GREUBEL FORSEY (accès libre)
Comment sauver l’âme d’une montre pour l’éternité ?
C’est de la palingénésie horlogère ! L’équipe de Greubel Forsey nous avait déjà régalé avec son projet « Naissance d’une montre », développé avec Michel Boulanger et Philippe Dufour. Voici logiquement la suite : une « Renaissance d’une montre » ! Une sorte de passeport horloger qui aurait l’éternité devant lui. Très malin et très intelligent pour les mutations actuelles du marché…
Si on vous parle de palingénésie, cette théorie de la transmigration des âmes d’un corps à l’autre, qu’il soit humain ou animal, voir même végétal, ce n’est pas pour révéler que Robert Greubel, Stephen Forsey et Antonio Calce – le trio trinational qui anime la manufacture Greubel Forsey – se sont convertis à une forme de bouddhisme, qui désigne la palingénésie sous le nom de métempsycose. Cette palingénésie » existait déjà du temps des Grecs de l’Antiquité et elle signifiait tout simplement « nouvelle naissance » (palin ginetaï : « ce qui a été, renaît »). C’est exactement le nouveau concept mis en piste par Greubel Forsey sous le nom de « Renaissance du montre », opération qui succède très logiquement à « Naissance d’une montre », la précédente série « pédagogique » destinée à retrouver, perpétuer, illustrer et enrichir les beaux-arts de la montre mécanique.
L’initiative « Renaissance d’une montre » sera probablement rebaptisée upcycling (« surcyclage ») par les maniaques du franglais, mais personne n’est obligé de les suivre sur ce terrain du faux chic contemporain, qui tentera sans doute aussi de nous imposer son retrofit maniaque. Vade retro, anglosax ! Restons-en gentiment à « Renaissance du montre » et essayons de comprendre de quoi il s’agit. Antonio Calce, Stephen Forsey et Robert Greubel sont partis d’un constat évident : après une quinzaine d’années de production, jamais les montres signées Greubel Forsey n’ont été aussi mécaniquement fiables et esthétiquement bien finies. Jamais elles n’ont été plus résistantes aux atteintes du temps, ce qui est tout de même la moindre des choses pour des productions temporelles qui se veulent intemporels. Complément de ce constat : jamais les collectionneurs de Greubel Forsey n’ont été plus amoureux de leurs montres, en particulier de leurs pièces les plus anciennes [relativement peu de créations de la marque apparaissent sur le marché des enchères]. C’est à croire que les montres mécaniques ont une âme capable de traverser les âges : on vient d'ailleurs de le vérifier ce week-end avec la magie des enchères pour les montres de collection…
Avec de telles évidences, une question devenait lancinante : comment faire profiter les collectionneurs d’anciennes montres de la marque des avancées techniques et mécaniques opérées ces dernières années par la manufacture ? C’est là qu’on a réfléchi en termes de palingénésie, en admettant que les montres avaient une « âme » et que celle-ci méritait d’être sauvée en migrant d’une montre à l’autre. Sachant que les montres Greubel Forsey sont plus performantes que jamais en termes de précision, de fiabilité et d’avant-gardisme mécanique, comment préserver l’âme des créations plus anciennes en leur apportant le meilleur du savoir-faire actuel de la marque ? La réponse est à trouver dans d’autres industries, notamment aéronautiques et militaires : c’est le rééquipement, le réaménagement, la réadaptation, le réajustement, la réamélioration ou la rétromodernisation – la sémantique française étant ici bien plus riche que le mot-valise retrofit.
