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Histoire de la mesure du temps : âgé de 10 000 ans, le plus ancien calendrier de l'humanité est européen !

Il s'agit d'une découverte archéologique fondamentale : 8 000 ans avant la machine d'Anticythère, 5 000 ans avant les premiers calendriers proche-orientaux, 4 000 ans avant le disque de Nebra (Saxe) ou 3 000 ans avant le cercle de Goseck (Allemagne), nos ancêtres utilisaient déjà un calendrier luni-solaire. Sur la longue durée, les Européens prouvent une fantastique affinité ethno-culturelle avec les objets du temps...


Finalement, ce n'est peut-être pas un hasard si l'Europe a inventé les objets du temps ! C'est ici, dans une aire culturelle centrée autour de l'arc alpin, qu'ont été mises au point les premières mécaniques horlogères. C'est de Grèce que nous vient la machine d'Anticythère, premier ordinateur astronomico-mécanique de l'humanité (réalisation supposée : 200 à 300 ans avant notre ère). C'est à Nebra, en Saxe-Anhalt (Allemagne), qu'on a retrouvé un spectaculaire disque de bronze qu'on sait aujourd'hui être une représentation du ciel et une sorte de planétaire (âge estimé : 2 000 ans avant notre ère). C'est toujours en Allemagne, d'ailleurs non loin de Nebra, qu'on a retrouvé le « cercle de Goseck », un tumulus cerclé de palissades qui dessine, dans le sol, un calendrier luni-solaire et un observatoire astronomique d'une rare précision (datation admise : 4 800 ans avant notre ère, soit bien avant les équivalents proche-. Et c'est en Ecosse qu'on vient d'étudier et d'authentifier les alignements luni-solaires de Warren Field, en les datant de 8 000 ans avant notre ère, soit 10 000 ans d'ancienneté. On passera ici pour mémoire des objets tout aussi émouvants, comme l'os coché de la grotte de Taï (dans la Drôme, en France), qui constitue la première vraie abstraction de notre rapport au temps : daté de 10 000 ans avant notre ère, ce n'est ni plus ni moins qu'une « phases de lune » (plus de quatre mois séquences lunaires) gravées sur une côte d'animal...

Revenons à Warren Field, non loin d'Aberdeen, en Ecosse : il y a environ 10 000 ans, les hommes du Mésolithique [qui sont encore, théoriquement, des « chasseurs-cueilleurs » et non des agriculteurs], creusent des trous dans la terre pour y aligner des pieux, sur cinquante mètres, pour former un alignement qui aurait la forme d'un arc et dont les douze emplacements formeraient une sorte de calendrier lunaire annuel (12,37 mois lunaires dans une année solaire) avec des alignements remarquables sur la position du soleil levant au moment du solstice d'hiver (photographie aérienne ci-dessus). Le site a été fouillé par une équipe de l'université de Birmingham (RCAHMS : Royal Commission on the Ancient and Historical Monuments of Scotland), conduite par une autorité incontestable, le professeur Vince Gaffney – qui est lui-même étonné de cette antériorité de 5 000 ans par rapport aux premiers calendriers officiellement attestés au Proche-Orient.

Une douzaine de pieux font-ils un calendrier ? Sur le plan visuel, ce n'est pas spectaculaire. Sur le plan scientifique, c'est d'un abord astronomique assez complexe. Sur le plan historique, c'est décisif. Le schéma publié sur le site de la BBC (ci-dessous) nous en dit un peu plus long sur les « phases » de l'année lunaire décrites par l'alignement de Warren Field, non loin du château de Crathes. Il s'agit tout simplement d'un calculateur primitif, basé sur des repères fixes qui permettent d'évaluer le mouvement des astres (Lune et Soleil) dans le ciel, donc de se situer dans le temps tout au long de l'année et d'anticiper le retour des saisons et des variations du climat. On sait que ce site a été utilisé pendant près de 4 000 ans, au cours desquels il a fallu remplacer des dizaines, sinon des centaines de fois les pieux-repères – opération qui réclame également une transmission efficace des données précises et du savoir astronomique théorique synthétisé par cet alignement complexe.

