ROCK’N’HORL 2020 (accès libre)
C’était la mécanique horlogère la plus précise du monde
Il y a un siècle, le régulateur de précision réalisé en Allemagne par Sigmund Riefler n’était pas une horloge « atomique », mais une horloge d’observatoire astronomique dont le concept électrico-mécanique garantissait une précision de l’ordre de deux à trois secondes par an…
Selon les archives, on ne connaît aujourd’hui que 49 horloges Riefler de ce type D (cylindre de verre), dont beaucoup sont en mauvais état. Celle qui porte le n° 56 vient d’apparaître dans le prochain catalogue de la maison d’enchères allemande Auktionen Dr Crott : il s’agit du lot n° 88 de la vente 103 (7 novembre prochain, à Mannheim). Estimé 80 000 à 150 000 euros., ce régulateur de précision d’un peu moins de 1,40 m de haut est daté approximativement de 1900 : selon la tradition des régulateurs astronomiques, il décompte sur des compteurs séparés les heures (affichage sur vingt-quatre heures), les minutes et les secondes, en intégrant pour parfaire le réglage un baromètre, un thermomètre et un hygromètre, le mouvement mécanique à remontage électrique (échappement ) ressort à impulsion) battant dans un cylindre et une cloche de verre sous vide. Le tout d’origine, y compris le tube de vaseline pour les joints !
Ce n’est pas sans raison que cette horloge de l’ingénieur Riefler n° 56 a été considérée comme « l’horloge la plus précise du monde ». Ces pendules de précision étaient des instruments scientifiques utilisées dans des institutions et des observatoires de réputation mondiale [l’une d’elles avait été installée dans l’observatoire personnel du pape !]. Leurs ventes ont été portées, dès la fin du XIXe siècle, par la nécessité de disposer d’une heure de référence précise dans chaque fuseau horaire – domaine particulièrement sensible aux Etats-Unis, nation étalée sur quatre fuseaux horaires : la popularité de la référence Riefler sera établie dès les premiers Expositions universelles (Chicago en 1893). Différentes institutions américaines en feront installer, comme les numéros 6 et 36 à Washington, la n° 7 à Philadelphie, la n° 35 à Providence, la n° 65 à l'Université de Harvard et la n° 88 à Albany (New York). L'horloge n° 76 a été installée à Washington et a indiqué l'heure officielle américaine de 1904 à 1929. On a ainsi pu établir que Riefler avait quasiment livré autant d’horloges aux Etats-Unis qu’en Allemagne..
La pièce n° 56 a été expédiée à Cleveland, dans l'Ohio, le 23 avril 1901, pour être installée dans l’Observatoire Warner & Swasey, dans des conditions optimales de pression atmosphérique et de température qui sont nécessaires au fonctionnement précis de ces horloges. Après des tests et des comparaisons avec d’autres horloges de ce type recensées dans différentes institutions, différents spécialistes ont pu établir les résultats de cette pièce étaient « meilleurs que toutes les autres observations publiées ». Dans un essai sur l’évolution historique de la technologie en Bavière méridionale, Paul von Lossow constate : « A partir des résultats des tests de ces horloges, qui sont disponibles dans différents observatoires, c'est le tableau publié des résultats de l'horloge Riefler n° 56, en service à l'observatoire de Cleveland, Ohio, tableau pour la dernière fois par le professeur Howe dans le Astronomical Journal (n° 524, du 11 août 1902)... Selon les résultats, l'horloge est précise à une moyenne de 0,015 seconde par jour et la plus grande déviation mesurée sur plusieurs mois est de 0,022 seconde. Ce sont les meilleurs résultats que nous connaissons de toutes les horloges jusqu'à présent. Il faut tenir compte du fait qu'il s'agit de résultats directement enregistrés qui n'ont été convertis en aucune façon en ce qui concerne l'amplitude, la température etc. » D'autres auteurs se sont également penchés sur cette horloge, décrite par exemple dans Time & Timekeepers de Willis I. Milham. Une thèse de doctorat a été rédigée sur son sujet à la Case Western Reserve University (ex-Case School of Applied Science). Dans les archives commerciales de Riefler, il est fièrement noté : « Als beste Uhr der Welt bezeichnet ! Tagl. Var. ± 0,008s » (« décrite comme la meilleure horloge du monde ! Précise à ± 0,008 secondes par jour »)…
Quand l’Observatoire de Cleveland a renoncé à l’usage professionnel de cette horloge, elle a été récupérée par des particuliers et transmise jusqu’aux actuels propriétaires : la Riefler n° 56 va donc passer pour la première fois en vente aux enchères. La maison Auktionen Crott nous apprend qu’elle n'a jamais subi de dommages majeurs et qu’elle se trouve, à bien des égards, dans un état presque identique à celui de la vente originale en 1901. Le « boîtier » et la « cloche » en verre sont d'origine et intacts. Les instruments de mesure d'origine sont joints à la pièce [le baromètre, qui avait été endommagé lors de la livraison, avait été remplacé immédiatement, avant la mise en service de l'horloge]. Des poids supplémentaires sont disponibles dans la petite boîte Riefler d'origine – y compris la minuscule boîte de vaseline utilisée pour sceller le bord du verre (elle provient de la pharmacie Stern de Munich). Seule la pompe utilisée pour créer le vide est américaine. Il s’agit donc d’une rareté exceptionnelle pour les collectionneurs. Par la suite, dans les années 1960, le record de précisions des Riefler de type D ne sera battu que par les Riefler de type E, qui n’affichait qu’une seconde de décalage tous les quatre ans, mais les horloges atomiques allaient très vite renvoyer ces horloges mécaniques au musée…