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LE SNIPER DU LUNDI (accès libre)
Déconfiner, oui, mais « aussi vite que possible et aussi lentement que nécessaire »

C’est bien reparti ! L’industrie des montres s’est mise en branle pour retrouver un semblant de dynamique dans une économie mondiale dont les piliers tendent à s’effondrer : au lieu de recommencer bêtement à produire des montres « comme avant », est-ce qu’on ne pourrait pas réfléchir quelques minutes à ce que pourrait être l’horlogerie dans ce nouveau monde ?


ON DEVRAIT DÉCONFINER 

« AUSSI VITE QUE POSSIBLE, 

MAIS AUSSI LENTEMENT 

QUE NÉCESSAIRE » (éditorial)

L’année 2020 aura vraiment commencé fin avril, avec la réouverture de pratiquement toutes les grandes manufactures [après avoir eu du mal à fermer, Richemont fait encore un peu de résistance pour rouvrir] et de tous les ateliers des fournisseurs de l’horlogerie. De son côté, pour respecter le tempo suisse, Business Montres s’aligne sur ce déconfinement horloger et reprend le cours habituel de ses activités éditoriales [avec un peu moins d'articles en accès libre] – nous en profitons ici pour remercier tous nos nouveaux lecteurs de ces six dernières semaines et pour leur rappeler que l’aventure continue et que nous avons besoin de tous les soutiens ! Au passage, nous avons une pensée pour nos lecteurs français, pas encore franchement déconfinés et toujours soumis à une réglementation administrative particulièrement tatillonne et vétilleuse…

Déconfiner l’horlogerie, oui, bien sûr, mais pourquoi faire et comment le faire ? On peut comprendre la perplexité du personnel, qui ne va reprendre le travail que très progressivement et dans un environnement relativement « sécurisé » sur le plan sanitaire, donc avec une productivité en berne : les questions que peuvent se poser les employés à propos de cette reprise progressive de l’activité industrielle sont parfaitement légitimes…

 • S’agit-il de produire des montres selon les plans de charge antérieurs à la chronapocalypse ? On aurait du mal à le comprendre : toutes les boutiques horlogères ayant fermé leurs portes un peu partout dans le monde entre la mi-janvier (pour la Chine) et la mi-mars, les ventes y ont été anecdotiques. Les stocks sont donc au plus haut, surtout en Chine, où les traditionnelles folies marchandes du Nouvel An chinois ont été nulles du fait de la pandémie. Même si ces boutiques ont pu rouvrir ponctuellement et sporadiquement en Asie (elles ne sont restées ouvertes qu’à titre exceptionnel sur certains marchés, comme le Japon ou la Corée), leur chiffre d’affaires horloger reste résiduel, même si les CEO européens tentent de nous persuader du contraire…

 • S’agit-il de produire les nouveautés qui sont actuellement en cours de présentation en ligne aux détaillants et aux amateurs ? On ne voit pas bien où est l’urgence, compte tenu des stocks invendus des collections 2019, à moins qu’on ait dans l’idée d’accélérer l’obsolescence de ces collections de l’année dernière pour mieux les liquider sur les marchés parallèles avant qu’elles ne soient trop « vieilles ». D’autant que, à quelques exceptions près, ces nouveautés 2020 jouent dans un registre assez convenu et pas vraiment générateurs d’achats d’impulsion : on reste plutôt dans la redite, dans la réédition, dans la réinterprétation et dans la déclinaison plutôt que dans le rupturisme conceptuel. De plus, il ne sera sans doute pas possible de rouvrir les boutiques horlogères avant plusieurs semaines [le temps de les aménager], même si le déconfinement des personnes physiques est planifié pour la mi-mai…

 • S’agit de produire des pièces réclamées par les amateurs ? On a plus que des doutes : on n’imagine pas Rolex étanchant la soif collective de « Pepsi » et de « Daytona », ni Patek Philippe démultiplier la production de ses Nautilus. On n’annonce pas le moindre touriste chinois hors de Chine avant – au mieux – la fin de l’année, voire avant le printemps prochain : sans cette manne, les boutiques des grandes métropoles européennes risquent bien de rester vides, et ce ne sont pas les amateurs locaux, durement essorés par la crise économique et les menaces de chômage, qui vont les remplacer [surtout aux prix publics actuels]. Des fétiches ostentatoires et statutaires comme les montres ne sont plus cette ultime pensée des consommateurs européens, qui ont actuellement d’autres dépenses de première nécessité en tête…

 • S’agit de produire des composants indispensables aux montres et aux nouveautés évoquées ci-dessus ? L'exercice serait tout aussi vain. Certes, cela donnerait un peu de travail aux fournisseurs, qui vivent actuellement des annulations massives des commandes passées avant le confinement, mais à quoi serviraient ces composants alors qu'il faut s'attendre à des baisses de volumes de l'ordre de 30 % , voire 50 % d'ici à la fin de l'année (montres effectivement vendues) ? Peut-être faudrait-il réfléchir à l'accumulation et à l'addition des marges exorbitantes tout au long de la chaîne de valeur horlogère, dans l'amont industriel comme dans les manufactures...