Un des aspects les plus intéressants de la publication scientifique de cette découverte – « Time and a Place : A luni-solar 'time-reckoner' from 8th millennium BC Scotland » (Internet Archeological) – est la possibilité de recaler chaque année, sur le Soleil, ce calcul des mois lunaires, un peu comme on remet à l'heure une montre ou une pendule. Une correction astronomique [on sait que les années solaire et lunaire sont asynchrones] qui permet de penser qu'il s'agit bien d'un calcul du temps, et non d'un simple marquage de son flux : la recherche de cette synchronicité sera d'ailleurs un des grands problèmes des Européens, jusqu'à la fantastique complexité du calendrier gaulois, dont nous commençons à peine à discerner la virtuosité intellectuelle : au fait, est-ce un hasard si le seul calendrier gaulois attesté que nous connaissions a été retrouvé dans l'Ain, à quelques dizaines de kilomètres de Genève ? Depuis dix millénaires, c'est ici que ça se passe – avec l'arc alpin pour centre – pour les objets du temps un peu sophistiqués !

Trois semaines de dix jours dans le calendrier de Warren Field – retenez le nom, il sera bientôt aussi célèbre que celui d'Anticythère – et une année représentée par la chaîne des douze pieux, avec la possibilité de jouer avec des repères complémentaires : on reste là dans la définition d'un double système cosmogonique luni-solaire, qui sera celui des Européens pendant dix millénaires. Quelle pouvait être l'utilité d'un tel calendrier pour des cultures réputées nomades de tribus constituées de « chasseurs-cueilleurs » ? D'abord, il n'est pas exclu que le passage à l'agriculture (néolithique) ait eu lieu de façon sporadique plus tôt que prévu et surtout de façon non systématique, avec des transitions plurielles probables. Ensuite, même pour des économies de prédation, les saisons signalent le retour de certains gibiers, comme la remontée des torrents par les saumons. On trouvera dans la vidéo ci-dessous une évocation du rythme des saisons telles qu'elles pouvaient apparaître à nos ancêtres de Warren Field. Cette capacité d'anticipation dans la « gestion du temps » prouve une maturité intellectuelle et culturelle stupéfiante pour des peuples qu'on disait primitifs : ils semblent, au contraire, remarquablement évolués dans leur perception du monde et dans la place qu'ils y occupent, ici et maintenant.

Cette relecture des « objets du temps » de nos ancêtres est passionnante : comme dans la relecture de la machine d'Anticythère, des pans entiers d'un savoir oublié nous sont révélés. Sans être purement mécanique, la palissade de Warren Field n'en est pas moins une « machine à calculer » : il semble désormais évident que le savoir astronomique accumulé pendant dix millénaires s'est transmis, d'une manière ou d'une autre, entre les cultures des différents groupes humains de la péninsule européenne, des confins de l'Ecosse au Proche-Orient, avec des abstractions aussi sublimes qu'Anticythère, mais aussi des synthèses esthétiques aussi frappantes que le disque de Nebra (ci-dessous), voire aussi monumentales que Stonehenge. Que sont nos cinq petits siècles d'horlogerie mécanique face aux cinq millénaires d'avance calendaire de nos Ecossais pêcheurs de saumons ?

Simple question pour finir : alors que Hublot a rendu hommage à Anticythère, avec une collection puissante qui est appelée à se développer dans le toujours plus spectaculaire, on se demande qui rendra hommage à Warren Filed et aux premiers calendriers de notre histoire ? On a déjà noté, chez Ochs und Junior (Ludwig Oechslin), un timide hommage au disque de Nebra (ci-dessous et en bas de la page)...

••• Reprise dans nos Archives d’un texte publié par Business Montres (16 juillet 2013) sur une information capitale pour l’histoire des objets du temps…



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