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GPHG 2019 #06 (accès libre)
Monsignore Cologni ne veut pas laver le GPHG de son « péché originel »

Le torchon brûle entre la Fondation de la haute horlogerie et le Grand Prix d’Horlogerie de Genève. Avec des coups de griffe enrobés d’une onction diplomatique de de haute culture vaticane, « Monsignore » Cologni règle ses comptes avec une institution concurrente dont il a pourtant été le « deus ex machina ». Une intervention passionnante à décoder…


Forcément, quand un « monsignore » de la stature de Franco Cologni prend la parole [rappelons qu’il est toujours le patron de référence de la Fondation de la haute horlogerie, créée par lui en 2005], c’est pour distribuer soit des indulgences plénières, soit des excommunications majeures. Ceci courtoisement, fermement, mais toujours avec une onction diplomatique telle qu’on sait la pratiquer en chaire, dans les chapelles de l’institution vaticane ! Le titre de l’article qu’il vient de publier dans le FHH Journal donne d’emblée le ton : « Le péché originel des “oscars” de l’horlogerie ». Si on commence par parler de « péché », ce n’est pas bon signe, l’allusion aux « oscars » entre guillemets sonnant un peu comme une référence à Satan, ses pompes et ses œuvres ! Surtout quand on sait que, canoniquement, le « péché originel » est irrémissible. « Oscars » entre guillemets dont on nous explique, quelques mots plus tard, que cette appellation est peut-être « usurpée », mais peut-être pas tout-à-fait, puisque qu’il n’y a qu’une ville de Genève sur cette planète qui soit à la fois « berceau et capitale de la belle horlogerie » – Franco Cologni a dû consulter le Guide du routard de la montre. On sent la même ironie chattemite dans la mise entre guillemets de ce « gala » qui suit la remise des prix. Le Raminagrobis de La Fontaine (Le chat, la belette et le petit lapin) avait la même nonchalance pateline avant de croquer les deux compères…

Le reste de ce bref sermon (4 200 signes, quatre minutes de lecture) est de la même farine – ejusdem farinae comme on dit dans les bistrots autour de la place Saint-Pierre. À propos de ces « oscars » et de ce « gala », on décèle la raillerie persifleuse dans ce qu’il « nous appartient de saluer » en parlant de ces « magnifiques efforts palpables depuis que le GPHG est organisé sous l’égide d’une fondation ». Une pointe de jalousie entre « fondateurs » ou un règlement de comptes obscurs entre, d'une part, la nouvelle direction du GPHG (Raymond Loretan, peut-être coupable de n’être pas du sérail horloger) et, d'autre part, la direction d’une FHH-SIHH dont on sait qu’elle ne sera sans doute plus vraiment « de la haute horlogerie » dans les années, sinon les mois à venir ? Les voies du seigneur Cologni sont impénétrables, mais l’acier de la dague est déjà pointé sur le coeur…

La posture morale est théologiquement bien pensée : une absolution avant le coup de grâce ! Certes, nous jure M. Cologni, le GPHG « a gagné en crédibilité ce qu’il a perdu en copinage : il était temps, car les stigmates étaient profonds ». Ceci après avoir rappelé « la genèse de ce Grand Prix, parti d’une intention fort louable au demeurant, mais bel et bien entaché à ses débuts des relents d’un clientélisme peu compatible avec toute démarche sélective impartiale ». On sent dans ces lignes le grand rhétoricien latin et le grand stratège de la prétérition qu’est Franco Cologni, qui parvient à exprimer par paralipse ce qu’il serait inconvenant de mentionner – mais ce qui est dit reste dit. Tout le monde sait que le GPHG est… mal né et que cette bâtardise lui colle à la peau comme une tunique de Nessus, mais personne ne veut l’avouer – sauf peut-être Business Montres, qui a trop bien connu le fondateur du Grand Prix, notre cher et regretté Gabriel Tortella, et vu trop de combinazioni pour être dupe de l’attribution de certains prix. Combinazioni auxquelles notre tout aussi cher Franco Cologni n’était pas forcément étranger...

