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BLOC-NOTES D’ACUPUNCTURE (GWD 2022)
Des notes qui sont autant d’aiguilles plantées sur les méridiens où circulent les énergies vitales de l’horlogerie

On va parler, entre autres, des Geneva Watch Days, forcément, mais aussi d’un actionnaire qui a su doubler et même tripler la mise, d’un délicieux sucre d’orge joaillier et du procès intenté par le Swatch Group à quelques supposés corrompus – on en oublie, mais vous retrouverez tout ce petit monde dans les notes ci-dessous. À propos de bloc-notes, l’excellent Sylvain Tesson en parle avec bonheur : « Les blocs-notes sont des coups de sonde, des carottages donnés dans le chatoyant foutoir du monde ».


En vrac, en bref, mais toujours en toute liberté (Business Montres oblige), quelques notes qui dénotent le vif souci d’y voir plus clair dans le déferlement haletant de l’actualité des montres. On remarquera, pour cette rentrée horlogère, que bloc-noter revient souvent à se poser les bonnes questions sans forcément trouver les réponses qui vont avec…

PRIMO…

Deux participants de ces Geneva Watch Days (GWD) sont peu camouflés à l’ombre du Fairmont sur les bords du lac, à 250 mètres de la tente officielle des GWD : Singer Reimagined et Beauregard tiennent discrètement salon à l’espace Barton Seven, à un jet de pierres du Fiarmont. Si nos lecteurs sont désormais familiers des collections Singer Reimagined, qui ont… réimaginé le chronographe à lecture centrale, avec un époustouflant mariage de virtuosité mécanique et d’intelligence esthétique, ils connaissent moins les montres Beauregard créées par Alexandre Beauregard, le plus suisse des horlogers francophones canadiens. Il ne faut absolument manquer sa collection Lili, des montres féminines de haute joaillerie remarquées au dernier GPHG avec leur boîtier de forme (rectangulaire) et leur semis de diamants (180 !) qui met en valeur un « fleur » de pierres dures dont chaque pétale est taillé et poli à la main avant d’être assemblée dans le « mosaïque » précieuse qui constitue le cœur de la montre. Si les grandes maisons de joaillerie avaient les artistes capables de créer de telles fleurs, elles en inonderaient le marché, mais c’est pour l’instant une spécialité exclusive de Beauregard. De même, les Lili Bouton proposent, dans un boîtier rond, un tourbillon central et une ronde de pétales taillé dans le corail le plus rutilant qu’on puisse imaginer (ci-dessous). Et vous serez récompensés de votre passage au Barton Seven par les Lily Cady, qui crée autour de la montre une délicieuse ret précieuse ronde de sucre d’orge dans le style Lolli Pop (ci-dessus) – on peut ainsi déguster sans modération opales, chrysoprases, améthystes, topazes et autres spécialités horlogères du chef Alexandre Beauregard…

SOLO…

Une des meilleures surprises des premières heures de ces Geneva Watch Days était aussi une des marques les plus intéressantes à découvrir sur les bords du lac : il s’agit sans aucun doute une marque encore à peu près totalement inconnue, d’une nouvelle marque qui n’a pas la moindre montre à nous présenter physiquement [juste une stéréolithographie qui nous donne une vague idée de la volumétrie], d’une opération qui affiche un actionnariat et une équipe de lancement pour le moins surprenante [voir ci-dessous], mais d’un concept horloger qui possède déjà une histoire consistante, avec un nom qui a pesé sur l’histoire horlogère. Cette marque, c’est Aegler, ce nom évoquant pour les initiés l’horloger moustachu Jean Aegler (1850-1891), un des génies horlogers suisses de la fin du XIXe siècle, qui avait fondé en 1878 Aegler SA, manufacture à laquelle on doit près de cent cinquante brevets [dont un de tout premiers brevets horlogers déposés en Suisse]. Les descendants de Jean Aegler continueront sur cette lancée pionnière, avec de nouveaux brevets et, en 1910, la première montre certifiée chronomètre en Suisse (Bienne). La réputation d’Aegler poussera un certain Hans Wilsdorf, le fondateur de Rolex, à faire d’Aegler son fournisseur de mouvements, qui seront d’ailleurs certifiés chronomètres à l’observatoire de Kew (Teddington) au Royaume-Uni – une alliance qui durera jusque dans les années 2000. Tout le monde pensait d’ailleurs que ce nom d’Aegler appartenait au portefeuille des marques « dormantes » du groupe Rolex, mais il était miraculeusement libre : on notera cependant que la communication de la nouvelle marque Aegler évite soigneusement la moindre mention du nom de Rolex ou de Hans Wilsdorf – y aurait-il un problème qu’on ne veut pas nous avouer ? Comme le lancement de cette marque sur le créneau du sport chic s’annonce fracassant et que la première montre de la nouvelle marque Aegler mérite le détour (ci-dessous), nous y reviendrons plus longuement et ultérieurement hors de ce bloc-notes…

