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LES GROS MOTS DE L’HORLOGERIE #02 (accès libre)
Dès qu’on entend le mot « Breguet », tout le monde se met à pleurer…

Il aura fallu en faire pour qu’un mot comme « Breguet » devienne synonyme de misère, de déploration et de deuil horloger ! Dans la communauté de l’horlogerie, certains mots sont tabous ! D’autres sont lancés comme d’énormes grossièretés. Quelques-uns sonnent comme une insulte. Quand on est poli et bien élevé, c’est-à-dire docile comme un mouton de Panurge et gentiment résigné, on ne les emploie pas ! Manque de chance pour « les arracheurs de dents, les cafards, les charlatans, les prophètes » (chanson de Georges Brassens), nous adorons mettre les pieds dans le plat. Voici quelques bonnes pages de notre dictionnaire des gros mots de l’horlogerie….


Dès qu’il est question de montres, il se dessine comme une pornographie de la sémantique horlogère, des mots qui fâchent, des indécences qui choquent et des propos inconvenants qui composent un véritable dictionnaire des gros mots de l’horlogerie. Il appartient aux francs-tireurs de parler franc pour répondre à cet « horlogèrement correct » qui empèse les discours horlogers trop formatés. Il faut opposer une revigorante verdeur à la langue de bois des fatales « langues de boîte » managériales. 

La doxa bien-pensante de l’horlogerie affecte de prendre les marques pour ce qu’elles ne sont pas, ou du moins pour ce que le narratif officiel de leurs managers veut bien nous en dire. Prononcez aujourd’hui le nom de Breguet et vous verrez les mines navrées s’allonger, les nez pointer vers le sol, les regards se voiler et les mouchoirs sortir des poches : on tombe alors dans le B.a.-ba du rituel de déploration, avec un B comme Breguet et un A comme « Ah, quel malheur d’avoir de telles brêles pour diriger une telle marque ! » – le « ba » relevant, au choix du « bateau ivre »  ou du « bar du coin », mais, là, il serait méchant d’insister ! Pourtant, sur le papier, cette marque est magnifique. C’est même une des plus monumentales maisons du paysage horloger. Sauvée des eaux par un Nicolas Hayek tombé amoureux de son histoire autant que de ses histoires [le grand Abraham Louis Breguet, le tourbillon, Marie-Antoinette, la Type 20 et le reste], la manufacture Breguet a retrouvé sous son commandement une partie de l’immense prestige qui était le sien, sur une orbite qui devait l’amener un jiur ou l’autre à tutoyer des astres aussi prestigieux que Patek Philippe. Sans Nicolas Hayek Senior, on a éteint les lampions de la fête : « Quand le lion est mort, les chacals se disputent l’empire », nous expliquait déjà Michel Audiard dans ses Tontons flingueurs de 1963. Concernant les héritiers, il ajoutait : « On ne peut pas leur en demander plus qu’aux fils de Charlemagne ». Dont acte…

Qu’est-ce que Breguet aujourd’hui, sinon un immense gâchis ? Des pertes accumulées ou très mal camouflées, un chiffre d’affaires divisé par trois en moins de dix ans, un effondrement de la cote sur le marché de la collection [hormis pour quelques pièces historiques de très haut lignage], un abandon à peu près général de tout effort dans la R&D [on a ainsi renoncé au projet de super-complication mécanique en hommage à Nicolas Hayek], des collections figées dans le remâchage des icônes passées, le degré zéro de la créativité horlogère, des équipes démotivées et des détaillants traumatisés : quelle fantastique débâcle ! Autant le marché a pu globalement avancer d’au moins 60 % au cours de cette période, autant Breguet a dû reculer d’autant sous la férule de ses brillants managers. La maison menace ruine, mais, comme il n’existe pas de crime contre la culture horlogère, autant continuer à festoyer en se contentant d’un service minimum qui ne trompe plus personne. Le roi Breguet est nu, mais, comme dans Les habits neufs de l’empereur du conte d’Andersen (1837), les ministres et les courtisans feignent d’admirer les vêtements invisibles d’un empereur plus sot que nature : personne ne veut même plus écouter l’enfant qui ose dire que « le roi est nu » [après, ça ira mieux pour ce crétin d’empereur – mais y aura-t-il un après pour Breguet]

Donc, ô rage ! ô désespoir ! Voici Breguet devenu un gros motpour l’horlogerie contemporaine quand elle veut désigner un naufrage de marque ou la déconfiture d’une légende de la montre. Ni fleurs, ni couronnes pour Breguet ! Comme au cimetière, les regrets sont éternels, quoique les concurrents, plus hypocrites les uns que les autres, puissent se réjouir d’une telle débâcle [si d’autres maisons ont oublié de surperformer dans les années 2010, aucune n’a cependant poussé aussi loin et aussi obstinément la destruction de valeur]. Par bonheur, si le patrimoine de la marque et son musée ont cessé d’être enrichis [qui en comprend encore l’intérêt vital pour la marque ?], ils n’ont pas été pillés, ni dispersés ou, pire, dévoyés. Les piliers de base des collections restent pour l’instant intouchés : quand il n’y a plus de pilote dans l’avion, c’est parfois moins dangereux à court terme ! On peut cependant redouter le moment où le gros mot Breguet passera dans le langage courant comme substantif pour désigner – comme frigidaire, klaxon, durite ou mobylette – le démolissage méthodique d’une des plus belles histoires de l’horlogerie mécanique. Parlera-t-on, demain, d’une breguetisation de telle ou telle marque pour en décrire la défaillance ? Après tout, cette lexicalisation a déjà eu lieu chez les Russes, mais en mode positif, puisque breguet, qu’on prononce là-bas bréguette en roulant le « r » y désigne une belle montre de poche !

SOS manufacture en péril ! SOS mise en danger de la vie d’autrui ! SOS risque de submersion ! SOS abus de faiblesse ! SOS dérive sémantique ! On n’en peut plus de sonner le tocsin pendant que tout le monde y va de sa larme dans son mouchoir et se demande pourquoi le Swatch Group, qui pourrait encore tirer un petit milliard de cette pépite un peu défraîchie, ne la remet pas sur le marché pour affecter le produit de cette vente à ses marques les plus performantes. C’est un crève-cœur de voir une telle maison squattée par des écornifleurs et tombée dans une telle décrépitude : c’est aux écumeurs qu’on devrait réserver les gros mots, pas à la marque ! Comme toujours, on vous laisse réfléchir là-dessus…

LES GROS MOTS DE LA MONTRE (séquences précédentes) 

❑❑❑❑ #01 – OCCASION  : Ne parlez surtout pas d’« occasion » aux intégristes de la montre (Business Montres du 2 décembre)

 

Coordination éditoriale : Eyquem Pons


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