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LUNDI : Harry Winston, avec un H comme Hayek

À une semaine de la Wonder Week genevoise (SIHH, GTE et toutes les autres expositions), quelques échos d'une journée secouée par l'annonce impromptue du rachat d'Harry Winston par le Swatch Group... Business Montres vous révèle ce qui s'est passé dans les coulisses et ce qui pourrait bien se passer dans les vitrines... Un magnifique hommage de Chopard à l'Année du Serpent (technique Urushi)...   ◀▶ AU SOMMAIRE DE CE 360° DU LUNDIDes infos qui seront …


À une semaine de la Wonder Week genevoise (SIHH, GTE et toutes les autres expositions), quelques échos d'une journée secouée par l'annonce impromptue du rachat d'Harry Winston par le Swatch Group...

Business Montres vous révèle ce qui s'est passé dans les coulisses et ce qui pourrait bien se passer dans les vitrines...

Un magnifique hommage de Chopard à l'Année du Serpent (technique Urushi)... 
 
◀▶ AU SOMMAIRE DE CE 360° DU LUNDI
Des infos qui seront développées après le Jet d'eau HYT ci-dessous...
❍❍❍❍ ÉDITO : que de questions dans les coulisses du rachat d'Harry Winston par le Swatch Group...
❍❍❍❍ EMPLOI : que vont devenir les 5354 employés d'Harry Winston, une fois intégrés dans le groupe Swatch ?
❍❍❍❍ GOODWILL : apparemment, le prix d'achat payé par le Swatch Group n'a guère valorisé la marque Harry Winston...
❍❍❍❍ SIGNATURE : pourquoi Nick Hayek était-il aussi pressé de signer, sans même mettre son nez dans les comptes ?
❍❍❍❍ OPUS : quelles montres et quelle stratégie horlogère pour la nouvelle marque du Swatch Group ?
❍❍❍❍ CITATION : faut-il hurler avec les loups et bêler avec les moutons ?
❍❍❍❍ BLUFF : c'est rigolo, une nouvelle marque qui s'invente toute seule...
Au secours, HYT infiltre Genève (Hôtel Kempinski, pendant la Wonder Week, la semaine prochaine) !
 
 
◀▶ COMMENTAIRE
Un rachat effectué dans l'urgence et sans due diligence 
❏❏❏❏ Sans revenir sur nos premiers commentaires à propos de ce rachat (Business Montres du 14 janvier), quelques questions supplémentaires – pas toujours assorties de la réponse ! Ce rachat va forcément entraîner une restructuration des équipes, notamment pour ce qui est de la direction. Au total, 535 emplois sont concernés dans le monde, donc beaucoup doublonnent avec les équipes du Swatch Group déjà en place sur les marchés et dans les états-majors. Le Swatch Group possède déjà, en propre, la plupart des actifs acquis avec la marque Harry Winston : manufacture de haute horlogerie [le Swatch Group à Plan-les-Ouates : on a brisé le tabou !], ateliers horlogers [certes sans mouvements], dossiers techniques pour développer un nouveau mouvement [qui n'aura plus guère d'utilité compte tenu du potentiel ETA], boutiques internationales [à part l'immeuble de New York et, sans doute, celui de l'avenue Montaigne, à Paris, d'où le Swatch Group était absent], filiales commerciales, etc. On en déduira qu'une bonne moitié de ces postes devraient être supprimés.
❏❏❏❏ Les circonstances du rachat sont piquantes, et même déroutantes ! De sources proches du dossier, on découvre que le Swatch Group n'a approché la présidence d'Harry Winston [celle du conglomérat minier, pas celle de la division montres et joaillerie] qu'à la fin de l'année 2012, pour boucler et signer le dossier hier soir, dimanche, à New York, sans même avoir procédé à une due diligence ! Une négociation de dix jours, pas un de plus, sans entrer dans les détails : c'est ce qui s'appelle acheter chat en poche ! Un milliard de dollars sur la table sans jeter un oeil sur les comptes, autrement qu'à travers les chiffres publics d'une société cotée et après de rapides entretiens avec les auditeurs : c'est pour le moins gonflé, même dans le cadre des lois américaines [n'ayons pas la cruauté de rappeler toutes les affaires récentes de comptes bidouillés, même pour des sociétés cotées, notamment le scandale HP-Autonomy]. Pour voir Nick Hayek mettre ainsi un milliard de dollars de son précieux cash sur la table, il fallait que l'enjeu soit stratégique pour le groupe, et particulièrement urgent : on ne peut s'empêcher de déceler dans la rapidité avec laquelle les opérations de rachat ont été menées une sorte de revanche accélérée sur le ratage de Bvlgari et l'échec de la joint-venture avec Tiffany & Co. De toute façon, le périmètre des dettes reprises par le Swatch Group a été clairement délimité et le rachat conditionné à l'absence de "cadavres dans les placards" : la passion chicanière de l'état-major biennois nous promet vraisemblablement de futures belles batailles d'avocats – dans le goût des affaires pendantes avec Tiffany & Co...
 