DUO…

À propos d’Aegler, là où ça devient assez rigolo, c’est quand on découvre l’actionnaire de référence de cette nouvelle marque : lui, c’est Harry Guhl, un sympathique investisseur helvéto-européen, qui était déjà à la manœuvre derrière le lancement de Czapek. Il semblerait cependant que, depuis le lancement d’Aegler, Harry Guhl ait fini par annoncer à ses co-actionnaires son retrait du conseil d’administration de Czapek, dont il reste cependant actionnaire (pas majoritaire, mais principal en termes de capital, semble-t-il). Pour ceux de nos lecteurs qui qui ont un peu de mémoire, l’« opération Czapek » s’inscrivait dans les mêmes fondamentaux que l’« opération Aegler » : un ancien nom, aussi vénérable que respectable, tiré des limbes de l’histoire horlogère [en 2015, c’était Czapek, premier associé du Patek de Patek Philippe, devenu par la suite horloger de cour], associé à des « montres de collectionneur », esthétiquement séduisantes et mécaniquement substantielles, avec à peu près le même positionnement dans les prix (autour de 20 000 euros). Mêmes fondamentaux également dans le style « sport chic » des deux marques, la nouvelle Chromatique d’Aegler (ci-dessous) répondant presque trait pour trait à l’Antarctique de Czapek [avec de subtiles différences qui n'échapperont pas aux initiés, notamment les index, les vis sur la carrure ou les poussoirs latéraux du bracelet, dont les maillons sont moins complexes] – ce qui n’étonnera personne, le designer étant le même, le sympathique Adrian Buchmann de La Chaux-de-Fonds. Autre animateur de ce duo de marques et de montres : l’atelier Chronode de Jean-François Mojon, qui fournissait le mouvement « manufacture » de Czapek et qui a conçu le mouvement « manufacture » RP-0101 de la première collection Aegler. Pour ce lancement d’Aegler, Harry Guhl s’est entouré d’investisseurs (notamment asiatiques) et d’une équipe spécialisée (Erik Meijer, qui nous arrive des Pays-Bas, et le Munichois Ralf Calebow à la direction financière de la nouvelle structure)…

TRIO…

Jamais deux sans trois, puisque l’actionnaire horloger Harry Guhl, déjà partie prenante dans Aegler et Czapek, est aussi l’actionnaire de référence des montres connectées Sequent – la seule vraie smartwatchautomatique suisse, si ce n’est la « seule montre automatique intelligente du monde ». Montre connectée très bien pensée dont le designer n’est autre qu’Adrian Buchmann, dont nous venons de parler [le monde est petit !]. C’est à ce designer qu’on doit la SuperCharger HR 2.2 (ci-dessous), développé avec Romaric André, l’infatigable animateur créatif de Seconde/seconde, qu’on a déjà vu à l’œuvre sur différentes initiatives horlogères, officielles (entre autres, Louis Érard, H. Moser & Cie et, plus lointainement, Celsius X VI II) ou non officielles (Rolex, Omega, Zenith, etc.). Vous comprenez mieux, maintenant, pourquoi on vous avoue que la (re)naissance d’Aegler est un des plus gros coups de cette rentrée horlogère 2022 ?