En clair, il s’agit de proposer aux collectionneurs de montres Greubel Forsey réalisées voici quelques années une sorte de « mise à jour » de leur fétiche, en fonction des différentes possibilités offertes par le mouvement de leur montre. Exemples : le Balancier Contemporain (en bas de la page) pourrait se voir doté d’un second fuseau horaire, d’un porte-échappement incliné, voire de changer le balancier en tourbillon. La GMT (ci-dessus), qui affiche déjà l'heure locale, un deuxième fuseau horaire et l'heure universelle à travers son globe et disque de villes, pourrait être dotée d'un fuseau horaire supplémentaire. Le Tourbillon 24 Secondes Vision (ci-dessous) pourrait se doter d’une Petite Seconde à disque à 4h, d’une Grande Date, d’une Phase de Lune, ou d’une modification de sa réserve de marche au profit de celle en trois dimensions du Double Tourbillon 30° Technique. Et ainsi de suite : on en saura plus dans les mois qui viennent, le projet « Renaissance du montre » étant annoncé comme pleinement opérationnel dès janvier 2023…
Il est évident que le fait de disposer, en interne, d’un outil manufacturier à peu près capable de tout produire sur place est un atout majeur pour Greubel Forsey. Il permettra également de rétromoderniser l’habillage des montres anciennes (matériau de la boîte, bracelet, couronne, aiguilles, etc.). De quoi retravailler chaque montre dans un esprit de personnalisation créative. De quoi aussi renforcer le lien intime qui ne manque jamais de s’établir entre l’âme d’une montre et l’esprit de celui qui la porte. Comme l’explique volontiers Antonio Calce, dont on ne soupçonnait guère cette forme de romantisme horloger : « Ce programme “Renaissance d’une montre” n’est pas anecdotique ou commercial : il concrétise une vision et il s’inscrit dans une stratégie à long terme. Il va nous permettre d’ouvrir de nouveaux fronts créatifs. Greubel Forsey n’ambitionne pas simplement de repenser la haute horlogerie en termes de savoir-faire, mais aussi de savoir-être. Nous tentons ainsi de prolonger l’histoire d’une montre et d’apporter plus de valeur aux collections de nos clients »…
Pourquoi ce projet est-il si malin – en plus d’être si intelligemment pensé ? Parce qu’il sait rebondir en termes originaux et non-conformistes sur une inquiétude actuelle des collectionneurs. L’obsession du vintage témoigne surtout d’un immense besoin de réassurance. On se souviendra ici du théorème de Business Montres, selon lequel on ne veut plus acheter les montres d’aujourd’hui des marques d’hier, pour leur préférer les montres d’hier des marques d’aujourd’hui. C’est cette angoisse qui explique le refuge des amateurs de montres vers le vintage, les montres de collection et les productions rassurantes du passé, alors qu’ils boudent les créations contemporaines qui ne relèvent pas de la spéculation autour des « monnaies parallèles » que constituent certaines marques. C’est ce qui explique que les prix flambent aux enchères et qu’on voit y apparaître de nouvelles stars (Journe, Dufour, De Bethune, etc.) qui créent une véritable « bulle des indépendants »
Greubel Forsey, maison qui a toujours été à l’avant-garde de la création horlogère, ne pouvait pas simplement sacrifier aux codes du vintage, aux « hommages » passéistes et aux obsessions formelles d’un « héritage » que la manufacture entend honorer en regardant devant, et non dans le rétroviseur. Le programme « Renaissance d’une montre » est une réponse concrète, mais projetée vers le futur, à cette pulsion de réassurance en même temps qu’une quête de fidélisation des amateurs de la marque. Par-delà les modes et les tendance, les montres Greubel Forsey ne vieilliront plus : elles vont entrer dans une sorte d’éternité mécanique qui prendra d’autant plus de valeur qu’elles seront indéfiniment réactualisables. Abraham-Louis Breguet avait rêvé de montres « perpétuelles » dans l’entretien de l’énergie qui les animait : c’était les plus fameuses des premières montres automatiques. Dignes du meilleur de leurs grands ancêtres, Robert Greubel, Stephen Forsey et Antonio Calce viennent d’inventer des montres « perpétuelles » dans l’entretien de leur génie mécanique et de leur identité créative : cette option palingénésique est sans doute une pierre milliaire dans l’approche contemporaine de l’horlogerie…