ARCHIVES # 49 (accès libre) : Les starchitectes du temps (la nostalgie BNB)
Le 07 / 12 / 2013 à 06:26 Par Le sniper de Business Montres - 3996 mots
(article publié le 26 mars 2008) BNB, la boîte à outils hyper-créative des nouveaux horlogers n'a pas réussi son pari : balayée par la crise, elle a dispersé les espoirs de nombreuses petites marques. Quelques mois avant l'explosion en vol de Lehman Brothers, Mathias Buttet (ci-contre), qui n'avait pas peur de rêver très fort, tenait alors le haut du pavé...
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(article publié le 26 mars 2008) BNB, la boîte à outils hyper-créative des nouveaux horlogers n'a pas réussi son pari : balayée par la crise, elle a dispersé les espoirs de nombreuses petites marques. Quelques mois avant l'explosion en vol de Lehman Brothers, Mathias Buttet (ci-contre), qui n'avait pas peur de rêver très fort, tenait alors le haut du pavé...
▶▶▶ BNB CONCEPTLes starchitectes du temps (première partie)
La manufacture BNB Concept s'impose en 2008 comme l'arsenal des nouveaux créateurs horlogers. Rencontre avec Mathias Buttet, fondateur et manager des "motoristes" de BNB Concept.
◉◉◉◉ Duillier est un petit village du canton de Vaud, à l'orée de la Petite Côte, juste au-dessus de Nyon. Entre vignobles et lac, BNB Concept y a construit sa nouvelle manufacture centrale, en conservant différents autres locaux, à Crans (galvanoplastie et décoration) et en vallée de Joux (ateliers horlogers). L'entreprise est née en 2004, avec quatre personnes dont les trois associés qui ont donné l'initiale de leur nom à la manufacture. En 2008, il ne reste plus que le B de Mathias Buttet, et 130 personnes sur le seul site de Duillier. Rythme moyen de croissance depuis la création : 200 % tous les six mois, que ce soit en carnet de commandes, en personnel, en chiffre d'affaires ou en parc de machines. Même dans une industrie horlogère abonnée aux records annuels de progression, c'est assez spectaculaire. On comprend que le fonds d'investissement EPF Partners n'ait pas longtemps hésité à prendre une participation minoritaire dans BNB pour en asseoir la future croissance. Mathias Buttet a su rester majoritaire après cette restructuration du capital, qui a dopé la croissance de l'entreprise. Facteur supplémentaire de confiance : pas de Porsche Cayenne, ni de bolide italien sur le parking de Duillier. Tous les bénéfices sont réinvestis dans l'entreprise et dans l'outil de production, ce qui permet d'ailleurs de mieux payer les équipes et de les fidéliser… ◉◉◉◉ De l'avis unanime dans la profession, y compris chez les concurrents qui ont été pris de vitesse, BNB est aujourd'hui la référence en matière de créativité « pointue » et de nouveaux concepts d'avant-garde : la liste des 28 clients de l'entreprise témolgne de cette dynamique. Liste confidentielle à quelques exceptions près (Concord, DeWitt, Franc Vila, Gérald Charles, HD3 Complication, Hublot, Jacob & Co, Marc Alfieri, Romain Jerome), mais il suffit d'ouvrir les yeux pour remarquer que de plus en plus de grandes marques confient des missions discrètes aux équipes de BNB (ci-dessous : Mathias Buttet, à droite, et une partie de la direction de BNB, Catherine Perrot et Sergio Marfil, avec l'escalier du hall d'entrée)… ◉◉◉◉ Il est tentant de chercher à définir les ingrédients de ce succès, qui se nourrit aujourd'hui de lui-même : sur le bureau de Mathias Buttet, quelques CV laissent rêveur sur la fidélité de ces « maîtres horlogers » qui créent aujourd'hui ce qui se fait de mieux dans les manufactures concurrentes. BNB Concept est une aventure bien tentante pour la jeune génération horlogère : pour monter dans le bon wagon, les candidats au voyage sont de plus en plus nombreux, et, pourtant, Mathias Buttet ne tente jamais de débaucher qui que ce soit, et il embauche toujours les prétendants au même salaire qui leur était versé dans leur poste précédent. ◉◉◉◉ Alors, pourquoi ces candidatures spontanées ? Avant même de parler des concepts créatifs mis en oeuvre du côté des ateliers horlogers, il convient de se pencher sur les innovations managériales de Mathias Buttet, ingénieur en micromécanique de formation avant de se passionner pour l''horlogerie. BNB fonctionne aussi sur des nouveaux concepts de management, au premier rang desquels les horaires libres, vraiment libres : 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans plages horaires obligatoires, avec une vraie liberté qui donne aux uns et aux autres la possibilité de concilier plus facilement