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MARIGNAN, 1515 : Les leçons à tirer de la mémorable raclée des Suisses, il y a cinq siècles, à Marignan...

C'était la « bataille des géants », il y a exactement cinq siècles (13-14 septembre 1515). Les Suisses avaient gagné toutes les batailles. Ils ont perdu à Marignan leur réputation d'invincibilité et leur liberté de manoeuvre. N'y aurait-il pas des analogies entre cette bataille et la situation actuelle de l'horlogerie suisse ?  ▶▶▶ HISTOIRE & MYTHOLOGIES« Maudit traîtres suisses, retournez manger du fromage


C'était la « bataille des géants », il y a exactement cinq siècles (13-14 septembre 1515). Les Suisses avaient gagné toutes les batailles. Ils ont perdu à Marignan leur réputation d'invincibilité et leur liberté de manoeuvre. N'y aurait-il pas des analogies entre cette bataille et la situation actuelle de l'horlogerie suisse ?

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▶ HISTOIRE & MYTHOLOGIES
« Maudit traîtres suisses,
retournez manger du fromage
dans vos montagnes »...
 
◉◉ TROP FIER D'AVOIR TRIOMPHÉ DES « INVINCIBLES » PIQUIERS SUISSES, le roi François-Ier a fait frapper une médaille où il posait en Primus Domitor Helvetiorium (« le premier vainqueur des Suisses »). C'est dire à la fois la réputation militaire de ces Suisses et la gloire qu'on pouvait tirer de les avoir vaincus. Sur le papier, le roi de France n'avait pas beaucoup de chances : ses prédécesseurs s'étaient plusieurs fois cassé les dents sur les carrés suisses, en Italie et ailleurs, de même que d'autres souverains européens. Les armées royales françaises – notamment un contingent de 8 000 Gascons et de 23 000 lansquenets allemands n'en menaient pas large face à la meilleure infanterie du monde. Les 22 000 Confédérés seront pourtant battus et massacrés : plus de 14 000 resteront dans la plaine maraîchère de Marignan, les autres fuyant sous les quolibets du chevalier Bayard : « Maudits traîtres suisses, retournez manger du fromage dans vos montagnes » !
 
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◉◉ QU'EST-CE QUI A DÉRÉGLÉ UNE MACHINE MILITAIRE que chacun s'accordait à considérer comme imbattable. Formés en carrés, les « meilleurs soldats du monde » – ils avaient fini par le croire tellement on leur répétait – étaient cependant politiquement divisés : certains cantons avaient fait défection. Tactiquement, ils s'accrochaient au mythe de leurs carrés invincibles, car hérissés de piques qui les mettaient à l'abri des charges de cavalerie et forts de leurs féroces hallebardiers qui déboulaient du coeur des carrés pour semer la mort chez l'ennemi. Sauf que, à Marignan, François-Ier, qui dispose de 40 000 hommes [en d'autres temps, que d'autres gros bataillons avaient plié devant la furia suisse !], a également pu faire passer 60 canons en Italie : cette artillerie – relativement nouvelle et désormais décisive sur le champ de bataille – va dégrader les carrés suisses jusqu'à les décimer et les contraindre à se regrouper, dans une masse encore plus vulnérable aux tirs tendus. Les « nouvelles technologies » (la poudre, les arquebuses des lansquenets allemands) ont eu raison de ceux qui se flattaient d'être les héritiers des fameux hoplites grecs (ceux des phalanges macédoniennes). Les piques, qui avaient vaincu les charges de cavalerie médiévale, sont dépassées sur les champs de bataille européens. La grandeur militaire suisse est balayée : les Confédérés passent au service de leur ennemi, le roi de France : eux qui étaient les aristocrates militaires du continent s'en tiendront désormais à une neutralité européenne qui a perduré jusqu'au XXIe siècle...
 
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◉◉ DEPUIS 1515, MARIGNAN EST UN MYTHE, tant en France – où la moindre victoire devient un jalon fondateur du récit national – qu'en Suisse, qui trouve dans cette bataille les arguments de sa géopolitique diplomatico-financière. La propagande royale a enjolivé au-delà du réalisme les faits et gestes de François-Ier à Marignan, mais les historiens contemporains en viennent même à mettre en doute l'épisode de Bayard sacrant le roi comme chevalier sur le terrain. La République ne reviendra pas sur les légendes de Marignan et l'école publique fera de cette date facile à mémoriser un « élément de langage » indispensable à la cohésion nationaliste de l'opinion publique. Les Suisses tarderont à exploiter cette cuisante défaite, mais elle constituera un des temps forts du réarmement moral de la Confédération, dès le XIXe siècle...
 
