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LE SNIPER DU WEEK-END (accès libre)
Chez Richemont, tout va très bien, Monsieur l’actionnaire, mais en marche arrière !

Par moment, on se demande s’il ne faudrait pas pousser Papy dans les orties, mais faisons preuve de commisération pour les seniors en perdition dans un monde qui les dépasse et où ils ne survivent qu’en se vaccinant. Problème : il n’existe encore aucun vaccin contre la médiocrité managériale, ni aucun remède contre le déni de réalité – à part se prendre le mur en pleine face, ce qui ne saurait tarder…


ÉDITORIAL

Franchement, il n’y a vraiment pas

de quoi pavoiser avec de tels résultats !

Dans une magnifique démonstration de « langue de boîte » déconnectée de tout rapport avec ce que le plus élémentaire sens commun permet d’observer, Johann Rupert, l’actionnaire de référence du groupe Richemont, vient de nous prouver qu’il était digne de la… médaille d’or du déni de réalité ! Pour le comprendre, il suffisait de lire les résultats publiés cette semaine par le groupe Richemont, mais encore faut-il voir ce qu’il faut voir [et dire ce qu’on voit] : ceci sans se contenter des propos lénifiants du même Johann Rupert. Ceci sans se satisfaire des commentaires prémâchés par les bisounours de l’analyse boursière. Ceci sans préjuger des comptes rendus prédigérés à usage des ravis de la crèche qui foisonnent dans les médias perroquets. Quelques chiffres glanés dans le rapport annuel des comptes arrêtés au 31 mars de cette année…

• 8 % de ventes en moins : pas très glorieux face aux chiffres des groupes concurrents (alors même que les 13,1 milliards de ces ventes prennent en compte les surperformances des marques de joaillerie du groupe – + 3 % à 7,5 milliards)…

• 38 % de profits en plus : aucun doute, les équipes financières de Richemont sont des pointures de la performance financière (1,3 milliard de résultat net, contre 938 millions en 2020. Comme tout serait plus simple si Richemont était exclusivement une compagnie financière, au lieu de se mêler d’horlogerie avec d’aussi piètres résultats…

• 31 % de marge dans la joaillerie (28,8 % en 2020), contre 5,9 % dans l’horlogerie (10,6 % en 2020) : manifestement, le groupe Richemont n’a plus la main et il décroche dangereusement dans l’horlogerie, où ses marques n’ont gagné cette année que 132 millions (résultat opérationnel), contre 304 millions en 2020 (57 % de baisse !)…

• 21 % de baisse des ventes horlogères, à 2,2 milliards, contre 2,8 milliards en 2020, c’est tragique pour un groupe dont les marques tenaient la dragée haute à leurs concurrentes et pouvaient se poser en référence pour toute l’industrie…

• Les pertes se cumulent online, alors que la direction ne cesse nous vanter ses performances sur ce terrain : 2,1 milliards de chiffre d’affaires, contre 2,4 milliards en 2020, avec un résultat opérationnel qui passe de 241 millions (2020) à 223 millions (2021), alors que le déficit s’accroît (10,2 % de pertes, contre 9,9 % en 2020)…

• Les « autres » catégories du groupe Richemont (Montblanc, Dunhill, Chloé, accessoires, mode, etc.) ne vont guère mieux, avec 1,3 milliard de ventes au lieu de 1,8 milliard en 2020, un bon résultat opérationnel (241 millions au lieu de 141 millions : toujours cette excellente performance financière pour masquer un désastre commercial) et des pertes qui passent de 7,9 % à 17,9 % de ces ventes…

• 25 % de ventes en moins chez les partenaires distributeurs, alors que les ventes dans les propres boutiques du groupe sont en hausse de 2 % et les ventes en ligne en croissance de 9 %. On comprend que Richemont ait décidé de se délester de la plupart de ses détaillants…

• 30 % de baisse du chiffre d’affaires en Europe (2,9 milliards, contre 4,3 milliards en 2020), c’est un décrochage brutal et massif, que ne compense pas encore les 22 % de croissance en Asie, mais qui confirme les 10 % de baisse dans les Amériques, les 21 % de baisse au Japon ou les 1 % de baisse au Proche-Orient. La surdépendance et la surexposition des marques du groupe en Asie devient problématique, d’autant que c’est l’Europe qui créé l’image et l’aura des marques : le jour où les Chinois comprendront qu’on leur sert de la « chinoiserie » et non du luxe européen comme l’aiment les Européens, l’horlogerie suisse tremblera sur ses bases…