vie professionnelle et vie privée. Une flexibilité absolue qui crée une appréciable dynamique de groupe et un attachement à l'entreprise plus durable que la simple augmentation salariale. Moyenne d'âge chez BNB : 27 ans, ce qui est très jeune quand on le rapporte au niveau élevé des complications proposées par l'entreprise. Ce qui constitue, par ailleurs, une garantie de non-conformisme intellectuel dans l'approche de l'innovation horlogère (ci-contre et ci-dessous : le mouvement de base BNB 6000). ◉◉◉◉ Détail intéressant : l'ouverture de l'entreprise aux handicapés. Le management citoyen du fondateur de BNB ne double ici d'un certain réalisme patronal : compte tenu de la moyenne d'âge, le lundi matin – lendemain de week-ends festifs – n'est jamais la journée la plus agitée de la semaine, mais la présence de ces fauteuils roulants dans les ateliers relativise nettement les « petits bobos » qui justifient généralement les arrêts maladie. Pour la cohésion de l'ensemble : une raclette communautaire mensuelle et trois jours de folie annuelle sur un site régional. ◉◉◉◉ « On ne peut pas être un innovateur horloger sans être un innovateur social » : élevé dans le sérail horloger (Nouvelle Lémania, Vacheron Constantin, Franck Muller), Mathias Buttet a eu le temps de repérer les avantages et les inconvénients des grandes structures. C'est donc en patron d'avant-garde qu'il conçoit des complications d'avant-garde. Au-delà des horaires 100 % libres, il y a aussi l'organisation même du travail : alors que les grandes manufactures horlogères parcellisent les tâches à l'extrême (on y fonctionne encore dans une logique taylorienne), les équipes de BNB fonctionnent par « villages » (une série d'un modèle d'une marque), chaque membre de l'équipe (« villageois ») ayant la possibilité de suivre la réalisation d'une complication de A à Z, en bénéficiant des conseilsprodigués par les plus anciens. Tous pourraient signer « leur » montre et certains la reverront sans doute revenir en réparation. Sentiment de fierté et regain de passion : deux vecteurs puissants de motivation, dans un métier qu'on ne pratique pas sans un engagement total. ◉◉◉◉ Autre priorité pour le recrutement de l'équipe BNB : la formation scientifique. « Le CAP d'horloger est devenu insuffisant, compte tenu des connaissances théoriques nécessaires à la compréhension de la nouvelle horlogerie. On se bat aujourd'hui contre la gravitation : les jeunes horlogers doivent pouvoir dialoguer au meilleur niveau scientifique avec les ingénieurs, ce qui est loin d'être le cas actuellement », se défend Mathias Buttet. Il a voulu que les membres de son bureau technique travaillent en binôme sur chaque projet – ces binômes permutant selon les missions (question d'ouverture d'esprit, de bonne circulation de l'information et d'empirisme conceptuel, sans cloisons étanches entre R&D, constructeurs, prototypistes, opérateurs de centres d'usinage et horlogers en fin de chaîne). Dans les ateliers d'horloger, les équipes sont à nouveau disposées en « villages », qui fonctionnent par « séries » (une complication par marque) : la diffusion fulgurante des bonnes idées et des bonnes pratiques est assurée. D'où le sentiment que l'équipe horlogère regroupée chez BNB est probablement la plus compétente de toute l'industrie horlogère suisse, du moins pour ce qui concerne les structures indépendantes. Une équipe qui réagit vite et sans complexes, quand les plateaux horlogers des manufactures plus installées procèdent avec lenteur et circonspection (pour ne pas dire retard)... ▶▶▶ BNB CONCEPTLes starchitectes du temps (seconde partie) ◉◉◉◉ Le plateau technique mis en place par BNB est tout aussi performant : avec une quinzaine de centres d'usinage, ce n'est pas le plus important, mais sans doute le plus performant, toutes proportions gardées, de l'environnement industriel horloger. Le plan de la manufacture est technologiquement signifiant : les CNC sont posées sur des planchers souples, avec des dalles indépendants qui absorbent les vibrations, et elles sont logées dans des halls sans ensoleillement direct – chacun sait qu'une micro-variation de température affecte mécaniquement les tolérances de chaque machine-outil de précision (ci-contre et ci-dessous : le mouvement BNB 1800). ◉◉◉◉ Question de management et de non-spécialisation des tâches : les mêmes opérateurs font eux-mêmes la programmation, la mise en place des méthodes, les outillages nécessaires, les réglages et les contrôles de pièces livrées aux équipes horlogères. La