 
 
◀▶ ONE BILLION DOLLARS BABY
Le coup de poker de Nick Hayek
❏❏❏❏ Pour ce qui est du prix de ce rachat, il est un peu... étrange ! Soit on considère – ce qui est notre cas – que l'image d'Harry Winston est un précieux capital immatériel, et le prix d'achat (publié) d'un milliard de dollars est assez décevant : il ne valorise quasiment pas la marque. Soit on considère – ce qui semble être le cas du Swatch Group – que ce goodwill est négligeable, et le prix d'achat devient alors intéressant. Selon les derniers chiffres publiés, qui remontent au 31 janvier 2012, le résultat opérationnel de la branche montres et joaillerie de Harry Winston se monte à 32 millions de dollars : en admettant une augmentation "normale" (en phase avec l'ensemble du marché) de ce résultat, on devrait logiquement être dans les 35-40 millions de dollars pour l'année 2012-2013. Le milliard payé par le Swatch Group correspondrait donc à environ 25 fois le résultat opérationnel (EBITDA) : c'est un multiple relativement courant pour ce genre d'opérations dans les métiers du luxe –même sans tenir compte des anticipations faites par le Swatch Group, qui ne se valorise lui-même, à la Bourse, qu'à 9 fois son EBITDA...
❏❏❏❏ Rapporté aux 412 millions de chiffre d'affaires publié fin janvier 2012 et compte tenu de la même croissance "normale" en 2012-2013, le multiple du prix d'achat passe entre 2 et 2,3 fois le chiffre d'affaires, ce qui est là aussi en ligne avec les pratiques du marché. En rapportant le chiffre d'affaires au résultat opérationnel, on voit bien que Harry Winston était sous-rentable, probablement du fait de son isolement. En l'intégrant dans un groupe comme Swatch, ce profit opérationnel ne peut qu'exploser, d'une part à cause de la réduction inévitable des frais de structures (mutualisation de nombreux budgets), d'autre part en raison de l'accès privilégié à un certain nombre d'avantages industriels – interdits aux indépendants, mais garantis aux marques du groupe. Il est donc réaliste d'imaginer un bond rapide du résultat opérationnel d'Harry Winston autour d'une centaine de millions, voire plus, ce qui mettrait la valeur de rachat en phase avec la propre valorisation du Swatch Group (9-10 fois l'EBITDA). C'est un coup de poker de la part de Nick Hayek, mais la manoeuvre reste réaliste – à quelques bémols près (voir ci-dessous). Ceci sans compter avec la ventilation des 250 millions de la dette rachetée, qui va permettre quelques belles opérations d'optimisation fiscale...
❏❏❏❏ De toute façon, qu'est-ce que le Swatch Group aurait pu faire de son cash, qu'on sait abondant ? Le placer à l'UBS avec le succès que l'on sait : inutile d'y penser ? Verser encore plus de dividendes : les incidences fiscales ne sont pas positives ? Donc, autant le dépenser et l'investir dans  le rachat d'une marque de prestige qui, aujourd'hui, ne rapporte rien, mais ne coûte rien non plus, alors que sa simple mise en synergie avec le groupe peut doper sa profitabilité tout en dotant le groupe d'un nouveau métier. Elevé en apparence, le prix d'achat ne l'est plus que très relativement quand on détaille tout l'environnement de l'affaire...
 