 • S’agit-il de produire autre chose, par exemple des composants de ces respirateurs low cost qui seraient indispensables dans tous les hôpitaux de cette planète, ou des masques, ou des équipements de sécurité, ou quoi que ce soit de sanitairement utile, histoire de participer à l’« effort de guerre » contre le virus ? On en rêverait, mais, là aussi, à quelques exceptions près [signalées ici pendant le confinement], la mobilisation des manufactures de montres est restée assez sommaire, alors que différentes autres industries dotées de capacités mécaniques intéressantes se démenaient pour apporter leur écot industriel à cet « effort de guerre ». On ne fera croire à personne qu’il est plus facile pour un atelier Apple de produire des visières faciales ou pour un atelier Michelin de fabriquer des masques de protection que pour un atelier horloger de réaliser des sous-ensembles de respirateur mécanique…

Donc, si ce n’est pas pour faire plaisir à ces bons Messieurs les actionnaires, à quoi bon reprendre la production, au risque de mettre en danger la santé des employés et en poussant à alourdir un peu plus des stocks déjà pléthoriques [souvenons-nous que le Swatch Group dispose par exemple de près de 820 « jours de vente » de stocks – c’est la quantité de montres « finies » dans les entrepôts divisée par le nombre des montres qu’on vend en moyenne pendant une année] ? Cette obstination à relancer les chaînes de fabrication procède de la persistance chez les horlogers des réflexes de l’ancien monde, quand la « croissance » annuelle à un ou deux chiffres obsédait les états-majors, qu’on parle du nombre de pièces vendues, du nombre de boutiques ouvertes ou des zéros avant la virgule pour le bonus de fin d’année des dirigeants. Au vu de la chronapocalypse en cours, chacun sait ou saura très vite qu’il va falloir redimensionner les entreprises, mettre en panne bon nombre d’ateliers, fermer de nombreuses boutiques et licencier des milliers de personnes aujourd’hui provisoirement en chômage technique : où est la logique d’un « retour à la normale » plutôt prématuré ? Il ne s’agit que d’une addiction intempestive à l’ancien logiciel mental de l’horlogerie [celui d’avant la crise] : cet état de dépendance psychologique sera probablement, dans les mois à venir, le principal frein à une reconfiguration intelligente des stratégies de travail…

Finalement, cette reprise anticipée de l’industrie des montres en Suisse – sans boutiques pour écouler la production et sans clients pour les acheter – ressemble fort au chant du cygne de l’ancien monde horloger. En avant comme avant ! C’est une forme de fuite en avant dans le déni de réalité – celle d’une crise au moins comparable à celle des années 1930 – et dans l’incapacité à remettre en cause des routines intellectuelles qui s’avèrent de moins en moins opérationnelles pour rebâtir, dans un monde chaotique et imprévisible, une économie horlogère digne de ce nom. Seuls les ravis de la crèche se font encore des illusions sur le retour à l’Eldorado horloger qu’a pu être le dernier quart de siècle. On vous laisse réfléchir là-dessus…

LES BONNES,

LES MOINS BONNES

ET LES AUTRES NOUVELLES DU JOUR

❑❑❑❑ L’EXHUMATION DU JOUR : il se pourrait qu’Alain Berset, le « ministre » suisse de la Santé, n’ait rien « inventé » en matière de phrase-culte – celle dont on fait des T-shirts (ci-dessous). Selon la presse suisse (24 Heures), il faut remonter aux années 1960 : « En 1963, un élu du Congrès américain, Clark McGregor, s’en prenait ainsi aux communistes : “Leur politique est simple, mais le monde libre n’a pas l’air de la comprendre. Ce qui est à eux est à eux, ce qui est à nous, ils veulent se l’approprier de force ou par la négociation. Ils avancent aussi vite que possible, aussi lentement que nécessaire”. »

❑❑❑❑ LA BLOGUEUSE DU JOUR : Blac Chyna (31 ans) est une blogueuse de choc (16,6 millions d’abonnés sur Instagram). Cette délicieuse personne (ci-dessous) a pu créer sa propre marque de maquillage. Pour améliorer ses fins de mois en période de confinement, elle propose des conversations vidéo avec elle : 875 euros ! Pour figurer sur votre propre liste de followers, c’est seulement 230 euros.

