains qui vont grimacer pour se le mettre correctement en bouche. C’est le nom de famille d’Alexandre Labails, un tout jeune trenta, ingénieur aéronautique de formation quoique né dans une famille de musiciens et d’artistes, qui semble n’avoir peur de rien, ni de son sympathique accent français quand il parle anglais (voir ses vidéos), ni d’aller au-delà des limites qu’une common decency un peu étriquée lui imposerait, ni surtout de proclamer qu’il n’a en tête que la réalisation des montres-les-plus-exceptionnelles-qui-soient-au-monde. Excusez du peu ! C’est gonflé quand on débarque de nulle part et qu’on ne connaît personne dans l’horlogerie, mais l’est-ce vraiment quand on n'a pas peur d’avouer qu’on a tout appris de la montre en autodidacte ? Et l’est-ce encore qu’on n’a pas froid aux yeux pour sonner à la porte des plus grands motoristes de la place, histoire de les embarquer dans un projet de marque non pas ambitieux, mais suprêmement aventureux et tout simplement ahurissant par sa douce et naïve mégalomanie…
La dernière fois qu’on nous avait le coup dans le même registre légèrement délirant et inattendu, c’était au début des années 2000, quand Richard Mille était venu à Baselworld jeter son tourbillon par terre, histoire de nous convaincre qu’il avait mis au point le mouvement le plus résistant aux chocs qu’on puisse imaginer. Seule différence : on connaissait très bien « Ricardo », qui avait dans sa manche un quart de siècle d’expérience dans l’horlogerie et, dans sa poche, en plus d’un magnifique carnet d’adresses, le partenariat noué avec l’atelier de créativité mécanique Renaud Papi. On avait donc eu tendance à faire confiance à notre ami « Riccardo », alors qu’on est en droit de se poser des questions sur cet Alexandre Labails et son insolente exigence de réaliser les montres les plus exceptionnelles jamais tentées en Suisse, surtout pour un galop d’essai…
Le plus étonnant, c’est que la première partie de cet immodeste projet a déjà été réalisée : depuis cinq ans, Alexandre Labails a travaillé et vingt fois, cent fois, « sur le métier remis son ouvrage » (Boileau, L’Art poétique). En cinq ans, il a su convaincre Jean-François Moon (Chronode) de lui développer un mouvement mécanique de forme (!) à remontage manuel, additionné d’un tourbillon basse fréquence et d’une complication chronographique synchronisée en haute fréquence [précision aux cinq centièmes de seconde], avec deux barillets et une double réserve de marche (120 heures au total) pour deux modes de consommation énergétique dotés d’un original système de gestion de cette énergie. Un « bloc-moteur » totalement inédit, qui compte 551 composants et qui peut se flatter de 65 rubis, avec des ponts et une platine en titane microbillé, poli, satiné et anglé comme il convient : pas mal pour un grand débutant de la maternelle horlogère ! Le tout logé dans un boîtier en verre saphir de dimensions généreuses (52 mm x 48 mm x 17 mm : on vous épargne les chiffres après la virgule). Poids total étonnant : seulement 90 grammes pour plus de 600. composants au poignet…
La deuxième difficulté du projet aura été de marquer l’essai et de trouver, en Suisse [d’où provient 100 % ou presque des éléments de la montre], des fournisseurs assez fous pour entrer dans la folie d’Alexandre Labails, mais aussi assez experts et « pointus » pour lui sculpter minutieusement ce boîtier, pour y poser ce mouvement d’exception soigneusement décoré selon les règles de l’art, pour lui assembler cette montre et pour la régler afin d’en obtenir les performances attendues. Le nom de cette montre, dont il n’a été réalisé qu’une série de dix pièces : Temerity – on l’aurait parié ! Pendant ce temps, la marque Labails s’offrait un joli site de présentation et quelques vidéos légèrement grandiloquentes, mais finalement convaincantes dans l’exubérance d’un certain verbiage corporate. On tente en tout cas d’y expliquer aussi clairement possible le système EMOS (Energy Management Optimization System ou Système d’optimisation de la gestion de l’énergie).