On passe ensuite au coup de poignard final, puisqu’il s’agit de ne pas verser dans la « fausse béatitude » – encore une proxémie religieuse qui nous rappelle qu’il s’agit là d’un sermon de Monsignore Cologni, cardinalissime octogénaire qui n’a rien perdu de ses talents de bretteur. Premier coup de pointe de la dague, pile sur le défaut de la cote de maille adverse : « Que dire du prix moyen des montres primées en 2018, qui atteignait la “modique” somme de CHF 260'000 [au passage, merci à… Business Montres pour cette précision nécessaire]. Est-on véritablement représentatif de l’horlogerie suisse avec ces garde-temps réservés à une élite ? » Ensuite, on enfonce la lame, lentement – on n’est pas de brutes : « Toute personne un tant soit peu familière avec les prix horlogers aura remarqué l’absence de certains grands noms du secteur. (…) Le Grand Prix n’inclut pas les marques qui n’ont aucune reconnaissance pour ces distinctions. En parlant de stigmates… C’est probablement là qu’il faut voir le péché originel du GPHG. Trop de Maisons restent en marge ». L’ultime coup de grâce tient de l’apothéose – autrefois n’appelait-on pas ce genre de dague exterminatrice une miséricorde ? Après avoir rappelé les « appels pressants de la profession pour présenter un front uni lors de ces joutes fraternelles », il est temps pour Franco Cologni de placer une imparable botte secrète : l’invocation magique et rituelle au génie de l’Antiquité. « Les Grecs anciens, dans leur sagesse, savaient instaurer des trêves dans leurs querelles intestines pour permettre aux athlètes des cités de se confronter lors des Jeux olympiques. Rien de tel dans le landerneau horloger. Si bien que, pour la Fondation de la Haute Horlogerie dont j’occupe la présidence du Conseil culturel, si Ève a croqué le fruit interdit, nous autres Adam n’avons toujours pas faim ! » Comprenne qui pourra cette « faim » qui sonne la fin du sermon…

En clair, c’est très nettement une fin de non-recevoir opposée par la FHH au GPHG, qui avait récemment refusé d’intégrer dans sa cérémonie des « Oscars » les deux « grands prix » sporadiquement décernés par la FHH. C’est d’autant plus savoureux que ces deux prix, « Hommage à la passion » et « Hommage au talent », sont également, à l’origine, des créations de ce même Gabriel Tortella dont on reniflait avec horreur mais non sans raison les sulfureux « relents de clientélisme ». Ce sermon solde aussi quelques querelles de personnes et de préséance entre la direction du SIHH (bras armé de la FHH) et le GPHG. En filigrane, une forme de divorce moral entre la cité de Genève, qui fait ce qu'elle peut pour son GPHG [mais elle peut peu] et la FHH-SIHH, qui rêvait d'une grande Geneva Watch Week, mais ce rêve s'est fracassé sur le conservatisme obtus des autorités genevoises, un peu refroidies par l'allant du SIHH pour coiffer l'ensemble des activités horlogères dans la ville et le canton. On pourrait deviner dans les échos de ce sermon l’amorce d’un renversement des alliances entre grandes puissances genevoises, si ce n’est un changement de stratégie du groupe Richemont vis-à-vis du GPHG : Son Éminence Franco Cologni n’a pas l’habitude de parler pour ne rien dire. Ah, comme on aimerait assister au prochain dîner entre Monsignore Cologni et Raymond Loretan, le président du GPHG : sûr qu’ils auront des tas de choses à se dire…

GPHG 2019

Nos précédentes séquences sur le Grand Prix d’Horlogerie de Genève.

        ❑ GPHG 2019 #04   : Il manque un prix au GPHG 2019 : celui de la marque qui n’a aucune chance d’en gagner un ! (Business Montres du 2 juillet)

        ❑ GPHG 2019 #04   : Allez, MM les horlogers, encore un effort pour mériter une récompense ! (Business Montres du 26 juin)

        ❑ GPHG 2019 #03   : De toute façon, quoi qu’on en pense, il faut sauver le soldat GPHG ! (Business Montres du 11 juin)

        ❑ GPHG 2019 #02   : Un décodage sans faux-semblant de tout ce qui va changer pour le prochain GPHG (seconde partie : le nouveau règlement intérieur et les nouveaux prix) – Business Montres du 2 mai)

        ❑ GPHG 2019 #01   : Un décodage sans faux-semblant de tout ce qui va changer pour le prochain GPHG (première partie : le nouveau jury – Business Montres du 1er mai)

        ❑ GPHG 2018 #30   : Les dix changements radicaux qui peuvent éviter au GPHG 2019 un naufrage annoncé (seconde partie : Business Montres du 20 novembre)

        ❑ GPHG 2018 #29   : Les dix changements radicaux qui peuvent éviter au GPHG 2019 un naufrage annoncé (première partie : Business Montres du 19 novembre)


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