logique de la verticalisation est poussée très loin sur chaque décolleteuse, chaque CNC et chaque centre d'électro-érosion. Tout au long de la chaîne des métiers, chacun se trouve ainsi responsabilisé, avec une traçabilité absolue du moindre composant. Une autocorrection qui engendre le respect des uns par les autres et qui consolide, tout au long de cette chaîne, un sentiment motivant d'appartenance et de travail en équipe. Conséquence de cette verticalisation guidée par une logique de qualité : la manufacture BNB emboîte désormais la quasi-totalité des pièces qu'elle livre à ses clients et elle en assure le SAV. ◉◉◉◉ En marge de ces innovations managériales (qui expliquent cependant en grande partie l'éruptivité de BNB), l'originalité de l'entreprise se joue aussi sur les frontières de l'activité horlogère. Très friand d'avancées technologiques et lui-même très impliqué dans le tissu de la recherche polytechnique suisse, Mathias Buttet se passionne pour les nouveaux concepts électroniques, dont l'histoire dira s'ils étaient ou non applicables à l'industrie horlogère : il en est intimement persuadé, mais les marques de haute horlogerie dégainent leur revolver dès qu'elles entendent le mot électronique dans le champ de l'horlogerie mécanique ! BNB a ainsi développé des technologies amusantes, comme un incroyable robot d'entreprise (un humanoïde qui ne sera bientôt plus virtuel), le plus petit lecteur d'empreintes digitales du monde, un système d'interrupteur invisible (intégré dans le mur), un détecteur sélectif de mouvement ou la plus petite station météo du monde. Sans parler de travaux sur les fibres de carbone (BNB a sa propre technologie de production) ou sur les métaux phosphorescents (40 couleurs d'or disponibles, plus quelques métaux précieux fluorescents). ◉◉◉◉ Quel intérêt pour des amateurs de montres ? Réponse de Mathias Buttet : « Au XXIe siècle, au-delà des avancées technologiques et du travail sur les matériaux, le vrai défi est de repenser l'utilisation des objets ». Il suffit de laisser planer son imagination pour anticiper l'utilisation horlogère de bon nombre des idées mises en forme industrielle par BNB. Détecteur de mouvement : au lieu de manipuler la couronne ou de toucher le cadran de sa T-Touch, un mouvement bref de poignet pour armer le chrono, deux mouvements brefs pour l'arrêter ; un mouvement vertical pour une fonction, une saccade horizontale pour une autre fonction… Lecteur d'empreinte digitale : avec la plus parfaite des montres intégralement mécaniques, un doigt posé sur le verre saphir suffirait pour émuler des fonctions électroniques périphériques, comme l'ouverture d'une portière à distance, un mot de passe informatique ou l'accès à un terminal de paiement : soit la créativité d'un Steve Jobs dans une Patek Philippe… Chez BNB, on réfléchit aussi à la capacité d'intégrer, dans le verre saphir de la montre (strictement mécanique) des fonctions électroniques lisibles uniquement sur le verre, comme sur l'écran tête haute d'un cockpit de chasseur-bombardier : cette fois, c'est Patek Philippe + Darth Vador… ◉◉◉◉ « J'ai la conviction que le mécanique et l'électronique ont des choses à se dire, même s'il est vrai que le mot électronique fait encore tousser les patrons des marques. L'idée forte et futuriste, c'est que ces fonctions électroniques soient personnalisées et strictement invisibles de l'extérieur. L'avenir est aux technologies hybrides : seul le porteur doit bénéficier de cet apport absolument inévitable de l'électronique aux industries du luxe ». ◉◉◉◉ Mathias Buttet paraît parfois enrager du conservatisme qu'on lui oppose… Les nouvelles idées ne manquent pas. C'est l'audace des directions qui fait défaut. « Dans les meilleures maisons, les plus respectables et les plus anciennes, on regarde surtout ce qui s'est fait dans le passé pour rester digne de l'héritage. On avance donc en regardant derrière. Pour moi, explique Mathias Buttet, c'est au contraire un manque total de respect pour les créateurs historiques de ces maisons, qui étaient tous fous de nouvelles technologies et qui étaient à l'écoute de tout ce qui pouvait améliorer leur art. Breguet était ami de toutes les gloires scientifiques de son temps. A leur époque, les nouvelles technologies avaient une utilité directe : on faisait des chronomètres de marine pour que les navires de guerre arrivent au bon port au bon moment, pas pour le plaisir de donner l'heure aux capitaines (ci-contre et ci-dessous : le mouvement BNB 5000). ◉◉◉◉ « Aujourd'hui, on fait