REMUE-MÉNINGES (accès libre)
Six capsules d’agitation synaptique pour bien méditer sur cet exceptionnel printemps 2020
C’est notre… « Game of neurones » du confinement ! Puisque « l’avenir est un lieu commode pour y mettre des songes » (Anatole France), « Business Montres » a sélectionné pour vous six réflexions alternatives de plus ou moins forte intensité pour bien vivre le confinement : il s’agit de nourrir nos méditations et de favoriser l’activation de nos synapses, le temps d’une diète neuronique. Bonne lecture et, surtout, bonne digestion de toutes ces analyses : cette semaine, on va vous parler du combat de Spartacus contre Matamore, du « crépuscule de l’universel », de la « connerie », de ce qu’est une crise (à la lumière de la médiologie et à la lumière d’Edgar Morin) et de notre nouvelle notion du temps. Mais, comme toutes les semaines, on vous laisse réfléchir là-dessus !
CRISE ?
❑❑❑❑ « Au fait, qu’est-ce qu’une crise ? » (François-Bernard Huygue) : le meilleur « médiologue » français s’interroge sur la portée de cette « crise » dont tout le monde parle. « De la pandémie, tout le monde s’accorde à dire qu’elle annonce ou révèle des crises : économique, sociale, politique, géopolitique, écologique et idéologique. Et chacun de penser l’après-crise, le jour d’après. Qui pour prédire l’apocalypse. Qui pour claironner la fin du capitalisme néolibéral. Qui pour se féliciter de voir balayer les fumées mondialistes et progressistes. Qui pour prôner plus de gouvernance, de numérique et de solidarité globale. Tout est en crise, à commencer par la notion même. Ce n’est pas neuf : « Le mot "crise" hante notre quotidien. Ce mot bat tous les records depuis la fin des années 1970. Son succès, la généralisation de son usage à tous les domaines, est sans doute l'un des grands événements de ces dernières années. En tout cas, un événement qui n'a rien d'innocent. C'est le signe en traduction simultanée d'une prise de conscience extraordinaire. » écrivait Serge July en février 1984 dans un supplément de Libération. Dans une émission intitulés Vive la crise, Yves Montand, inspiré par quelques gourous, plaidait pour une révolution culturelle, par l’entreprise et l’initiative individuelle, pour sortir de la crise par le haut. (…) Tout aléa, tout danger ou tout désordre ne suffit pas à constituer une crise ; elle ne commence que quand l’ensemble est affecté ou se sent remis en cause par un basculement des règles. De même, si beaucoup de crises résultent d’un risque qui survient (risque = une probabilité + un dommage), le risque est une notion extérieure, objective, tandis que la crise est forcément subjective, comme ressentie par un être ou un ensemble intelligent. La crise se reconnaît donc d’abord à ce qu’elle change notre façon d’éprouver la crise. Et il n’y a pas de crise que l’on ne puisse aggraver par une bonne dose d’impréparation, de déni (au début), de désorganisation et de communication cafouilleuse ». On vous laisse réfléchir là-dessus…
CRISE ?
❑❑❑❑ « Qu’est-ce qu’une crise ? » (Ousama Bouiss, The Conversation) : « N’employez pas de mots que vous n’employez pas à penser », nous conseillait Paul Valéry. À ne pas penser les mots que nous employons, nous finissons par tomber dans de nombreux pièges qui finissent par obscurcir notre vision, nous empêchent de comprendre et, parfois, nous asservissent. « Qu’est-ce qu’une “société” capable d’avoir des crises ? À cette question, Edgar Morin répond que la société est un système complexe qui se régule par lui-même tout en étant régulé par son environnement. Tout d’abord, la société est un système complexe, c’est-à-dire que son organisation émerge des relations complexes entre ses constituants (les individus, les groupes sociaux ou encore les classes sociales). Aussi, ce système parvient à maintenir son équilibre par l’autorégulation qui repose sur un jeu de boucles de rétroaction (ou feedbacks). On distingue deux types de boucles de rétroaction : positives lorsqu’elles remettent en cause la stabilité du système et crée du désordre ; négatives lorsqu’elles renforcent la stabilité du système et l’ordre. Par un jeu de régulation entre ces boucles de rétroaction positives et négatives, on parvient à maintenir un certain équilibre (qu’on appelle homéostasie). Les boucles négatives venant « contrecarrer » et refouler les effets potentiellement déstabilisants des boucles positives. Enfin, pour survivre dans son milieu dont les évolutions sont incertaines et aléatoires, le système doit sans cesse se réorganiser et se régénérer. Selon la célèbre formule morinienne : “Tout ce qui ne se régénère pas, dégénère”. Et pour opérer une telle régénérescence, pour se réorganiser, le système puisera dans les forces antagonistes ! Et c’est là un point essentiel : c’est en puisant dans les forces antagonistes qu’un système se régénère et assure sa survie. (…) La crise est un risque et une chance : “Ici s’éclaire le double visage de la crise : risque et chance, risque de régression, chance de progression”. Toutefois, cela éclaire aussi un point : en temps de crise, on n’attend pas le changement mais on saisit l’opportunité des nouvelles conditions de l’action pour le créer ». On vous laisse réfléchir là-dessus…
CONFINEMENT ?