On va arrêter là ce décompte macabre : sans la joaillerie, le groupe Richemont n’est plus qu’un acteur secondaire de l’industrie des montres, puisqu’il n’est plus qu’au quatrième rang des groupes horlogers européens (derrière Rolex, Swatch Group et LVMH), l’ensemble de toutes ses marques horlogères ne faisant guère mieux en chiffre d’affaires que la seule maison Omega du Swatch Group (estimation Business Montres : 2,1 milliards) – les deux premières marques indépendantes du marché (Patek Philippe et Audemars Piguet) faisant à elles seules mieux que ce total. Qu’a-t-il bien pu se passer pour qu’on en soit arrivé là, pour que A. Lange & Söhne en vienne à passer derrière Van Cleef & Arpels pour ce qui concerne les ventes de montres, pour que les ventes des montres Montblanc soient dépassées par celles de Frederique Constant, pour que Baume & Mercier se fasse damer le pion par Bell & Ross et pour que Roger Dubuis fasse moins de chiffre d’affaires horloger que Philippe Dufour ?

Ce qui s’est passé ? Rien ! C’est Johann Rupert qui nous l’affirme sans rire dans le message du président qui accompagne ces chiffres – sur un ton très « Tout va très bien, Madame la marquise ! » (vidéo ci-dessous). Pour ne parler que de l’horlogerie, cela donne : « Notre division horlogère est en très bonne santé. Le renforcement de collections emblématiques, avec de nouvelles références bien accueillies par le marché, est venu accroître la désirabilité de nos Maisons ; leur présence au salon Watches & Wonders a connu un retentissement sans pareil. Les initiatives dans le domaine du « new retail » ont permis d’accélérer l’engagement direct avec le client final, notamment grâce aux magasins phares présents sur le Tmall Luxury Pavilion comme évoqué plus haut et à de nombreuses interactions numériques à distance avec les clients. La qualité du réseau de distribution des Maisons horlogères s’est améliorée, avec 73% de leurs ventes désormais réalisées par les magasins détenus en propre et chez les partenaires franchisés. Les ventes auprès de notre clientèle locale dans notre réseau de vente au détail ont enregistré une augmentation à deux chiffres, ce qui a en partie atténué l’impact de la quasi-disparition des touristes étrangers. Les stocks détenus par nos partenaires détaillants multimarques sont inférieurs à ceux de l’an passé, avec un sell- out supérieur au sell-in pour la quatrième année consécutive. Les coûts opérationnels ont été rationalisés et priorité a été donnée à la transformation du modèle économique pour mettre le client au centre du « new retail ». La reprise de l’activité s’est accélérée depuis le troisième trimestre de l’exercice, les quatre premiers mois de l’année calendaire s’établissant au-dessus du niveau de 2019, après prise en compte des importants rééquilibrages de stocks. »… Sublime exercice de « langue de boîte » – cet art de réussir à parler pour ne rien dire. Pas belle, la vie des montres ? On vous laisse réfléchir là-dessus…

Quelques autres actualités

du moment et quelques bonnes

questions du week-end

❑❑❑❑ L’ATTENTE DU WEEK-END : toujours pas la moindre réaction de la direction du Grand Prix d’Horlogerie de Genève à notre proposition de créer, cette année, un prix de l’Objet du temps de l’année – une catégorie où inscrire toutes les créations horlogères qui ne sont pas des montres-bracelets ou des montres de poche (Business Montres du 17 mai et Business Montres du 12 mai). On nous a fait savoir que c’était une bonne idée, mais pas pour cette année : pourquoi ? C’est précisément cette année, en 2021, qu’il faut envoyer un message positif sur la nouvelle dynamique du GPHG, son ouverture d’esprit et son souci de balayer tout le champ de la créativité horlogère. C’est justement cette année que l’« horlogerie de volume » semble avoir concentré tous les efforts créatifs de la profession. Les inscriptions étant loin d’être bouclées, alors que l’Académie n’a pas encore exprimé tous ses choix, il est donc possible de modifier le règlement intérieur sans risquer le moindre soupçon de manipulation (ci-dessous, la Nixie Machine de Frank Buchwald – précise à la seconde près)…

❑❑❑❑ LA BELLE HISTOIRE DU WEEK-END : c’est le site Time & Tide qui nous la raconte, en nous rappelant que l’empereur japonais Hirohito (1901-1989, empereur du Japon de 1926 à sa mort) avait tenu à se faire enterrer avec une montre. Pas n’importe laquelle, pas une montre japonaise, pas même une des Patek Philippe de sa collection « officielle », mais une simple montre américaine en acier, à l’effigie de Mickey, qui lui avait été offerte à Disneyland, lors d’une visite aux Etats-Unis en 1975. C’est à ses yeux la plus précieuse de ses montres, parce qu’elle symbolisait un des rares moments de liberté dans une vie personnelle et protocolaire d’« oiseau en cage » – comme il la qualifiait lui-même...

