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WONDER WEEK 2023 #10
On garde, on questionne, on oublie : le vrai bilan de cette session horlogère de printemps

Dernier épisode de notre série sur la Wonder Week et bilan définitif de ce qu’il faudrait retenir comme de ce qu’il faudrait rejeter de cette sympathique semaine horlogère sur les bords du lac. Ceci dans la logique du Sniper en patrouille dans les multiples allées de la Wonder Week…


▶︎▶︎▶︎▶︎ À GARDER (1) – LE PRINCIPE DU RENDEZ-VOUS GENEVOIS : c’est acté, pas encore consolidé, mais presque définitivement institutionnalisé. C’est donc à Genève que ça se passe, pour les montres, en début d’année, et c’est un événement pluriel, multipolaire, inclusif et ouvert sur toute la communauté des amateurs [donc pas exclusivement professionnel]. Même le groupe MCH (ex-propriétaire de Baselworld) a sa place sur les bords du lac, où on manque précisément d’entrepreneurs compétents pour imaginer de nouveaux concepts…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À GARDER (2) – LA VOLONTÉ D’ÉLARGIR CE RENDEZ-VOUS : on ne se bat plus ici pour Genève contre Bâle, mais pour toute la Suisse horlogère. Il est donc évident que toutes les marques ont vocation à participer à cette Wonder Week de Genève, qui n’a plus grand-chose à voir [hormis certaines dérives caporalistes] avec l’ancien SIHH qui était la chasse gardée du groupe Richemont. Il serait donc naturel de revoir quelque part sur les bords du lac, en carrés serrés ou en voltigeurs, les marques du Swatch Group et de tous les autres groupes occidentaux (Festina, Timex, Movado, etc.), en attendant de voir revenir groupes et marques des autres continents, quelle que soit leur taille ou leur positionnement. Genève peut accueillir sans problème plusieurs centaines d’exposants pendant une Wonder Week annuelle qui peut ensuite se décliner en Geneva Watch Days plus saisonniers…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À GARDER (3) – L’OUVERTURE AU GRAND PUBLIC : c’était une exigence des autorités genevoises et elle avait du bon. La fréquentation du week-end d’ouverture au « grand public » a été plus que satisfaisante, en quantité [on est quand même resté au-dessous de la jauge bâloise], mais surtout en qualité : même s’il y avait parmi les visiteurs de très nombreux invités venus des manufactures et de l’amont industriel, le public qui avait fait le déplacement était plutôt très intéressé et très motivé. Les marques qui ont choisi d’exposer en centre ville devraient prendre en compte cette dimension festive du week-end de clôture : c’est une magnifique occasion de rencontres à imaginer avec tous les amateurs…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À GARDER (4) – LA DISPERSION MULTI-POLAIRE : c’est un gage d’adaptativité, sinon de survie aux aléas climatiques de l’horlogerie. Les marques doivent se sentir libres d’exprimer leur identité par le style qu’elles donnent à leurs interventions pendant la Wonder Week,dans le centre de Genève comme à Palexpo ou ailleurs [la maison Bovet n’a eu qu’à se féliciter du choix de La Réserve, aux portes de Genève]. Chaque marque a des exigences différentes et réclame donc un traitement particulier, ce qui disqualifie à terme le traitement massificateur des grands salons caporalistes trop sévèrement normés. Entre le Jardin botanique sur la Rive droite et Genève Plage sur la Rive gauche, les espaces ne manquent pas : c’est plutôt l’imagination qui n’est pas toujours au rendez-vous ; À Palexpo même, il y a suffisamment de place sous les voûtes en béton pour organiser deux ou trois Watches & Wonders alternatifs et complémentaires…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À QUESTIONNER (1) – B2B OU B2C ? À force de ne pas vouloir trancher entre l’exclusivité purement professionnelle et l’inclusivité communautaire, la Wonder Week a du souci à se faire. Ce qui convient à des détaillants n’est pas adapté au grand public. On sait que les marques se détournent de plus en plus de la distribution traditionnelle [donc des détaillants qu’elles invitent sur les salons] au profit de nouvelles organisations commerciales – tout comme on sait que les amateurs, clients et collectionneurs, ne se satisfont plus de la communication surplombante, sinon arrogante, des marques. La formule bâtarde de Watches & Wonders, encore très marquée par l’héritage du SIHH, témoigne de cette ambigüité. C’était encore plus vrai à Time to Watches, dont le concept semblait ne pas avoir évolué depuis deux ou trois décennies. Entre l’animation populaire et la représentation commerciale, il va bien falloir choisir…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À QUESTIONNER (2) – UN RENDEZ-VOUS AFFINITAIRE : cinq jours pour les professionnels, deux jours pour la communauté des amateurs et des collectionneurs, c’est un progrès, mais on peut faire mieux dans une logique de cohésion affinitaire entre passionnés de montres – ceux qui les vendent comme ceux qui les achètent ou ceux qui les commentent. Le succès populaire de l’espace Rolex à Watches & Wonders doit faire réfléchir : si des milliers de personnes ont fait la queue devant les vitrines [sans vraie mise en scène des nouveautés] ou pour découvrir une exposition de montres vintage, c’est qu’il y a une demande de sens et de substance qui va très au-delà de la promotion commerciale et de la publicité. Les marques sont devenues des acteurs dans la cité et des repères socio-culturels de référence : elles fédèrent des passions, comme on pouvait le vérifier tout le week-end auprès des exposants du Carré des horlogers. Ce que trop peu d’autres espaces de Watches & Wonders semblaient ignorer ou mépriser…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À QUESTIONNER (3) – LA GOUVERNANCE DES SALONS : les démonstrations récentes de caporalisme hystérique ont lassé tout le monde, de même que les désactivations unilatérales d’accès qui ont prouvé aux marques qu’elles n’étaient pas libres d’inviter qui elles voulaient quand elles voulaient – ce qui est un comble au regard de la facture finale des opérations. Si de nouvelles marques sont attendues à Watches & Wonders, il faut cependant s’attendre à quelques exfiltrations, et non des moindres, du fait, précisément, de cette gouvernance autoritaire, tatillonne et arrogante. Il est étrange que les plus grandes marques se laissent ainsi marcher sur les pieds par un Politburo dont on ne perçoit pas la légitimité compte tenu de l’ouverture progressive du salon à un cercle de moins en moins restreint de marques : on est resté dans un pilotage centralisé de groupe (de type « soviétique »), alors qu’il faudrait évoluer vers une gouvernance plus démocratique et plus « parlementaire ». Pas sûr que les petits caporaux en tension permanente en soient conscients : le montage souple et léger, délocalisé et décentralisé, d’un événement comme les prochains Geneva Watch Days de septembre (40 marques annoncées) devraient les aider à réfléchir…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À QUESTIONNER (4) – LA DATE : si le prochain rendez-vous est fixé au 9 avril, on ne peut pas ne pas s’interroger sur la pertinence de cette charnière mars-avril, qui va perpétuellement se heurter aux fêtes de Pâques. Cette date ne correspond à aucun impératif professionnel : il serait préférable de prendre les commandes en début d’année [l’ancien positionnement du SIHH en janvier avait du bon]. Elle n’est pas non plus optimale pour la dimension récréative de la Wonder Week : le climat genevois est bien plus favorable en mai ou en juin…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À QUESTIONNER (5) – L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DES EXPOSANTS : si le Carré des horlogers fonctionnait à peu près correctement à Watches & Wonders, ce n’était pas le cas de La Place, dépôt improbable de marques reléguées là dans un certain désordre conceptuel. De même, on a mélangé les torchons et les serviettes à Time to Watches, dans un joyeux capharnaüm, sympathique mais déconcertant. Il est probable qu’on paye ici l’autoritarisme des animateurs de salons, qui ne font pas assez confiance à la capacité d’auto-organisation des marques et qui veulent trop les catégoriser pour ordonner leurs allées. Dans les palaces des bords du lac, la coexistence pacifique génère un ordre spontané qui arrange tout le monde, des plus opulents aux plus modestes, et des plus démonstratifs aux plus secrets…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À QUESTIONNER (6) – LA FÊTE « IN THE CITY » : quelle fête ? Il faudra peut-être admettre une bonne fois pour toute que le grand public genevois ordinaire n’est pas, en soi, très motivé par les montres, préoccupation qui reste cantonnée à une communauté d’amateurs. L’événement « In the City » a d’autant moins fonctionné qu’il était trop exclusif [puisque réservé aux seules marques de Watches & Wonders], alors que l’idée était d’en faire une « fête de l’horlogerie à Genève » – et non une « fête des marques ». Il faut impérativement ouvrir cet excellent concept « In the City » à toutes les marques horlogères intéressées – à peu près 160 étaient actives pendant la Wonder Week – et sans doute déplacer la date pendant le week-end de clôture et d’ouverture de Watches & Wonders au grand public : le jeudi, ce n’est qu’une manifestation de relations publiques parmi d’autres et c’est raté pour ce qui est de l’adhésion communautaire. Le samedi, tous en chœur, ce serait mieux : Time to Watches semble l’avoir compris avec le week-end de ventes sur place ouvertes même aux marques qui n’exposaient pas sur place…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À QUESTIONNER (7) – LA DÉRIVE HÔTELIÈRE : la tentation bâloise est fatale et quelques hôtels ont succombé à la tentation de l’inflation ponctuelle et de la location bloquée – même si l’ensemble des hôteliers de Genève ont eu un comportement plutôt correct. En termes d’accueil, la ressource genevoise (France voisine comprise) est plus abondante qu’à Bâle, ce qui devrait limiter les risques de pénurie, et donc les surenchères tarifaires. L’exemple du Beau-Rivage, qui accueillait pas loin de 25 marques prouve qu’on peut harmoniser hospitalité et qualité d’exposition…