❑❑❑❑ « La perte du mouvement change la notion du temps » (FHH Journal) : un très intéressant article publié dans ce magazine de la Fondation de la haute horlogerie sur notre nouveau rapport au temps en confinement, à la lumière des travaux du jeune philosophe Benjamin Simmenauer, professeur en stratégie des marques à l’Institut français de la mode. « Je dirais que nous faisons tous l’expérience du lien entre l’espace et le temps. Comme nous sommes privés d’espace, cette expérience a un impact sur le temps vécu. Cette expérience de routine quotidienne nous enferme dans une sorte de présent perpétuel sans changement ou diversité qualitative. Ce qui n’est pas forcément facile à vivre, car ce caractère répétitif change nos habitudes. Nous qui vivons dans une société en constant changement ou, tout du moins, qui avons la sensation d’un monde en perpétuelle agitation, ces contraintes qui nous forcent à passer des journées assez identiques entre elles nous font perdre la notion de mouvement et donc de temps. Si nous nous accrochons à nos perceptions antérieures, au sortir de la crise, nous aurons l’impression d’avoir vécu une période d’appauvrissement et de repli. Ce qui est plutôt paradoxal : combien de fois n’a-t-on en effet pas entendu ces discours enthousiastes selon lesquels cette phase de confinement est une excellente opportunité de “revenir à l’essentiel” ? Qu’il est enfin temps d’opérer une conversion vers la sagesse ? Autant dire qu’il n’en est rien et que ces grandes tirades qui incitent à prendre du temps pour soi sonnent creux pour beaucoup de gens qui voient leur horizon se restreindre plutôt que s’élargir. Nous ne sommes tout simplement pas préparés à devenir des moines ou des ascètes. Le rapport au temps est une construction collective dans laquelle l’individu n’est qu’un rouage du système. On se rend bien compte qu’il est difficile d’ajuster de soi-même son rapport individuel au temps. D’où la réaction de rejet par rapport au discours lénifiant voulant que cette pandémie apparaisse aussi comme une “chance” pour l’humanité. (…) À l’heure actuelle, ce qui importe n’est pas tellement de promouvoir des produits mais bien plutôt d’apparaître comme un acteur social responsable et engagé, et donc de proposer sa contribution à la lutte contre cette pandémie. En ce sens, l’industrie du luxe a su réagir très rapidement via des initiatives précoces et universelles. C’est évidemment une opportunité de rester visible à un moment où la consommation de luxe disparaît des préoccupations, mais c’est aussi la preuve que la culture du luxe, qui est une culture de l’excellence, peut se traduire moralement, peut-être plus que celle du mass-market ». On vous laisse réfléchir là-dessus…
CONFINEMENT ?
❑❑❑❑ « Connerie (parole de résistance) » (Laetitia Lantieri, INfluencia) : auteur et concepteur-rédacteur, Laetitia Lantieri (naguère chez Publicis) a la plume facile et la langue affutée. Ici elle s'attaque à la connerie. Un sujet cher à Michel Audiard. Comme lui, elle est sûre d'une chose « Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît ». Son propos : « Décryptée par les philosophes qui cherchent à la cerner, la classifier, la justifier, voir même parfois l’excuser... Analysée par les scientifiques qui tentent, non sans mal, de mettre le doigt dessus et se retrouvent plutôt à mettre les doigts dedans... Tournée en dérision par les artistes tel un Audiard promettant à ses détenteurs une belle mise en orbite... La connerie est omniprésente dans nos vies. (…) Que la connerie coure les rues, passe encore. Qu’elle soit latente chez tout un chacun, bon... Mais que ceux qui nous gouvernent en fassent leur festin, c’est insoutenable. Parce qu’on attend mieux d’eux, mieux de ces gens que nous désignons pour nous guider collectivement et gérer ce que nous nous sentons incapables de gérer. Alors quand on se rend compte qu’ils le font moins avec le cerveau qu’avec les pieds, le vide s’ouvre sous les nôtres. (…) Je ne suis ni scientifique, ni philosophe. Artiste, je ne sais pas, mais j’aime tourner les choses en dérision. Et une chose est sûre, j’ai gardé une âme d’enfant en dépit des gigantesques « sauts de classe » que les hommes et les femmes politiques me font faire. Et comme quand j’étais (vraiment) enfant, j’aime rire. Alors je ris de ce monde-là, même si c’est en grinçant des dents ». On vous laisse réfléchir là-dessus…
CONFINEMENT ?