 
 
◀▶ CHOC CULTUREL
Une création de valeur qui se jouera sur les valeurs
❏❏❏❏ Les questions fondamentales qu'on doit se poser à propos de ce rachat concernent le réalisme global de l'opération et sa pertinence dans la durée : Business Montres a déjà pointé du doigt (notre article du 14 décembre) les handicaps culturels du groupe dans le domaine de la joaillerie, où il ne possède ni les équipes managériales qui seraient familières du domaine et du métier joaillier, ni surtout le système de valeurs – disons de la "culture d'entreprise" – capable d'actualiser le formidable potentiel d'une "marque" comme Harry Winston. Un simple coup d'oeil dans le rétroviseur révèle que, hormis dans son dispositif industriel, le Swatch Group n'a jamais réussi à mener à bien aucune fusion-acquisition, aucun rapprochement d'entreprise, ni même aucun lancement de marque, au moins depuis que Nick Hayek est aux commandes [échec de Léon Hatot et des développements autour d'Endura, déconsolidation de Dress Your Body, crise de nerfs avec Tiffany & Co, incohérences dans la gestion d'une prise de contrôle chez Hengdeli, etc.]. Il faut remonter à la fin des années 1990 pour trouver, du temps de Nicolas Hayek Senior, des expériences comparables [Breguet avec succès, Jaquet Droz avec une réussite plus contrastée]. Plus que d'un savoir-faire industriel ou commercial, l'équation Harry Winston relève d'un traitement marketing et surtout d'une infusion de branding – deux disciplines dont le groupe est loin de maîtriser les subtilités. On peut donc s'interroger sur la création de valeur qui permettra au groupe d'avoir un retour du investissement dans un délai raisonnable...
❏❏❏❏ Le rachat par un groupe comme PPR n'aurait sans doute pas posé de souci sur le plan marketing, mais le groupe de luxe français ne possède pas les structures industrielles capables d'emballer la profitabilité d'une maison comme Harry Winston, qui souffrait de son indépendance et de son absence de masse critique. C'est pour cette raison que l'affaire ne s'est pas faite, de même qu'elle n'a pas tenté LVMH ou Richemont, groupes auxquels Harry Winston aurait posé un problème d'auto-concurrence (Cartier ou Bvlgari). En revanche, on peut considérer qu'un groupe indépendant comme Rolex aurait eu intérêt à se doter d'un pilier joaillier : encore une occasion manquée ? Toujours de source proche du dossier, on découvre qu'un certain nombre d'opérateurs et d'investisseurs rôdaient autour du rachat d'Harry Winston : c'est probablement une partie de l'explication de la décision soudaine de Nick Hayek...
❏❏❏❏ Finalement, ce qu'il y a de réjouissant dans ce rachat, c'est la capacité d'un Nick Hayek à nous surprendre par des initiatives stratégiques inopinées, un peu "sauvages" et pas forcément 100 % rationnelles, sur des terrains où on ne l'attendait pas. Il est bon pour le marché que le leader suisse soit à ce point tonique, impulsif et manoeuvrier. Avec Harry Winston, Nick Hayek se dote, a minima, d'un outil à perturber la concurrence – ce qui n'a pas de prix ! – et d'un levier capable de faire bouger les lignes entre Bvlgari, Cartier, Tiffany & Co et les autres. Si tout se passe bien, Harry Winston a désormais les moyens de se repositionner dans le très haut de gamme et de financer son développement intercontinental : les capitaux du Swatch Group achèteront le temps qui manquait cruellement à Frédéric de Narp, ainsi que l'espace (les boutiques, les médias, les ateliers) qui lui faisait défaut sur la scène internationale...
 
