FREDERIQUE CONSTANT (accès libre)
Ce nouvel échappement « monolithique » est sans doute révolutionnaire, mais est-il vraiment nouveau ?
Quand on vous disait qu’il fallait se méfier des « méchaniciens » hollandais, on n’avait pas tout-à-fait tort : les héritiers de Huygens viennent de faire un pied-de-nez aux héritiers de Breguet – mais avec un goût un peu gênant de déjà vu…
La tête chercheuse derrière cet échappement « monolithique » de Frederique Constant [bien mal nommé, le « lithique » faisant référence à un pierre, alors que le silicium de l’échappement est un métal, même si son nom latin dérive de « silex », le caillou], c’est un certain Nima Tolou, qui faisait partie de la délégation des ingénieurs de l’université de Delft (Pays-Bas) venus participer à la présentation de la montre Zenith Lab, en septembre 2017 au Locle – un grand « Bibi Show » au cours duquel Jean-Claude Biver avait donné la parole à certains de ces universitaires, mais pas à Nima Tolou, qui avait cependant pu vérifier sur place l’intérêt des horlogers pour la flexibilité, qui est une de ces spécialités. Reste à comprendre pourquoi Jean-Claude Biver l’avait interdit de parole. Il nous semble avoir repéré ce vibrionnant Nima Tolou dans les coulisses d’un échappement destiné au groupe Kering (Ulysse Nardin et Girard-Perregaux, manufacture qui avait développé un « échappement Constant » sur un principe de flexibilité comparable (le dessin ci-dessous a été publié ce matin, quelques heures avant la conférence de presse officielle)…
• Quatre ans plus tard, le même Nima Tolou semble avoir quitté son laboratoire de l’université de Delft pour voler de ses propres ailes, grâce à un bureau d’ingénierie horlogère avancée baptisé Flexous – laquelle a déposé un brevet que nous avons présenté l’autre jour, en avant-première, à nos lecteurs (Business Montres du 24 mars), en leur signalant que ce serait encore une innovation dans le domaine du silicium vibrant, avant de leur confirmer ce matin que ce serait une affaire de Hollandais flexibles (Business Montres du 25 mars). Non sans anticiper sur le fait que cet échappement « monolithique » – nous n’avions pas son nom de baptême chez Frederique Constant – poserait plus de questions qu’il n’apporterait de réponses…
• Quatre ans plus tard, les services juridiques du groupe LVMH sont sur les dents tellement ils découvrent de ressemblances entre l’oscillateur vibrant de la Defy lab de Zenith et la nouvelle Slim Monolithic de Frederique Constant. On imagine que les services juridiques du Swatch Group vérifient de leur côté si on n’a pas piétiné leurs plates-bandes pour ce qui est des brevets qui protègent l’usage du silicium dans des échappements. Même les juristes de Kering devraient s’y mettre…
Plus de questions que de réponses : ça n’a pas manqué ! La présentation était limpide sur les qualités intrinsèques de ce nouvel échappement vibrant à très haut fréquence, calé sur 40 Hz (288 000 oscillations/heure) et apparemment réalisable en série industrielle à prix très accessible [la montre qui en sera équipée sera vendue autour des 4 500 francs suisses] – ce qui n’était pas vraiment le cas de l’échappement haut de gamme imaginé par Guy Sémon pour Zenith. Sauf qu’on a eu l’impression que cet échappement monolithique « inventé » pour Frederique Constant reprenait l’argumentaire de Zenith à l’époque ! À quelques détails près, comme les 40 Hz au lieu des 15 Hz retenus par Zenith, la triple certification requise pour Zenith, mais nettement moins ambitieuse chez Frederique Constant, le coup de génie des masselottes de réglage ajoutées par Frederique Constant [une touche très horlogère] ou le passage en phase industrielle pas vraiment conduit chez Zenith, mais revendiqué comme argument majeur chez Frederique Constant. 2017-2021 : l’histoire des mécaniques horlogères nous a paru bégayer, au degré d’amplitude près (6° des deux côtés). Relisez notre article de l’époque : même le terme « monolithique » y figurait déjà (Business Montres du 14 septembre 2021 : ci-dessous) !
D’où notre perplexité au moment d’applaudir chaudement la performance de Frederique Constant, manufacture qui a osé non seulement développé ses propres calibres en mode accessible, mais qui tente aussi de révolutionner un principe d’échappement qui n’a que très peu varié depuis trois siècles et demi : est-ce bien la révolution annoncée ? Ne serait-ce pas plutôt une échappée parallèle et relativement dupliquée de Zenith, tentative à laquelle il se peut fort que les tribunaux décident rapidement de mettre un terme ? Ce qui serait navrant pour l’image de Frederique Constant et pour l’honorabilité de ses équipes R&D – sans parler des actionnaires japonais (groupe Citizen), qui détestent perdre la face dans ce genre de dossiers…
Un indice encore plus troublant : alors que la communication avait été très claire pendant la présentation en ligne, impossible de trouver dans le dossier de presse le moindre développement technique un peu fouillé, pas plus que la moindre image probante de cet échappement monolithique placé dans le cœur ouvert de la montre, à six heures (en rouge, ci-dessus). On nous parle dans ce dossier de presse de la montre, mais pratiquement pas de son échappement, qui justifie pourtant le lancement de cette montre [on vous dévoile en bas de la page tout ce que la communication officielle veut bien nous livrer : chacun pourra se faire une idée de la comparaison avec notre présentation de la Defy Lab de Zenith en 2017 – lien ci-dessus]. Un tel silence est assez insolite pour qu’on ne le remarque pas et qu’on ne s’en alarme pas. Évidemment, aucune des cinq questions précises posées par Business Montres aux animateurs de la présentation en ligne n’ont été retenues, mais on nous a promis une réponse pour la semaine prochaine... Wait and see !