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TITANICK #1 (accès libre)
Tricheries et petites corruptions entre amis : tel est pris qui croyait prendre !

On se demande par moments s’il y a toujours un pilote dans l’avion Swatch Group, où trop de différents changements ont été annoncés depuis deux ans pour qu’on puisse encore les prendre au sérieux. Il y aura bientôt vingt ans que Nick Hayek s’est emparé des commandes du groupe. Un petit bilan, illustré par quelques dossiers récents, histoire de décerner quelques « Titanick » d’or ?


Encore une affaire dont Nick Hayek, le toujours CEO du Swatch Group, se serait bien passé. Lui qui avait annoncé à ses directeurs qu’il voulait passer la main au profit de son neveu [à deux ans de la septantaine, miné par une santé précaire, il a bien raison de se préoccuper de sa retraite, qui sera dans tous les cas dorée], le voici confronté à un étonnant retour de bâton. En 2013-2014, ses contrôleurs de gestion et lui-même, qui veille toujours de très près à ce grain-là [le Swatch Group est très pointu et très efficace dans sa lutte contre les tentations de ses cadres], avaient détecté de possibles surfacturations du côté de la Chine, pays alors stratégiquement et démesurément décisif pour le Swatch Group, tant commercialement du fait de la « bulle » de consommation chinoise des années 2010 qu’industriellement du fait des fabuleux volumes de commandes passés aux usines chinoises pour alimenter les chaînes de production Swiss Made du groupe. Une enquête interne avait conclu à une affaire assez classique de pots-de-vin [le fournisseur local qui « motive » les donneurs d’ordres européens par quelques versements sur leurs comptes offshore], mais à une échelle stratosphérique par rapport aux banales histoires de corruption repérées en Suisse : on parlait là d’une très grosse poignée de millions de francs suisses, le Swatch Group s’affirmant lésé d’une soixantaine de ces millions. Nick Hayek portait aussitôt plainte et le faisait savoir : on allait voir ce qu’on allait voir ! Les effets de manche [démontrer que le Swatch Group était géré avec rigueur et mettre en garde les éventuels corruptibles] l’emportaient sur les possibles dégâts d’image : à part quelques journalistes mal intentionnés, dont nous sommes, qui allait poser des questions gênantes sur l’ampleur des commandes passées en Chine pour être ensuite swissmadisées après un passage administratif par les ports-francs de Zurich ?

Manque de chance pour Nick Hayek, l’affaire a traîné devant les juges suisses, les audiences ont été reportées, uns des protagonistes nous a quittés et, de mesure dilatoire en vice de procédure et en délai de prescription, la première décision de justice est tombée la semaine dernière. Ce fut une défaite en rase campagne pour le Swatch Group, voire même une mémorable raclée judiciaire ! Les trois employés du Swatch Group ont été acquittés, les juges neuchâteloiss ayant estimé que le préjudice envers le Swatch Group [estimée par Nick Hayek à 60 millions de francs suisses] n’était pas établi. Certes, cette décision est susceptible de recours, tant du côté de la justice que du Swatch Group, mais on voit s’accumuler ici une ahurissante séries de fautes de communication. C’est à l’amiable qu’il aurait discrètement fallu régler cette affaire dès 2014, puisqu’on perd tout sans rien gagner à l’exposer sur la place publique et dans l’arène médiatique. Le service juridique du Swatch Group s’est montré particulièrement nul dans la préparation du dossier, qui était devenu un vrai « bâton merdeux » impossible à manipuler sans se salir les mains. La communication du groupe a réagi de façon inepte tout au long de l’instruction et du dossier, alors même que l’image du groupe était en cause et que sa suissitude emblématique – le Swiss Made de ses montres, valeur phare et identitaire du Swatch Group – était dangereusement questionnée. Nick Hayek lui-même a paru se désintéresser de ce sujet pourtant stratégique. Inutile de dire que la fessée administrée par les juges de Neuchâtel – qui ont confirmé l’ampleur de transactions commerciales avec ce fournisseur, qui coule des jours heureux au Vietnam – n’a pas été commentée par le groupe. On pourra se reporter à nos interventions à la télévision suisse à ce sujet (Business Montres du 30 août)…