❑❑❑❑ LE « HASARD » DU WEEK-END (1) : c’est autour de l’immense thème du « hasard » – sous toutes ses formes – que se tiendra le prochain congrès scientifique mondial Timeworld (Paris, CNAM-Conservatoire national des arts et métiers, 1-2-3 juillet 2021 : ci-dessous). Il n’aurait pas été inutile que les horlogers soient dignement représentés dans les 90 conférences et tables rondes qui se tiendront, mais la précédente édition (2019) avait un tel flop auprès de la communauté horlogère que seul Patrice Besnard, le délégué général de France Horlogerie, sauvera l’honneur des horlogers français, qui bénéficieront cependant d’une exposition pendant la manifestation. Thème de l’intervention de Patrice Besnard : « La mesure du temps supporte-t-elle le hasard ? ». Bon courage…

❑❑❑❑ LE « HASARD » DU WEEK-END (2) : au fait, c’est quoi, le hasard ? Selon les organisateurs de Timeworld, « le hasard concerne tout le monde. On le craint et on tente de le maîtriser. Les sciences veulent nous aider, mais sait-on vraiment ce qu’elles nous apprennent de lui ? Les mathématiques avec la théorie des probabilités ont produit un calcul puissant qui nous permet de comprendre beaucoup de choses. Cependant le sujet du hasard va bien plus loin, et le simple problème de le définir, de le reconnaître et de le produire nous conduit déjà au-delà des probabilités telles que les mathématiques les abordent… Quelle part de hasard dans l’origine, le fonctionnement et l’évolution du vivant ? Comment prendre en compte les probabilités pour mieux le modéliser et comprendre notre monde ? Simples terriens, nous sommes aussi les représentants d’une espèce ingénieure qui interagit avec les autres et impacte le climat. Notre espèce est-elle vouée à l’extinction, à la spéciation ou à autre chose ? Une invitation à prendre en compte le hasard pour penser et agir autrement… Le hasard est sans doute un concept métaphysique ou astrophysique. Mais il est peut-être avant tout une perception humaine : une question individuelle qu’on se pose en cas de chance ou de malchance. Pourquoi cela m’arrive-t-il à moi ? Souvent ? Aujourd’hui ? C’est une question clé, intrigante, pour toutes les sciences humaines…. Le hasard s’est mis à jouer un rôle de plus en plus central dans les arts, depuis qu’il fut introduit volontairement dans le processus créatif (ce que recommandait déjà Léonard de Vinci) à l’instar des pratiques surréalistes, jusqu’à toucher musique, photographie, peinture, littérature... L’accident est aussi une modalité importante, y compris l’involontaire sérendipité. »... La plupart des conférences de Timeworld seront disponibles en vidéo par la suite…

❑❑❑❑ LA QUESTION DU WEEK-END (1) : à quoi ressemblent les opérations de live streaming et de promotion des ventes en ligne en Chine ? Question essentielle, alors que les marques misent tout sur le Chine, qui semble devenue le premier marché mondial du luxe européen, alors qu’elles misent tout, localement, sur la distribution en ligne et les plateformes des géants chinois du commerce en ligne. Deux chiffres : 500 millions de Chinois se connectent tous les mois sur TMall, avec des offres qui donnent aux client(e)s une impression d’exclusivité et de « branchitude » à l’européenne, mais Cartier a rassemblé 800 000 jeunes Chinois(e)s pour une vente exceptionnelle de bijoux qui a permis de réaliser en quelques minutes près de 13 millions d’euros de chiffre d’affaires. Un bon exemple de ce qui se passe sur les réseaux numériques chinois avec Pomellato (groupe Kering) en association avec Harper’s Bazaar Jewelry, qui nous présente l'actrice Zeng Li , le designer Lan Yu et l'écrivain Hao Jingfang , ainsi que le rédacteur en chef Jing Jing, pour nous raconter le pont lancé par la marque entre l'innovation et la tradition. En direct à l’écran – à chacun de se faire son opinion (on peut activer les sous-titres)…

❑❑❑❑ LA QUESTION DU WEEK-END (2) : à titre de comparaison, on peut s’amuser à visionner ce que la même marque, Pomellato, réserve à ses clientes européennes, avec le même mot-dièse #Pomellato for Women, mais en recrutant Jane Fonda et Cate Blanchett pour faire passer le message. Aucun doute, c’est une autre ambiance ! Combien de temps les marques tiendront-elles sur des bases marketing aussi culturellement hétérogènes ?

