GPHG 2025 #28 (accès libre)
Bien mieux qu’une présélection : une pré-répartition des trophées au sein d'un cartel de marques déjà multi-récompensées !
2025 était l’année idéale pour l’ouverture du Grand prix d’horlogerie de Genève (GPHG) : près de 200 marques en compétition et plus de 300 montres inscrites. Une jolie promesse d’air frais ! On a au contraire refermé toutes les issues, en concentrant la présélection sur une grosse douzaine de marques qui cumulent déjà, toutes ensemble, une centaine de prix au GPHG. En ajoutant le ridicule au déshonneur, on a repris les mêmes et on va recommencer…

En laissant s’inscrire une bonne centaine de marques exotiques dont les montres n’avaient pas grand-chose à faire dans un concours dont elles dénaturaient l’esprit [elles ont simplement profité d’un règlement intérieur obsolète, absurde et abscons], la direction du Grand prix d’horlogerie de Genève (GPHG) a pris le risque majeur de dévaluer ce qui était un rendez-vous stratégique majeur de l’industrie des montres.
• Déconsidération par le haut, en noyant les rares marques survivantes du Top 20 (celles qui restaient soucieuses de soutenir le GPHG) dans un tsunami de petits acteurs opportunistes en quête d’un label d’honorabilité : on a pris le risque de faire du GPHG une séquence de patronage où se distribuent des médailles en chocolat. C’est indigne de la part de la ville de Genève, qui comptait le GPHG parmi les fleurons de sa couronne horlogère. C’est déshonorant pour les naufrageurs de ce qui était un des temps forts de la rentrée horlogère et un outil promotionnel de l’horlogerie suisse…
• Dévalorisation par le bas, en submergeant les montres des jeunes marques et des créateurs indépendants sous des dizaines de propositions exotiques parasitaires, seulement intéressées par l’association avec une référence suisse considérée comme un cheval de Troie dans une logique de « stratégie du coucou » déjà repérée par Business Montres (Baromontres du 31 août).
Face à ce débordement d’inscriptions de marques marginales, la bureaucratie du GPHG n’a rien compris. Elle a pris cette augmentation de moitié des montres et des marques inscrites pour la récompense de ses propres efforts promotionnels : c’était un bonus budgétaire appréciable pour améliorer son propre confort de vie. Erreur d’appréciation majeure, mais compréhensible pour une direction qui ne connaît pas grand-chose à l’industrie des montres et encore moins à l’écosystème des marques horlogères. Dès lors, la direction du GPHG avait le choix…
• Tout accepter en transformant le GPHG en Grand prix des petites marques, ce qui ne serait pas, après tout, un positionnement absurde : comme il y a mille fois plus de « petites » marques que de « grandes » marques, disons que la demande solvable est du côté des gros bataillons de marques mineures, sachant que les « grandes » marques – derrière lesquelles le GPHG ne cesse en vain de courir – n’ont plus du tout envie de se frotter aux obscurs et aux sans grades [cette année, une seule marque du Top 10 Morgan Stanley/Luxe Consult et tout juste cinq du même Top 20 avaient daigné s’inscrire].
• Tout changer pour que rien ne change, en contrariant la « stratégie du coucou » par une révision déchirante du règlement intérieur et une redéfinition offensive des objectifs du GPHG pour la « plus grande gloire de l’horlogerie suisse ». Certes, c’était peut-être demander beaucoup à une bureaucratie plus préoccupée par son propre agenda personnel que par l’intérêt majeur des marques de montres, mais on a préféré accepter toutes les inscriptions, en dépit du bon sens, parce qu’elles généraient brutalement plus de 240 000 francs suisses d’inscriptions, auxquels s’ajouteraient 630 000 francs suisses de « participation forfaitaire » pour les marques présélectionnées, les revenus du dîner (à peu près 240 000 francs) et la participation des « sponsors » – soit un total qui avoisinera le million et demi de francs suisses en 2025. Autant de beurre dans les épinards apaise bien des scrupules de conscience…
En regardant les inscriptions et en considérant les inclinations spontanées des académiciens chargés d’éliminer deux montres inscrites sur trois en vue de la présélection pour la finale, deux scénarios étaient possibles : une option radicale, avec une atomisation des votes et une dispersion sur cent ou cent vingt marques, ou une option conservatrice, avec une concentration des votes sur quelques dizaines de marques connues, reconnues et trop connues. La présélection qui vient d’être présentée confirme au-delà du raisonnable l’hypothèse régressive : par rapport à la largeur du spectre des inscriptions, nous aurons en 2025 la plus magnifique démonstration du plus exclusif et du plus farouche entre-soi genevois du premier quart de siècle de ce GPHG ! Après le déshonneur, le ridicule…
• C’est la victoire ahurissante des multi-primés : six présélections pour Audemars Piguet (qui cumule déjà 16 prix au GPHG). Six présélections pour Chopard, maison qui a déjà été récompensée dix fois. Six présélections pour Louis Vuitton, maison déjà titulaire de deux prix depuis sa relance horlogère en 2020. Cinq présélections pour Piaget, qui détient déjà par ailleurs 15 prix. Quatre présélections pour Parmigiani (pour quatre prix précédents). Trois présélections pour Bvlgari (10 prix antérieurs), trois pour Voutilainen (11 prix précédents), deux pour Van Cleef & Arpels (15 prix depuis 2001), deux pour Hermès (6 prix depuis quinze ans)…
• Globalement, les marques ayant déjà reçu plus de trois prix au GPHG raflent les deux-tiers (près de 65 %) des présélections ! Si ce n’est pas de l’entre-soi, qu’est-ce donc ?