Nous mentionnions un peu plus haut l’efficacité des procédures très pointues du Swatch Group pour lutter contre les dérives possibles et les comportements douteux de ses donneurs d’ordre. C’est globalement vrai, mais il y a eu apparemment des trous dans la raquette. Pour gagner quelques centimes sur des composants clés, on a choisi – ou laissé choisir – un prestataire dont la réputation économique était particulièrement questionnable : d’autres groupes européens avaient refusé de travailler avec lui ! Nick Hayek, lui, a préféré ses dividendes à la morale la plus élémentaire : pour décrocher les marchés en « arrosant » au passage les donneurs d’ordre complices, ce prestataire sous-payait son personnel et leur imposait des conditions de travail abominables. À tel point que les visiteurs européens de ses ateliers devaient être entourés de… gardes du corps pour prévenir tout geste désespéré d’un employé ou toute tentative de contact qui aurait pu faire découvrir le pot aux roses ! On le savait à Hong Kong, les expatriés de la communauté suisse le savaient, Business Montres le savait, comment aurait-on pu ne pas le savoir à Bienne ?

Ce n’est donc pas un seul iceberg que le Titanick a percuté en voyageant dans ce dossier, mais bien plusieurs autres, pendant une petite dizaine d’années au cours desquelles Nick Hayek avait les pleins pouvoirs. Veillons distribuer équitablement nos « Titanick d’or » : 

• Titanick dans le choix, ratifié par la présidence du groupe, d’un prestataire chinois plus que douteux, mais tellement moins cher qu’il promettait beaucoup de revenus supplémentaires, non seulement aux corrompus, mais aussi à leurs actionnaires…

• Titanick dans l’absence de surveillance des donneurs d’ordre qui manipulait des commandes en Asie fortes de plusieurs centaines de millions, alors qu’ils savaient très bien que le prestataire choisi avait lui-même une myriade de sous-traitants, plus esclavagistes les uns que les autres…

• Titanick dans l’aveuglement de la direction de Tissot [par respect pour la maladie de son CEO d’alors, nous n’en dirons pas plus], mais il ne semble pas que ce CEO, qui ne l’est plus mais qui reste présent dans les parages du groupe, ait été le moins du monde sanctionné, alors qu’il était à la fois coupable et responsable…

• Titanick dans le manque de discernement du siège social et de ses contrôleurs, qui ont accepté des prix si inférieurs à ceux du marché qu’un signal d’alarme aurait dû retentir, mais les lois de la gestion financière – l’exercice préféré de Nick Hayek – ont leurs raisons que la raison morale ne connaît pas…

• Titanick dans la décision de porte plainte publiquement, au risque d’attirer l’attention sur les pratiques asiatiques douteuses du groupe et de faire peser des soupçons sur l’intégrité du Swiss Made pour des marques comme Tissot…

• Titanick dans la gestion de ce dossier, tant par le Legal Team du Swatch Group, d’une inefficience incroyable pendant huit ans, que par le service de communication d’un groupe coté, frappé d’un inquiétant mutisme et comme privé de toute capacité de réaction…

• Titanick dans l’autisme du groupe après une décision de justice pour le moins inattendue, mais très embarrassante pour le Swatch Group, qui n’a rien à dire quand on prouve que ses employés expatriés sont en roue libre, que ses fournisseurs sont des malhonnêtes et que ses montres « suisses » ne le sont pas vraiment…

Si on compte bien, cela fait sept « Titanick » pour un seul dossier – c’est beaucoup ! D’autant qu’il y en a encore un certain nombre à distribuer dans d’autres dossiers, qui concernent plus directement les marques du Swatch Group. À bientôt pour de nouvelles aventures titanickesques…

❑❑❑❑  À SUIVRE : ne manquez pas nos prochains épisodes de notre série Titanick, qui raconte la décadence d’un grand empire industriel et commercial. C’est bien plus palpitant que tout ce qu’on peut trouver sur Netflix…

 

Coordination éditoriale : Eyquem Pons


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