le contraire et on verrouille l'expression artistique par intégrisme mécanique. Osons la question qui fâche : où en serait l'industrie des transports si on l'avait verrouillée sur les calèches hippomobiles. Nous aurions toujours deux chevaux attelés, des calèches magnifiquement finies et des ramasse-crottins électroniques pour être au goût du jour. C'est n'importe quoi ! Chez BNB, nous sommes fiers d'être, à notre manière, les continuateurs de grands ancêtres comme Breguet, mais on essaie d'ajouter au respect de ce passé l'intuition de ce qu'ils auraient fait s'ils avaient été à notre place. Nous regardons devant, et pas derrière. Notre dynamique d'entreprise est de ne rien figer et de considérer qu'il n'y a pas de limites à l'art horloger. Pour nos équipes, le mot d'ordre est : “Exprimez-vous, continuez, allez de l'avant, comme dans les maîtres du passé. S'il avait eu les moyens techniques de le faire, Breguet aurait conçu des tourbillons multi-axes. Il aurait ajouté à ses tourbillons des répétition minutes et des capteurs de mouvement. Il aurait additionné roues à colonnes et nouveaux matériaux. Qui osera dire le contraire ? Je n'en voudrais pour preuve que ses travaux sur la lubrification. Breguet a couru toute sa vie après l'huile parfaite, dont les nouveaux matériaux autolubrifiés par oxydation contrôlée nous permettent aujourd'hui de nous passer. Qui peut penser que Breguet n'aurait pas foncé sur ces matériaux qui se lubrifient d'autant mieux qu'ils vieillissent ? » ◉◉◉◉ Aller plus loin, pour Mathias Buttet, c'est pousser toujours plus avant la verticalisation de l'entreprise, jusqu'aux boîtiers le jour où ce sera nécessaire pour servir les clients dans les délais, voire encore plus loin. La philosophie reste, de toute façon, d'être « maître à bord » et de dépendre le moins possible de fournisseurs extérieurs qui n'ont pas encore intégré le « style BNB ». ◉◉◉◉ La boîte à idées de BNB déborde. Tout commence par « trois coups de crayons et un petit délire » : on ne s'interdit rien, puisque tout est imaginable hors de sentiers battus. La mise en forme de ces délires, c'est le domaine de Sergio, un designer venu de l'architecture pour épauler Mathias Buttet, qui ne se définit pas comme « horloger », mais comme « constructeur », BNB s'affirmant comme « motoriste » pour les horlogers de luxe. Ci-contre : le fameux mouvement BNB 2222, un double tourbillon séquentiel sans aiguilles, qui est en passe de devenir le manifeste de la nouvelle révolution horlogère (« Le temps sans temps » : image en bas de la page)... ◉◉◉◉ Entre les intuitions cinématiques de l'un et la traduction esthétique de l'autre, le bureau technique et la R&D (une quinzaine de « développeurs ») posent les bases d'un nouveau concept, avec une nouvelle architecture et de nouveaux matériaux. La seule limitation est désormais le choix final du client, par nature plus circonspect – à quelques exceptions près – parce que déjà corseté par son « image de marque » et par le sacro-saint « bouche-à-oreilles du microcosme. C'est cette logique de travail qui a permis l'explosion des tourbillons multi-axes (la vraie tendance de 2008) ou les calibres multi-dimensionnels, les multi-complications intégrées ou l'exploration prometteuse d'affichages non linéaires de l'heure. Sans parler, bien sûr, du stade suprême de la philosophie néo-conceptuelle du temps : le fameux « double tourbillon sans aiguilles » proposé par Romain Jerome et déjà sold out avant même sa présentation officielle à Bâle. ◉◉◉◉ Vous connaissez maintenant une partie des secrets qui expliquent le succès de BNB, place forte des nouveaux starchitectes du temps. Exercice amusant pendant les salons : repérer les idées BNB en circulation dans les collections 2008. Un premier décompte approximatif place la barre à une grosse cinquantaine de « nouveautés », avouées ou clandestines. Il doit y en avoir plus, à Bâle comme à Genève. C'est sans doute la première fois qu'un atelier de « motoristes » a un tel impact sur l'industrie horlogère (ci-contre : le calibre BNB 1450). Pour en savoir plus, cherchez le stand BNB à Baselworld. Impossible de le rater : il n'est pas dans les halles officielles (là où sont les clients de la manufacture), mais au milieu, au centre névralgique de tout le salon. Vous n'en croirez pas vos yeux : il fallait oser, Mathias Buttet l'a fait !G.P. ◉◉◉◉ PREMIÈRE PARTIE (publication initiale) : Worldtempus, 26 mars 2008. ◉◉◉◉ SECONDE PARTIE : Worldtempus, 27 mars 2008.
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