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MARDI : Une série limitée à la tête du client (Art-DNA avec John Armleder)

La tête du client ? Celle qu'il voit (la sienne) quand il se penche sur le cadran et qu'il découvre son reflet dans ce crâne-miroir, placé au centre de la montre par un dynamiteur de l'art contemporain qui a trop d'esprit pour n'être pas philosophe...  ••• L'exploitation des "légendes" contemporaines est un miel marketing que beaucoup de marques viennent à présent butiner dans les plate-bandes de RJ-Romain Jerome, qui a joué dans ce domaine un rôle pionnier. On note de plus en …


La tête du client ? Celle qu'il voit (la sienne) quand il se penche sur le cadran et qu'il découvre son reflet dans ce crâne-miroir, placé au centre de la montre par un dynamiteur de l'art contemporain qui a trop d'esprit pour n'être pas philosophe...

 ••• L'exploitation des "légendes" contemporaines est un miel marketing que beaucoup de marques viennent à présent butiner dans les plate-bandes de RJ-Romain Jerome, qui a joué dans ce domaine un rôle pionnier. On note de plus en plus de montres qui incorporent des "fragments" – physiques ou symboliques – de mythes supposés mobilisateurs d'émotions. En quelques années, anticipant la déferlante des serial copiers, Manuel Emch a su passer des légendes "noires" (le Titanic) à des légendes plus amusantes, comme celles des jeux d'arcade (Pac-Man, Space Invaders), du cinéma (la DeLorean de Retour vers le futur) ou même de l'actualité (la montre du volcan islandais : une de ses meilleures ventes pour la rotation de la série limitée) : la notion de Legend-DNA conceptualise ce double rapport au mythe et aux éléments "génétiques" qui lui donnent vie. ••• RJ-Romain se lance à présent sur le créneau de la "génétique" artistique (Art-DNA) et s'offre, d'emblée, le meilleur : John Armleder, le plus "influenceur" des créateurs contemporains suisses. Pour ceux qui n'auraient pas suivi, deux conseils. 1) Pour les moins de 45 ans, Art = art contemporain, pas Rubens, ni Renoir, ni même Picasso... 2) Relire la notice "John M. Armleder" de Wikipedia pour comprendre l'importance d'un des artistes européens les plus affables de son époque [très vieille Europe, cet intellectuel de l'art porte encore des cravates, c'est dire s'il est décalé !] et un des plus remuants, dans la mesure où il n'est jamais content de ce qui existe – ce qu'il exprime avec une ironie distanciée – et tout juste satisfait de ce qu'il fait exister et qu'il s'empresse aussitôt de remettre en cause, formellement et matériellement, dans un désordre créatif qui n'est qu'apparent. John Armleder est, en dépit de son nom, très genevois : sa famille était propriétaire de l'hôtel Richemond, palace où il a passé son enfance, sur les toits pour regarder Genève [magnifique point de vue sur la rade et la vieille ville] autant que dans les caves où il invitait tous les soixante-huitards de la ville pour refaire le monde en musique et en fumant Dieu sait quoi. La suite "présidentielle" du Richemond, au septième étage, porte d'ailleurs le nom de "Suite Armleder". Pétillant d'esprit et pétri de culture, féru de "performances" multi-supports et touche-à-tout de génie, John Armleder a eu l'insigne politesse de ne jamais s'enfermer dans un système, mais de les dynamiter les uns après les autres : s'il adore les citations graphiques, il ne les inflige pas à ses publics alors qu'il aurait pu nous tanner pendant au moins deux générations avec ses points colorés, ses rayures géométriques ou même ses crânes iconiques... ••• Ce n'est vraiment lui qui a choisi ces crânes, dont on fait parfois des miroirs genevois, mais dont il se garde bien de théoriser la dimension philosophique dans la tradition des Memento Mori chère à quelques collectionneurs. "À chacun d'y projeter ce qu'il ressent", nous prévient-il, sans surconnotation gothique [on va laisser ça aux rockers de la scène musicales] et sans trop de dérives fantasmatiques. Et à chacun de se regarder dans le miroir [poli, du mot "polissage", mais peut-être aussi du mot "politesse" : allez savoir, avec ces artistes !] de ce crâne en acier poli et d'en tirer les conclusions formelles qui s'imposent. En plus, il ne s'agit pas là d'un crâne de la tradition occidentale, mais d'une tête plutôt inspirée des cultures précolombiennes d'Amérique centrale – comme les têtes de cristal qui ont traversé les siècles jusqu'au musée des Arts premiers du quai Branly (Paris : ci-dessous). Est-ce un hasard si la première pièce de la collection Art-DNA (10 pièces uniques) reprend les lignes d'un des plus fameux objets de ce musée des Arts premiers ?

••• Donc, un crâne [sans tempête dessous] qui n'en est pas un, mais qui est posé en surélévation sur le cadran, lui-même miroité : comme l'envers de ce crâne est coloré, la couleur se réflète sur le cadran pour le cerner d'un trait chromatique ultra-discret, qui vient animer la "sculpture" du cadran. John Armleder ne tenait pas spécialement à ces crânes, mais comment résister à l'équilibre graphique d'une figure de style dont le nez [l'absence de nez !] constitue le logement idéal de l'axes des aiguilles ? Comment résister au sourire que cette bouche en forme de grille impose au cadran ? Comment résister à l'effet quasiment 3D  de ce plateau dont la couleur n'existe que par réfraction de la lumière ambiante ? Pas philosophe, sans doute, mais en tout cas excellent commentateur, notre artiste : "Toutes ces montres qui donnent l'impression de se ressembler vont bien avec la mort qui, dans le fond, est la même pour tout le monde, mais dont la réalisation est à chaque fois différente"...

••• John Armleder est un de ces créateurs pour lesquels rien n'est jamais acquis : il n'aime rien tant que "remettre en question". Manuel Emch remet en jeu son propre concept de "légendes" en l'ouvrant à l'art contemporain, mais dans le respect des canons de l'horlogerie – avec un soupçon d'hommage à la tradition des Memento Mori. On en déduira qu'ils avaient tous les deux d'autant plus de choses à se dire que Manuel Emch est collectionneur d'art contemporain et que John Armleder est forcément – comme tout bon Genevois – tombé tout petit dans le chaudron magique de l'horlogerie, et le bon puisque sa première montre d'enfant était, pour sa "communion solennelle" (rite tribal de l'ethnie catholique), une Tudor. ••• Oeuvre d'art, cette montre ? Aux amateurs de le dire, mais c'est même mieux qu'un "multiple", puisque chacune des montres de cette série, signée par le créateur, est une pièce unique 1/1 (toute avec une couleur différente), en 46 mm de diamètre : pour une nouvelle génération de collectionneurs, c'est donc une sorte de "performance" horlogère, dotée d'une matérialité rassurante et tout-à-fait dans l'esprit des travaux de l'artiste, qui a toujours changé les termes de la relation que nous entretenons – qu'on soit créateur ou amateur – avec l'oeuvre d'art. Au coeur de l'art, les cris de la vie. Au coeur de la vie, les terreurs de la mort. Dialectique féconde, surtout si on la complique d'une troisième dimension : celle du temps...

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