▶︎▶︎▶︎▶︎ À QUESTIONNER (8) – LA SÉCURITÉ : on parle ici moins de celle des salons [attention aux excès sécuritaires intempestifs constatés cette année à Watches & Wonders, où le personnel mobilisé pour l’occasion était loin d’être à la hauteur] que celle des visiteurs dans le Grand Genève. Les autorités genevoises avaient fait un effort particulier, mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu d’incident majeur qu’il faut baisser la garde : quand autant de belles montres faciles à prendre et à revendre circulent sur quelques kilomètres carrés, on peut redouter le pire – en remerciant la providence que rien ne se soit pas encore produit [à certaines heures de pointe, les navettes des salons constituent de vrais coffres-forts nomades]

▶︎▶︎▶︎▶︎ ET, POUR FINIR, CLOCKS EN STOCK (le dessin du jour) : nous avons repris dans ce bloc-notes de la Wonder Week, la bonne vieille habitude du Sniper, celle du « dessin du jour », qu’on pourra retrouver dans notre page Instagram, qui compte déjà plus de 1 300 illustrations à base de comics détournés et de photos piratées. « Alors, c’est vous, le trop fameux “M. le blacklisteur”, le vrai Dalton de Palexpo ? C’est curieux, je vous aurais connu entre mille… » — « J’ose tout. C’est même à ça qu’on me reconnaît ! » Un dialogue qui aurait plu à un certain Michel Audiard, vous ne trouvez pas ? Chez les petits caporaux des grands raouts horlogers, les années passent, la qualité soviétique reste…


Coordination éditoriale : Eyquem Pons



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