• Le groupe LVMH, qui avait inscrit une trentaine de montres, en voit la moitié retenues pour la finale (présélection), mais c’est une sacrée déculottée pour ses manufactures de montres, avec l’élimination de Hublot (trois montres inscrites) et TAG Heuer (quatre montres inscrites), le repêchage in extremis de Zenith (sans la moindre chance de l’emporter en « Homme ») et la consécration des marques « non horlogères » du groupe (Bvlgari, Louis Vuitton, Tiffany & Co, Dior, L’Épée 1839, avec les cas marginaux de Gérald Genta ou Daniel Roth). Ce qui est pour le moins paradoxal dans le cadre d’un… Grand prix d’horlogerie !
• Du côté des autres groupes, ce sera un peu la soupe à la grimace. Il est douteux que Breguet puisse sauver l’honneur du Swatch Group en « Iconique », mais Piaget ou Van Cleef & Arpels peuvent sauver celui du groupe Richemont dans d’autres catégories. Il reste au groupe Franck Muller une infime petite chance en « Complication pour femme » (trois montres étaient inscrites) et quasiment aucun espoir pour le groupe Seiko, le groupe Rolex (Tudor) se trouvant éliminé des présélections pour la première fois depuis une décennie [il est vrai que Tudor a déjà engrangé neuf prix !]…
• Il reste donc quelques places libres pour les « grands » et les « petits » indépendants encore en course pour la finale, mais on note (en la déplorant) l’élimination précoce de maisons influentes et d’outsiders intéressants comme ArtyA, Gérald Charles, Maurice Lacroix, Oris, Massena Lab, Perrelet (qui avait inscrit cinq marques), Bremont, Furlan Marri, Bianchet, Norquain, Guebly, Venezianico ou Eberhard & Co. Les Indiens de Titan devront remballer (provisoirement ?) leurs ambitions ! Le débriefing de l’opération GPHG 2025 s’annonce tragique et cuisant pour quelques managers qui n'avaient rien compris au film [ils feraient mieux de lire plus attentivement Business Montres, le média horloger qui assure chaque année la couverture critique la plus complète du GPHG et le seul à avoir présenté et individuellement évalué chacune des montres inscrites – soit 302 notices]…
• Certains s’en tirent honorablement : deux inscriptions, deux présélections pour Ming. Parmigiani : quatre inscriptions pour quatre présélections. Hermès (deux montres inscrites, deux présélectionnées). Armin Strom (une inscription, une présélection), Trilobe (une inscription pour une présélection) ou Czapek (une présélection pour une inscription).
• D’autres s’en tirent tant bien que mal : Andersen Genève (deux présélections pour trois inscriptions), Gucci (quatre inscriptions, une seule sélection), H. Moser & Cie (trois montres inscrites, deux sélectionnées), Louis Moinet (une présélection pour deux montres inscrites), Arnold & Son (trois monstres inscrites pour une seule présélection), Laurent Ferrier (deux présélections pour trois inscriptions), Bovet (une présélection, deux inscriptions), Ressence (une présélection pour deux montres inscrites), Dennison (trois inscriptions, une présélection), etc.
• C’était tangent pour Jacob & Co, avec une seule sélection pour cinq sélections, ce qui confirme la malchance chronique de cette marque au GPHG, dont les jurés et les académiciens semblent allergiques aux vertus horlogères de la marque…
• Notons la performance d’un nouveau venu [enfin, pas tout-à-fait !] : Urban Jürgensen, qui avait inscrit trois montres et qui en présélectionne trois. Magie des relations publiques euro-américaines et confiance dans la notoriété d'un Kari Voutilainen, lauréat multi-récidiviste du GPHG…
• Et les petites marques pas très ou pas du tout connues ? Elles n’ont plus que leurs yeux pour pleurer leurs illusions perdues : une ou deux poignées sont encore en lice pour la finale [pas de vraies inconnues parmi elles, et relativement peu de chinoiseries], mais elles n’ont qu’une chance et demie sur cent de décrocher un prix. 2025 aurait pu être, pour ces jeunes pousses, l’année de leur triomphe, ce ne sera que l’année de leur grand cocufiage ! Si elles tirent les leçons de cette fessée où elles ont été piégées, elles ne reviendront peut-être pas l'année prochaine, pour donner la préférence à tous les clones du GPHG qui éclosent localement sur tous les continents [c'est un puissant outil de délégitimation. du GPHG suisse]...
Au final, quelle déception ! D’année en année, les académiciens sont de plus en plus nombreux et de plus en plus connaisseurs, les jurés s’améliorant eux aussi au fil des saisons, mais les présélections sont toujours plus désastreuses et le palmarès final toujours plus aberrant, avec des prix moyens totalement déconnectés des réalités du marché. Ce qui entraîne, inévitablement, le retrait d’un peu plus de grandes marques : cette année, Breitling, IWC ou Ulysse Nardin manquaient à l’appel – qui, chez les grands perdants de l’année, se débinera en 2026 ? D’où notre interrogation dans les précédentes séances consacrées à ce GPHG 2025 : sera-t-il le chant du cygne d’une institution qui frôle cette année la correctionnelle ? On vous laisse réfléchir là-dessus…
▶▶▶ À SUIVRE
Faute de connaître la composition du jury physique qui décidera, en finale, conjointement au vote des académiciens, des vingt finalistes de cette édition 2025 du GPHG, il est absurde de tenter d'évaluer les chances des 90 pièces horlogères en compétition, même si certains choix sont écrits d'avance – et pas toujours pour la plus grande gloire du GPHG. Nous reviendrons sur les pronostics les plus réalistes dès que le nom des jurés sera publié...
COORDINATION ÉDITORIALE : JACQUES PONS