◉◉ ON PEUT TIRER QUELQUES LEÇONS HORLOGÈRES DE CE DÉSASTRE cinq fois séculaire. L'histoire parait souvent bégayer. Reprenons quelques analogies : deux siècles et demi avant Marignan, alors que les chevaliers lourdement protégés dominent le champ de bataille, les piquiers suisses vont conquérir leur invincibilité européen en formant des carrés de lances dont les quatre à cinq mètres de long sont infranchissables par les charges de cavalerie. L'infanterie confédérée devient la reine des batailles. Quel sentiment de supériorité pour ces fils des cantons suisses, auréolés de prestige depuis qu'ils ont vaincu toutes les grandes puissances du continent qui ont osé les défier. C'est ce sentiment d'être au-dessus de la mêlée qui les a empêché de voir que les héroïques carrés de piquiers – une idée tactique reprise de l'Antiquité – allait céder la place sous les tirs croisés de l'artillerie et des arquebuses qui les décimaient. Les décennies d'après Marignan allaient être celles des glorieuses bandes de lansquenets germaniques. Cinq siècles plus tard, l'horlogerie suisse reste imbue de sa supériorité technique (elle aussi héritée du passé), tout comme elle s'avère insensible à l'idée d'être rattrapée par les nouvelles technologies et imperméable à la montée des périls concurrents. Apple ou Samsung seraient-ils les lansquenets d'aujourd'hui, les industriels de l'horlogerie chinoise constituant la poudre des nouvelles couleuvrines ?
 
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◉◉ UN ENTRAÎNEMENT INTENSIF AVAIT DONNÉ AUX PIQUIERS SUISSES une maîtrise absolue du maniement de leurs piques. Arme de pauvre [la Suisse étant restée hors de la culture féodale, aucune chevalerie n'en a émergé : les guerriers étaient donc des fantassins aux armes rustiques], la pique est tout sauf facile à gérer sur un champ de bataille, surtout en carrés serrés de centaines de piquiers aux larges épaules. Le savoir-faire militaire était imparable et il répondait parfaitement à la demande du marché [la volonté de puissance des princes européens]. Sauf que cette offre de courage « les yeux dans les yeux » s'est trouvée brutalement démodée par un changement de paradigme : la force physique, la discipline et le courage n'étaient plus les valeurs individuelles recherchées, ni les plus utiles face aux arquebuses et aux canons qui abolissaient la distance entre les combattants. La guerre est devenue brutalement plus technique, moins « belle » [si tant est que...], moins héroïque : les piquiers suisses de Marignan ne pouvaient rien contre les canons de François-Ier, qui les fauchaient à l'abri de terrassements inexpugnables. Ils ne pouvaient rien, en dépit de leur vaillance, contre les hallebardes et les épées à deux mains des Gascons et des lansquenets qui les chargeaient, avec leurs hauts tambours, quand l'artillerie avait ouvert des brèches dans le mur d'acier de leurs piques. Face aux montres connectées et aux mutations comportementales du marché, l'horlogerie contemporaine n'est-elle pas, à cinq siècles de distance, dans la position menacée des Confédérés de Marignan ? Ces piquiers étaient ce qu'on faisait de mieux, de plus discipliné et de plus fiable en leur temps : quelques artilleurs noircis de poudre les ont disloqués à distance...
 
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◉◉ 1515-2015 : QUE DE LEÇONS ON PEUT APPRENDRE DE L'HISTOIRE ! Une fois les Suisses vaincus, les carrés de piquiers n'ont pas été rayés de la carte. Ce concept de « hérisson », plus de deux fois millénaire, s'est retrouvé par la suite dans les redoutables carrés de l'infanterie espagnole, maîtresse des champs de bataille du XVIIe siècle, puis dans les régiments prussiens de Frédéric II, dans les bataillons suédois et dans les carrés de la Grande Armée impériale [en intégrant les armes à feu dans le premier cas, les baïonnettes remplaçant les lances dans les suivants], puis dans les tactiques d'infanterie du XXe siècle (la « boule de feu »). Les bonnes idées mutent sans disparaître : ainsi, les objets du temps perdurent tout en changeant de forme, de même que les objets de poignet. L'horlogerie suisse ne disparaîtra pas, elle se transformera en intégrant les nouvelles mutations et en intégrant les nouvelles demandes des nouvelles générations – voire en se mettant à l'écart de l'histoire comme les Confédérés depuis François-Ier jusqu'à nos jours...
 
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