❑❑❑❑ « Spartacus contre Matamore : puissance populaire contre pouvoirs institutionnels » (Pr Michel Maffesoli, Atlantico) : au-delà ou en deçà de la crise actuelle qui, on ne le redira pas assez, est rien moins que sanitaire, mais essentiellement civilisationnelle, commence à poindre chez la caste au pouvoir une indéniable crainte de lendemains qui, à coup sûr, ne chanteront pas. Bien entendu, elle en dénonce l’aspect « populiste ». Il n’en reste pas moins que des appels à se soulever, des rendez-vous fixés pour des insurrections à venir se diffusent sur les réseaux sociaux. Révoltes à opérer dès la fin du confinement. Le calendrier n’est, certes, pas certain et pour le dire familièrement, on ne peut pas « touiller dans les marmites de l’histoire ». Mais ce qui est sûr c’est que une « ère des soulèvements » est en gestation. « C’est, régulièrement, que survient ce que l’on peut appeler le « syndrome de Spartacus ». Cet esclave thrace qui en compagnie de quelques “Gaulois réfractaires” fit ce que les historiens nomment, benoitement une ‘guerre servile”. Et ce pour désigner une rébellion contre un pouvoir ayant perdu, peu à peu, l’austère paternalisme des patriciens romains et ne considérant la plèbe et, à fortiori, les esclaves que comme des gueux exploitables et corvéables à merci. (…) La confiance, c’est à dire la foi partagée (« fides ») est le seul ciment durable pour toute vie sociale. Quand la méfiance, issue d’un mensonge débusqué l’emporte, le grondement de la révolte s’exacerbe de plus en plus, c’est en ce sens que l’ombre de Spartacus est en train de s’étendre sur toute la société ! » On vous laisse réfléchir là-dessus…
RÉSURGENCE ?
❑❑❑❑ « Le crépuscule de l’universel, de Chantal Delsol, éditions du Cerf » (note de lecture en deux parties : Johann Rivalland, Contrepoints) : à l’heure des remises en cause (très souvent largement excessives et démesurées), il est bon de s’interroger sur ce qui fonde nos valeurs essentielles et sur ce qui peut encore relever de l’universel. « J’ai lu l’essentiel de cet ouvrage juste avant l’entrée en confinement. Puis je l’ai laissé un peu de côté, l’actualité ne se prêtant pas à une présentation de grands sujets de fond dans une situation de pandémie et de tout ce qu’elle implique. À présent, l’heure est sans doute venue d’y revenir, car les réflexions auxquelles invite cet essai ne sont pas étrangères à celles qui peuvent se poser à un moment où de nombreux esprits s’échauffent et remettent parfois totalement en cause nos modes de fonctionnement, voire certaines de nos valeurs profondes, dans l’idée de bâtir autre chose. Avec dans certains cas une résurgence d’idées dont on a pu subir les effets effroyables au cours du XXe siècle, celles qui consistent à vouloir ”changer l’Homme”, “changer la société” et toutes les idées souvent dangereuses – et en apparence généreuses – qui peuvent les accompagner. (…) En conclusion, Chantal Delsol montre que l’utopie d’avenir poursuivie par l’humanitarisme au prix d’une volonté de biffer le passé et nos racines, en visant une forme d’universalisme et de perfection immédiate, conduit par un reniement des particularités, à asseoir ses idéaux sur du vide et une forme de relativisme qui suscitent en définitive des hostilités et des dissensions dangereuses qui vont à l’encontre de ses rêves de destin universel. Ce faisant, elle a donné des armes à la contestation holiste pour mettre à mal les principes mêmes sur lesquelles elle espérait faire reposer cette communauté de destins. Alors que, peut-être, nous serions bien avisés d’écouter parfois les arguments de ceux qui critiquent notre “modernité” et proposent d’autres formes de modernité. Car comprendre les critiques peut aussi être un moyen d’évoluer. Plutôt que de se cantonner dans les postures idéologiques et ce qui est ressenti par d’autres comme du snobisme ou du pédantisme, nous pourrions nous montrer plus ouverts et moins dogmatiques. Et chercher à déployer une éthique commune au sein même des identités. Ce qui ne serait nullement incompatible, montre l’auteur, avec l’esprit des Lumières. Car c’est davantage la perversion de la postmodernité qui a dénaturé l’universalisme occidental que ses fondements initiaux. Par la responsabilité individuelle, la personnalisation, et l’interrelation, nous serons mieux à même de partager des valeurs communes que par des formes d’idéologie contrainte qui ne mènent finalement qu’aux affrontements stériles ». On vous laisse réfléchir là-dessus…