❑❑❑❑ LA DERNIÈRE BANDE-SON DU JOUR : pour en finir avec le confinement, une chanson ultra-classique et ultra-poétique dès qu’il s’agit de redonner un peu d’espérance et un peu de sens à nos existences en réclusion. C’est forcément à Jean Ferrat qu’on pense, et à son Que c’est beau, la vie (1963) – une des plus belles chansons du répertoire français. Avec des paroles d’une simplicité élégiaque et d’une belle sobriété : « Tout ce que j'ai failli perdre / Tout ce qui m'est redonné / Aujourd'hui me monte aux lèvres / En cette fin de journée / Pouvoir encore partager / Ma jeunesse, mes idées / Avec l'amour retrouvé /Que c'est beau, c'est beau la vie ». Rappelons que Business Montres avait décidé de créer une play-list optimiste et nostalgique pour aider tout le monde à se déconfiner mentalement…

❑❑❑❑ LA SÉANCE DE RATTRAPAGE DU JOUR : tout ce que « Business Montres » a publié pendant cette sixième semaine de confinement, c’est dans notre compilation de fin de semaine (Business Montres du 26 avril). Cette année 2020 et la décennie qui s’annonce seront décisives pour l’histoire des montres – peut-être de façon tragique, mais aussi de façon plus positive si les planètes s’alignent correctement. Dans notre « zéro bullshit zone », nos lecteurs étaient en première ligne pour mieux comprendre ce qui est en jeu alors que l’horlogerie est au point mort. Voici, comme tous les week-ends, tout ce qui a compté pour la communauté horlogère, au cours de cette semaine, à propos des hommes, des montres et des marques. Des actualités publiées pour que chacun puisse mieux tirer son épingle du jeu sur le tapis vert de l’économie des montres.

❑❑❑❑ LES BONNES RÉPONSES MILLÉSIMÉES DU JOUR : quels bons souvenirs horlogers avez-vous gardé du millésime 1997 ?  Les bonnes réponses à notre soixante-septième séquence Horlomania pour les nuls #67 (Business Montres du 26 avril) étaient : A 67 : La restitution à la Chine  de la colonie britannique de Hong Kong (devenue entretemps le premier partenaire commercial de l’industrie des montres suisses) •••• B 67 : Skin (en raison de son record de minceur pour une montre en plastique : 3,9 mm) •••• C 67 : Montblanc •••• D 67 : Biowatch •••• E 67 : Gc ••••

❑❑❑❑ LES AUTRES BONNES RÉPONSES DU JOUR : rien de tel qu’un peu de culture horlogère pour ne pas mourir idiot du coronavirus ! Les bonnes réponses à notre précédent et ultime quiz de confinement (Business Montres du 24 avril) étaient : Ligne-A ; Amundsen-F ; Dufour-9.

❑❑❑❑ UN GESTE UTILE : avez-vous pensé à « liker » ou à signaler à votre communauté notre vidéo sur la fausse reprise et le « rebond » purement théorique de l’horlogerie suisse ? Pensez aussi à vous abonner et à faire s’abonner vos proches ! 0 % publicité, 100 % liberté : il revient à nos lecteurs de nous soutenir en favorisant la diffusion de nos interventions, qu’elles soient éditoriales (comme cette page du Quotidien des montres) ou audiovisuelles comme la vidéo ci-dessous

❑❑❑❑ LA CITATION DU JOUR : « Ce qui servait alors à détruire ne peut aujourd’hui servir à construire : on ne saurait terminer la révolution avec les doctrines qui l’ont commencée » (Auguste Comte à propos de la Révolution française)…

❑❑❑❑ LE DESSIN DU JOUR : « Alors, comme ça, vous voulez retrouver, mais en plus contemporain, l’esprit festif et convivial des premiers SIHH qui ont été organisés à Genève ? » (séquence « Sérieux, s’abstenir » : Business Montres du 26 avril). Personne n’a encore la moindre idée de ce que sera le futur salon genevois Rolex + Richemont, mais les spéculations vont bon train : les nostalgiques des premiers SIHH – ceux de la période Perrin – auraient bien quelques idées à ce sujet, mais on doute qu’elles soient retenues par Rolex…


 

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