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THARROS (accès libre)
Finalement, c’est une idée très intelligente, cette joaillerie rétro-artistique !

Comme, en plus, les bijoux des collections Tharros sont à la fois créatifs, spectaculaires et accessibles, et comme la tendance des marques de mode est au retour des formes très expressives dans les accessoires joailliers, il faut s’intéresser de près à cette petite maison florentine…


Amato Carlo, joaillier par destin depuis une trentaine d’année (ci-dessous), a eu la bonne idée en regardant de plus près les tableaux du Moyen-Âge et de la Renaissance dans les musées italiens : que de beaux bijoux portés par les femmes comme par les hommes [y compris les ecclésiastiques, qui ne donnaient pas dans le minimalisme cruciforme], quel fantastique réservoir de formes, de couleurs et de styles, quelle magnifique source de légitimité pour réimaginer les arts de la parure personnelle. Les bijoux Tharros [c’est le nom d’un impressionnant site archéologique en Sardaigne : idéal pour une nouvelle joaillerie… archéologique !] s’inscrivent dans cette volonté de retrouver le plaisir de ces créations du passé, qu’elles nous viennent de la Renaissance et du Moyen-Âge, mais aussi des empires byzantins, de l’Antiquité grecque et romaine ou, plus près de nous, de l’ère victorienne, voire de l’Art déco : Tharros, c’est une immersion directe dans l’histoire de la joaillerie et des bijoux, avec la volonté d’inscrire chaque re-création contemporaine dans l’esprit des artistes qui les avaient imaginées à leur époque – on parle ici de Botticelli, de Michel-Ange ou de Raphaël tels qu’ils hantent les musées de Florence, mais aussi d’autres icônes des grands musées européens et de tout un courant décoratif qui a enrichi de pierres et d’ornements des coffrets, des livres, des miroirs, des masques ou même des cuirasses. Autant de motifs qui ont redonné naissance à des anneaux, des bracelets, des broches, des boucles d’oreille, des pendentifs ou des colliers…

Le retour de cette joaillerie volontairement un peu – beaucoup ! – hétéroclite et volontiers baroque dans la profusion de ses expressions n’est pas une nouveauté dans les beaux-arts de la bijouterie. Les racines historiques sont anciennes, en Europe comme dans le monde : elles avaient été seulement gommées ou estompées par l’émergence de la haute joaillerie contemporaine, plus sobre et plus soucieuse de mieux sélectionner et de mieux tailler les pierres pour mieux les mettre en valeur. Démarche louable, mais ce minimalisme pour capricieuses milliardaires gâché une partie du plaisir que constitue une expression joaillière sans doute moins raffinée, mais beaucoup plus démonstrative et suggestive. On s’ennuie avec le « style Vendôme », toujours un peu compassé, mais on se réjouit avec l’« esprit Tharros », jamais à court de volumes et de couleurs : il suffisait de remplacer les pierres précieuses par des pierres dures pour obtenir un effet comparable, la dorure de métaux moins nobles suffisant à créer l’effet recherché. Au début des années 1930, Gabrielle Chanel avait déjà compris les limites de cette « haute joaillerie » contemporaine, dont elle tenait à faire exploser les frontières artificielles en mariant diamants et verroteries ou vraies et fausses perles. C’était déjà de l’impressionnisme joaillier, avec l’idée sous-jacente de rendre ces parures plus accessibles – les accessoires de la mode Chanel fonctionnent encore sur le principe de ces chaînes, de ces sautoirs et de ces broches vigoureusement démonstratifs…

Il était logique que les créations culturellement éloquentes de l’atelier Tharros, aujourd’hui installé dans le Borgo Santi Apostoli, au cœur de la Florence médiévale, attirent l’attention des costumières du théâtre, du cinéma et des séries historiques de la télévision. Ces bijoux inspirés ou recréés à partir des tableaux du musée florentin de la Galerie des Offices [il semblerait que Tharros ait obtenu une forme d’exclusivité sur ces déclinaisons rétro-artistiques] se retrouvent ainsi dans de célèbres séries comme I Medici (série anglo-italienne), Carlos Emperador (RTVE espagnole, dont les bijoux dérivent directement de documents historiques) ou Isabel (série espagnole dédiée à Isabelle la Catholique). La re-création contemporaine de ces bijoux historiques reste assez fascinante, mais l’exploration archéologico-joaillière de Tharros se prolonge, en amont, jusqu’aux chevaliers de la Table ronde ou aux cuirasses romaines…

Ce qui est finalement sympathique, et probablement très bien pensé, c’est que cette joaillerie Tharros sait rester accessible en dépit de ses ambitions en termes de volume (les prix ne figurent pas sur le site Tharros, mais ils se situent autour d’une moyenne de 200 euros, selon les pierres utilisées et la difficulté des techniques de moulage ou de montage). Les grands couturiers florentins (Gucci, Valentino, usent et abusent de ce style pour leurs accessoires, mais Tharros ajoute à son offre une indéniable légitimité historique et artistique. On peut s’offrir, pour quelques dizaines d’euros, le même pendentif que Maddalena Strozzi Doni (un des plus fameux tableaux de Raphaël aux Offices : image en haut de la page) – exactement le même, hormis la qualification des pierres. Comme la plupart de ces bijoux anciens ont disparu pour être fondus, remontés ou retaillés, les créations de Tharros sont d’une légitimité parfaite, tant sur le plan historique que sur le plan artistique.

Si on veut bien résumer, on travaille ici sur différentes lignes harmoniques des tendances sociétales contemporaines : une obligation de créativité [on recrée ce qui a disparu, avec une forme de garantie artistique], un souci de légitimité ancré dans l’histoire et de réassurance par un passé idéalisé [on oublie vite sur quelle violence rapace reposait la joaillerie ainsi affichée comme symbole de puissance], une exigence de racontabilité, puisque chaque bijou doit pouvoir raconter une histoire et témoigner d’une certaine distinction dans son choix et son affichage [storytelling obligatoire : c’est l’aspect ludique et festif] et, pour finir, une demande d’accessibilité dans le prix – on n’est plus dans l’impératif patrimonial, mais dans le principe de plaisir. Chez Tharros, Amato Carlo a compris quelque chose qui échappe encore à trop de joailliers concurrents – et on vous garantit que ce condottière de la joaillerie est un homme de convictions, qui n’a pas peur de les exprimer (ci-dessous, l’affiche qu’il vient d’apposer sur la porte de son atelier)…


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