❑❑❑❑ L’INSTAGRAM DU WEEK-END : « Je peux vous assurer, Monsieur l’Actionnaire, que nos stocks sont au plus bas en dépit de la liquidation à laquelle nous avons procédé pour reprendre nos stocks d’invendus chez les détaillants que nous avons choisi de fermer » (page Instagram de Business Montres). Que deviennent donc les montres des stocks récupérés par les marques quand elles cessent de confier leur distribution à tel ou tel détaillant ? Ne rêvons pas : il arrive souvent que la marque renonce à récupérer ce stock et le laisse sur les bras du détaillant ! Ces montres sont soit détruites et recyclées, soit reproposées dans des « ventes au personnel » [parfois élargi aux familles et aux amis], à des prix de liquidation : récemment, dans la watch valley, deux manufactures bradaient ainsi leurs montres neuves de ces dernières années à 25 % de leur prix en boutique : pas sûr que les derniers détaillants suisses de ces marques fassent beaucoup de ventes de ces montres dans les mois à venir…

❑❑❑❑ LE SIGNAL FAIBLE DU WEEK-END : selon le journal économique japonais Nihon Keizai Shimbun, les douanes américaines auraient bloqué l’importation aux Etats-Unis d’un lot de chemises Uniqlo (marque de mode japonaise). L’information est confirmée par l’administration américaine. En cause : une collaboration entre Uniqlo et le Corps de production et de construction du Xinjiang (CPCX), organisation semi-militaire chargée du développement économique de la région du Xinjiang, située dans le nord-ouest de la Chine. On se souvient que les Etats-Unis tentent de boycotter les articles qui utilisent du coton produit au Xinjiang, où les Ouïgours musulmans seraient persécutés par les autorités chinoises. Simple question : que se passerait-il, demain, si les Etats-Unis décidaient de boycotter des marques qui seraient actives sur le marché chinois [c’est ce qu’elles ont fait pour tenter d’asphyxier l’économie iranienne] au nom de telle ou telle injonction moralisatrice et humaniste à fort relent de considérations géopolitiques masquées ? Les chemises n’ont rien de produits stratégiques – les montres non plus ! Il n’est donc pas interdit de penser que la sinodépendance grandissante du luxe horloger rend les marques encore plus fragiles face aux exigences du nouveau politiquement correct et de la culture woke

❑❑❑❑ L’INVITÉE DU WEEK-END : la fameuse « Miss Tweed » (Astrid Wendlandt), dont nos lecteurs connaissent le média en ligne, se penche sur le problème des marques horlogères intégrées dans des groupes – notamment celles de Richemont – qui semblent nettement moins performantes que les marques indépendantes. Pourquoi ? Parce qu’elles ne se posent plus les bonnes questions, qu’elles oublient de prendre des risques, qu’elles sont gérées sans imagination et qu’elles ont oublié de… se réveiller ! Explications en huit minutes dans l’émission « Cause toujours » de notre copine Brigitte Weberman sur la chaîne d’informations continues LN24 (vidéo ci-dessous) avec la candide « Miss Tweed » – ceci sans autre relation que concomitante avec notre éditorial ci-dessus. Ambiance : « « Selon les données de l'industrie, les horlogers de Richemont n'ont cessé de perdre des parts de marché au cours des cinq dernières années. Les horlogers du groupe manquent d'innovation, d'audace, et ne prennent pas assez de risques en termes créativité de produit et de marketing, selon des sources industrielles. Pour l'instant, le manque d’idées fortes au sein de la division horlogère de Richemont n'est pas perçu en interne comme un problème, affirment des sources proches du groupe. En effet, les affaires continuent d'être florissantes en Chine, compensant la faiblesse du marché européen. Mais à plus long terme, cela pourrait devenir un sérieux problème, car cela affectera la réputation de Richemont en tant que bâtisseur de marques de montres, alors qu’autrefois il était considéré comme le meilleur de sa catégorie dans le secteur ». Pour une fois, ce n’est pas nous qui le disons : attention, Miss Tweed, tu files un mauvais coton…

❑❑❑❑ L’IMAGE DU WEEK-END : « Alors, comme ça, vous avez connu Baselworld ? Racontez-nous ça ! » (Watch Comedy Club #65 en accès libre : Business Montres du 22 mai). La mémoire de Baselworld, salon horloger qui semble maintenant relever d’un « ancien monde » révolu, se perd à peu dans les sables de la nostalgie et dans l’insignifiance qui marque le culte de l’instantanéité pratiqué par les nouvelles générations. Il faudra bien pourtant un jour raconter les splendeurs et les misères de ce salon, dont quelques vétérans de l’industrie des montres ont vécu une quarantaine, voire une cinquantaine d’éditions, pour le meilleur et pour le pire, avec ses splendeurs et ses misères, mais aussi ses grandeurs et ses servitudes…


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