DROIT DE RÉ>PONS #13 (accès libre)
« Arrêtons de chercher des poux dans la tête de Nick Hayek ! »
Les principes de la libre entreprise ne sont pas négociables. Une fois n’est pas coutume, comme nous l’avions déjà fait en 2011 (quand il avait annoncé sa volonté de ne plus livrer aux marque tierces les mouvements mécaniques d’ETA), prenons la défense de Nick Hayek et de ce qui devrait être son droit de piloter à sa guise le Swatch Group.
Dans une économie libre, selon les principes non négociables d’une liberté économique inscrite depuis des siècles dans le cœur des cultures européennes, un manager devrait être libre d’agir au mieux de ce qu’il estime être l’intérêt de son entreprise. C’était déjà notre point de vue en 2011, quand Nick Hayek avait annoncé qu’il ne voulait plus livrer de mouvements mécaniques aux marques extérieures à son groupe [comprenez : les marques concurrentes des siennes]. Comme nous l’avions écrit à l’époque – « Mais foutez la paix au Swatch Group » (8 juin 2011) – et au nom des principes de la libre entreprise, nous considérions que cette organisation de la pénurie relevait de sa responsabilité managériale et de son risque d’entrepreneur, tant pour les spiraux que pour les calibres mécaniques. Risque qui se situait, à nos yeux, dans le danger de voir ses concurrents se réarmer en créant leurs propres mouvements et en modernisant leur outil de production pour mettre sur le marché des calibres de nouvelle génération, en compétition directe avec les calibres guettés par l’obsolescence d’ETA.
Parenthèse explicative : à l’époque, l’idée était surtout de « bloquer » la croissance de TAG Heuer, qui « cartonnait » sur tous les marchés au détriment des marques du Swatch Group. D’une part, en prenant cette marque concurrente dans les mâchoires d’une tenaille commerciale constituée par Tissot (au-dessous) et Omega (au-dessus), pour libérer un espace où Longines – véritable « TAG Killer » anticipé dès 2007 par Business Montres – pourrait s’épanouir. En asséchant l’approvisionnement de TAG Heuer en mouvements suisses, l’idée était d’obliger la cash machine du groupe LVMH a se rabattre sur des mouvements asiatiques, donc à perdre son argument Swiss Made. Sauf que Jean-Christophe Babin avait flairé le piège et lancé la production de ses propres mouvements grâce au soutien de LVMH. Fin de la parenthèse…
C’est toujours au nom de ces mêmes principes de libre entreprise que nous avions beaucoup rigolé de la « pantalonnade » jouée par le Swatch Group et la COMCO suisse lors des fameux « accords amiables » (Business Montres du 12 juillet 2013), dont nous avions été les premiers à publier la version intégrale de la scandaleuse première version, écrite par le Swatch Group. « Tout ça pour en arriver là », écrivions-nous ! C’est pourtant là que Nick Hayek – qui semble décidément dénué de toute vista sur les évolutions du marché – n’aurait jamais dû accepter de signer un « accord amiable » qui ne régulait que la baisse des livraisons, sans prévoir une possible reprise de l’approvisionnement à sa guise des marques : la nullité de ses services juridiques est ici flagrante, mais ça devient une habitude avec le Swatch Group.
Répétons-le encore : un chef d’entreprise libre devrait, dans une économie vraiment libre [et non une industrie encadré par des réglementations soviétoïdes], livrer qui il veut, comme il veut et quand il veut. Il ne devrait pas accepter de se voir dicter sa politique par des bureaucrates de la concurrence qui sont chargés de « dire le droit » et non d’évaluer la portée de ce droit sur les subtils mécaniques d’un marché dont ils sont bien incapables de comprendre les arcanes oligopolistiques et les enjeux internationaux. Tant mieux pour les concurrents d’ETA, qui ont tordu le bras des juges de la COMCO et tant pis pour Nick Hayek, qui n’aurait jamais dû accepter de se laisser ainsi dépouiller de ses prérogatives élémentaires de manager du premier groupe industriel de l’horlogerie suisse. Laquelle a toujours affiché une fâcheuse préférence pour la cartellisation et l’encadrement réglementaire, alors que sa meilleure protection est l’exceptionnelle richesse – impossible à concurrencer – de son terreau de fournisseurs hyper-spécialisés.
Donc, laissons Nick Hayek tranquille ! Laissons-le faire, laissons-le aller, comme le veulent les principes de l’économie libre. Il a le droit d’agir comme il le veut. Laissons-le prendre ses responsabilités et affronter ses risques d’entrepreneur. Depuis la disparition de son père, en juin 2010, il est le seul maître à bord : depuis cette époque, le gâteau horloger a connu une croissance de 40 %, mais son groupe a connu à la Bourse une croissance voisine de… zéro, sinon légèrement négative : c’est son problème et c’est le problème de ses actionnaires – qui savent pourtant qu’il a divisé par deux la valeur de leurs actions depuis trois ans – lui ont largement renouvelé leur confiance au printemps dernier… C’est son entreprise. C’est sa vision du marché. C’est sa stratégie, pour le meilleur comme pour le pire.
••• S’il veut continuer à penser que les montres connectées n’ont aucun intérêt, c’est son affaire et il a l’entière responsabilité de cette impasse stratégique…
••• S’il préfère rouler des mécaniques en menaçant ses meilleurs clients de leur couper le robinet des mouvements et des spiraux, c’est son affaire et il a l’entière responsabilité de ces rodomontades anti-opérationnelles qui poussent ses clients à se doter de leurs propres manufactures…
••• S’il a choisi de s’appuyer sur des partenaires locaux douteux pour asseoir sa présence en Chine, c’est son affaire et il a l’entière responsabilité de s’être laissé piéger par Hengdeli dont les stocks insensés peuvent « tuer » sur place les marques du Swatch Group…
••• S’il a décidé de se lancer dans une aberrante stratégie de verticalisation commerciale et d’ouvrir un peu partout de coûteuses boutiques sans clients, c’est son affaire et il a l’entière responsabilité de cette impossible chasse aux papillons touristiques, qui a ruiné la confiance de ses meilleurs détaillants à l’égard du groupe…
••• S’il a délibérément fait l’impasse sur la circulation des élites dans l’état-major de ses marques, c’est son affaire et il a l’entière responsabilité d’avoir laissé vieillir le haut management du groupe sans préparer la relève des CEO proches de la retraite…
On pourrait continuer ainsi la liste des opérations pour le moins questionnables dans lesquelles le Swatch Group a décidé de se lancer ou de ne pas se lancer. Spécialiste olympique de la balle tirée dans le pied [a-t-il encore quelques orteils libres ?], Nick Hayek est un capitaine d’industrie avisé, qui a les moyens de sa stratégie, même s’il a commencé à sérieusement écorner son trésor de guerre. Cessons de lui chercher des poux dans la tête, regrettons que la COMCO se mêle de ce qui ne la regarde pas et tentons plutôt de discerner, dans l’actuel chaos horloger, les signaux faibles de la refondation…