ANGLO…

Un seul reproche, pour commencer, alors que l’aventure Aegler commence à peine :  pourquoi une entreprise qui se réclame de la plus pure génétique horlogère suisse [ADN garanti sur dossier de presse et en ligne directe] et qui a installé son siège social à Thielle-Wawre, pratiquement aux portes de Neuchâtel, donc en terre francophone, s’obstine-t-elle à ne parler qu’anglais, pas même français, ni allemand ? C’est le premier coup de canif dans le contrat de confiance qui atteste de l’authenticité et de la consistance historiques du concept Aegler, maison qui a toujours parlé français, même en vendant ses montres et ses mouvements dans les pays anglo-saxons : on peut difficilement vouloir iincarner « la perfection dans sa plus pure forme » et négliger ce petit détail linguistique qui fonde la légitimité d’une proposition…

QUARTO (1)…

C’est hier que s’est ouvert, à Neuchâtel, le procès très attendu et inlassablement reporté [à trois reprises, c’est donc la quatrième tentative !] des employés du Swatch Group supposés coupables d’une corruption qui porterait sur 14 millions de francs suisses. Le groupe de Nick Hayek ne réclame pas moins de 60 millions de francs aux présumés corrompus, mais il ne semble pas non particulièrement soucieux de voir les juges aborder le problème de fond de ce procès : les abus des marques suisses qui produisent en Asie, du bon ou du mauvais côté de la réglementation qui concerne le Swiss Made, presque tout ou partie de leurs montres. Étaient en cause des marques comme Tissot [qui a fait depuis 2014, date du dépît de la plainte du Swatch Group] de sérieux progrès dans ce domaine, et Calvin Klein, dont la licence était alors exploitée par le Swatch Group. On est donc ici dans des pratiques anciennes et avérées qu’on nous dit aujourd’hui partiellement abandonnées [au profit d’une relocalisation en Suisse plus ou moins forcée par la pandémie], mais la sincérité du Swiss Made dont une marque comme Tissot est si fière – au point d’apposer la croix fédérale sur ses cadrans – s’avère directement questionnée par les audiences de ce procès...

QUARTO (2)…

Le Swatch Group se serait bien passé de ce coup de projecteur sur ses pratiques en Chine, puisque tout le procès qui vient de s’ouvrir à Neuchâtel tourne autour de rétrocommissions supposées sur l’attribution à tel fournisseur de grosses commandes par différents donneurs d’ordre du Swatch Group, présumés innocents jusqu’à vendredi prochain. Le groupe, qui entendait donner à ce procès un certain retentissement, se trouve aujourd’hui dans la situation de l’arroseur arrosé : il a beaucoup plus à perdre qu’à gagner à l’issue de ce verdict. Au vu des profits de cette corruption supposée [on reproche 14 millions de francs aux accusés, mais il ne s’agit que des sommes « prouvées »], on peut logiquement en déduire qu’ils correspondent, pour les donneurs d’ordre pris la main dans le pot de confiture, à des « primes d’encouragement » pour avoir orienté des centaines de millions de commandes sur un fabricant asiatique qui a d’ailleurs reconnu les faits et la réalité des versements, tout en niant l’existence du pacte de corruption allégué par le Swatch Group. Autant de centaines de millions qui ont échappé à l’économie suisse et qui n’ont pas créé le moindre emploi industriel en Suisse – ceci pour gagner quelques centimes par composant [soit énormément de profits pour les actionnaires], mais en alourdissant l’empreinte énergétique du groupe avec les tonnes d’équivalent carbone générée par un trafic incessant de containers, livrés par bateau ou par avion. Le procès dira s’il y a ou non corruption, si tant est que les faits ne soient pas partiellement prescrits. L’affaire est à suivre, mais, au soir du premier jour d’audience, la RTS suisse interrogeait Grégory Pons (Business Montres) sur la portée générale de ce procès…

ET CŒTERA…

Au cours de cette semaine et tout au long des Geneva Watch Days (GWD), nous continuons nos chroniques habituelles de relaxation visuelle (« Watch Comedy Club »), tout en poursuivant la présentation des montres lancées pendant les GWD (« Repérages ») et en suivant l’actualité des montres avec ce bloc-notes agrémenté de différentes pages supplémentaires, comme notre « Baromontres » de fin de mois (ce sera pour mercredi : « Les gens et les marques qui ont influencé l’actualité des montres en août) ou « Atlantic-Tac » (c’est chaque vendredi en partenariat avec Atlantico). Et il y aura peut-être d’autres bonnes surprises…

 

Coordination éditoriale : Eyquem Pons


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