On vous explique cet EMOS totalement innovant comme on nous l’a expliqué : « Le choix de dédier une chaîne cinématique à une fonction secondaire, pour en accroître sa précision d’affichage, n’est pas nouveau. En revanche, pour Labails, le choix de dédier en permanence une source d’énergie à une fonction secondaire qu’on utilise ponctuellement est une erreur conceptuelle. Système innovant développé par Labails, EMOS permet à l’utilisateur de gérer la façon dont l’énergie est utilisée par l’intermédiaire d’un commutateur de vitesse situé à 9h, qui propose deux modes de fonctionnement. En mode Eco (Economie d’énergie), la source d’énergie est entièrement dédiée à la fonction primaire. La consommation d’énergie est faible. La chaîne cinématique haute fréquence est désactivée ; par conséquent, le balancier haute fréquence est immobile. En mode Sport, la source d’énergie continue d’alimenter la fonction primaire, mais alimente également la fonction secondaire. L’organe réglant haute fréquence est opérationnel, permettant ainsi à l’utilisateur d’utiliser le chronographe. La consommation d’énergie de ce mode est élevée donc, pour prévenir un arrêt potentiel de la fonction primaire, lorsque la réserve de marche restante atteint 24 heures, la chaîne cinématique haute fréquence est automatiquement arrêté. On appelle cela le système de sécurité de la réserve de marche. La désynchronisation entre l’activation du mode Sport et le démarrage du chronographe a été conçue volontairement car essentielle. Elle donne au régulateur haute fréquence les quelques fractions de seconde dont il a besoin pour entrer en régime d’oscillations nominal et par conséquent donne la possibilité au chronographe de mesurer avec sa pleine précision dès son démarrage ». C’est ce qu’on appelle une « première mondiale »…
La troisième partie du lancement sera de transformer ce premier essai. Ce qui n’est en rien garanti. Les dix montres seront vendues directement par Labails, mais uniquement à des connaisseurs et des collectionneurs capables de partager les valeurs de la marque. Ni vente en ligne, ni passage obligé par un détaillant, mais une prise de rendez-vous un peu partout dans le monde, une fois que les amateurs intéressés n’auront pas pris la fuite en découvrant le prix de la montre : 2,2 millions de francs suisses, d’euros ou de dollars, peu importe l’unité de compte. Là, ça devient sublime : même Richard Mille n’avait pas osé « taper » aussi haut lorsqu’il avait lancé son premier tourbillon au double des prix pratiqués par les marques les plus réputées de l’époque ! C’est toujours ce qu’on appelle une « première mondiale » : la première montre d’une néo-marque inscrite d’emblée comme record absolu dans les prix stratosphériques – Greubel Forsey fait un peu mendiant miséreux à côté de cette Temerity. Nous saurons dans les mois à venir s’il y a encore, sur cette planète, une ou deux poignées de flambeurs narcissiques capables de prendre un tel risque pour équiper leurs poignets. Après tout, nous n’étions qu’une ou deux poignées de fans à croire en Richard Mille quand il semait ses tourbillons sur les moquettes de Baselworld – et on ne comptait parmi nous à peu près aucun des experts « professionnels de la profession »…
Que peut-on ajouter de plus après ce premier tour de piste, qui laisse les spectateurs médusés et dont la sidérante démesure semble suspendre le temps et mettre en pause les battements du cœur ? On se dit qu’on reparlera sans doute de tout cela dans les semaines et les mois qui viennent : un prototype de travail de cette Temerity a toutes les chances de s’imposer comme une des futures vedettes des salons du printemps à Genève ! Il faudra que les marques concurrentes en fassent beaucoup, et plus encore, pour se hisser sur le ring et faire bonne figure face à la grandiloquence mécanique d’une telle montre ! On boxe ici hors catégorie, hors championnat, hors compétition, dans une sorte d’horlogerie hors sol qu’on pensait définitivement démodée, mais qui parvient toujours à nous épater. Alexandre Labails : retenez bien son nom, parce qu’il risque de marquer l’histoire comme seuls quelques noms parviennent à le faire de quart de siècle en quart de siècle. Il faut se méfier des ingénieurs aéronautiques : ils ont la science infuse pour décoller, prendre l’air et planer très au-dessus des établis que les horlogers plantent dans la glaise de leurs vallées…