 
 
◀▶ ET LES MONTRES ?
Un reformatage prévisible de l'offre horlogère
❏❏❏❏ Les inflexions de la stratégie horlogère d'Harry Winston seront un bon indicateur de la pression du Swatch Group sur la marque et sur ses équipes. On imagine le plaisir de Nick Hayek quand il verra le drapeau du Swatch Group flotter sur la plaine horlogère de Plan-les-Ouates, à un jet de pierres de Rolex, de Piaget, de Vacheron Constantin ou même de Patek Philippe. Pour le reste, ce rachat va durablement déstabiliser une marque qui commençait tout juste à retrouver son calme après de multiples cahots managériaux. On peut imaginer que les projets de développement d'un "mouvement manufacture" vont soudain paraître moins urgents à une maison adossée aux usines ETA et à leurs ateliers spécialisés. En revanche, l'accès libre à la boîte à outils du Swatch Group ouvre à Harry Winston d'innombrables facilités pour tous les composants, notamment d'habillage. L'emballement de la machine commerciale provoquée par l'intégration dans le Swatch Group – notamment en Chine – va obliger Harry Winston à produire beaucoup plus, sans perdre de temps en complications mécaniques inutiles. La question des Opus risque d'être débattue assez rapidement : il est douteux que l'aventure – qu'on devinait essoufflée à moyen terme, en dépit du succès de l'Opus 12 et de la volonté de Frédéric de Narp (ci-dessous) – continue très longtemps, même si cette collection "tirait" vers le haut l'image horlogère de la manufacture. Une page va sans doute se tourner. Un recentrage sur la haute joaillerie horlogère est plus que probable, avec des mouvements relativement basiques dans des montres aux sertissages (et aux prix) stratosphériques : la place d'Harry Winston dans la sacro-sainte pyramide des marques du Swatch Group est en haut, un peu à part du fait de la spécialisation horlogère, mais dans le voisinage de Breguet. Le plus amusant sera de voir, cette année, à Baselworld, Harry Winston offrir au Swatch Group un accès imprévu au nouveau Hall 1.1 et un nouveau stand, pas très loin de celui qu'avait un temps occupé Léon Hatot – ce qui n'est pas forcément bon signe ! Il sera tout aussi intéressant de connaître le point de vue du Swatch Group sur la participation de sa nouvelle marque genevoise au Grand Prix d'Horlogerie de Genève...
 
 
 
◀▶ COUP DE BLUFF
Les chevaliers du flou
❏❏❏❏ Il y a des nouvelles marques vraiment rigolotes dans leur art de se présenter. Parmi les nouvelles références de l'année, on voit apparaître sur le marché Chevachi, qui sera donc la référence #6/Génération 2013. C'est un admirable concentré de bluff marketing. La marque s'affirme fondée en 2008, mais on ne trouve pas trace de son activité avant le dernier trimestre 2012, sa page Facebook passant miraculeusement de 54 "amis" en décembre 2012 à 3 559 "amis" en janvier 2013 ! Par effet consonant, le nom même de Chevachi dérive, nous apprend la marque, du nom des chevaliers médiévaux : le nom complet est d'ailleurs Chevachi du Moyen-Age – marqueur historique dont on est supposé retrouver la trace esthétique dans les productions de la marque, longuement vantées sur la chaîne images YouTube de la maison. En fait d'esthétique médiévale et d'"esprit chevalier", les modèles se nomment Planet X, Nibiru ou Area 51, avec des bons vieux boîtiers-bracelets à mouvements japonais, unisexe pour limiter les coûts de production, autobaptisés "militaire" parce que c'est dans l'air du temps, mais garantis sans la moindre originalité dans le concept. Pour 200 à 300 dollars, on ne va quand même pas en demander plus...
 
 
 
  
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