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BREITLING
La charge héroïque de Georges Kern

Changement de majorité annoncé chez Breitling, mais sans changement dans l’esprit de création de valeur qui anime une des équipes indépendantes les plus performantes de la scène suisse…


Les faits sont simples et relativement limpides : le fonds d’investissements suisse Partners Group vient de prendre une participation majoritaire dans Breitling, après y être entré, avec une part minoritaire, à l’automne 2021. Le niveau de cette « majorité » n’est pas communiqué, mais il ne devrait pas être inférieur à 51-52 %, le fonds anglo-luxembourgeois CVC, qui avait racheté la totalité de Breitling au printemps 2017, conservant un quart du capital, le dernier quart se partageant de façon parfois infinitésimale entre l’équipe de Breitling (aux alentours de 20 %, dont un peu moins de 5 % pour Georges Kern) et différents investisseurs extérieurs. 

Les sommes mobilisées pour cette prise de participation majoritaire ne sont pas non plus publiées pour l’instant, mais, de source interne, on sait que cette prise de participation de Partners Group valorise l’entreprise aux alentours des 4,2 milliards de francs suisses – ce qui aura constitué une excellente affaire pour le fonds CVC, qui avait en deux fois la totalité du capital de Breitling pour environ 800 millions de francs suisses. La culbute financière est appréciable, mais le prix d’achat payé par Partners Group n’est pas déraisonnable : il correspond à un multiple cohérent et logique du chiffre d’affaires annuel (environ 900 millions de francs suisses, contre à peine 400 millions lors du rachat de Breitling par CVC) et à un multiple assez logique du taux de profit (environ 17 fois, ce qui correspond au standard pour une marque de luxe en pleine expansion)…

Ce qui est spectaculaire, ce ne sont pas ces anticipations financières de Partners Group, qui a payé un prix conséquent, mais qui aura largement l’occasion de se refaire lors de la mise sur le marché de Breitling, programmée pour 2026-2027, mais l’extraordinaire opération financière réalisée par Georges Kern (ci-dessus : remerciements à Paris-Match pour l'image) et son équipe et leur trajectoire collective depuis cinq ans. Tout le monde revient de loin dans cette partie-là de l’échiquier : quand le fonds CVC avait acquis Breitling pour une somme qui semblait démesurée par rapport aux performances d’une marque déclinante, le dossier ne sentait pas la bonne affaire. Le coup de génie de CVC aura été d’aller chercher Georges Kern, qui dirigeait alors le groupe Richemont, pour en faire l’artisan de la renaissance de Breitling. Ça, c’était gonflé comme manœuvre, mais les banquiers savent parler aux hommes d’affaires et, dans les cercles feutrés de la haute banque zurichoise, les initiés savaient que le fruit Georges Kern était mûr pour de nouvelles aventures – ne serait-ce que parce qu’il concentrait tous les coups portés contre la direction de Richemont, sans avoir le vrai pouvoir de les parer…

La prise de commandement de Georges Kern chez Breitling a été la « bombe » médiatique de l’été 2017 (c’était une révélation Business Montres du du 14 juillet 2017, confirmée quelques heures plus tard par les autres médias du système : Business Montres du 14 juillet 2017). Dès lors, comme l’écrivait Victor Hugo, « l’espoir changea de camp, le combat changea d’âme » (Les Châtiments, 1853). Après une première année perdue à patauger sur des chemins de hasard, Georges Kern a trouvé la bonne boussole pour Breitling et il a entrepris, dès la fin 2018, de refaire à la marque « sa splendeur, sa gloire et son renom » (chanson parachutiste). On a donc vu, au fil des excellents tactiques et des bonnes définitions stratégiques, le chiffre d’affaires de la marque exploser [très peu de marques de taille comparable ont ainsi plus que doublé le leur en quatre ans] et les profitd se multiplier encore plus vite. Breitling ne devrait plus être très loin d’accéder au club très fermé des marques suisses « milliardaires » (actuellement, dans un ordre non consensuel pour 2022 : Rolex, Omega, Cartier, Audemars Piguet, Patek Philippe, Longines et, de justesse, Richard Mille – voir le rapport annuel de Morgan Stanley/Luxe Consult). 

Nous n’aurons pas la perversité de nous souvenir du temps où Breitling ne faisait que la moitié du chiffre d’affaires de ses concurrents d’IWC et les deux-tiers de celui de Jaeger-Lecoultre. Lesquels concurrents directs sont désormais largement dépassés (estimation Business Montres pour 2022 : 750 millions tout juste pour IWC et à peine 650 millions pour Jaeger-LeCoultre), voire presque déjà talonnés pour l’autre marque surperformante de ce segment du marché : Tudor [on rigolera au passage de nos chers confrères qui voyaient déjà IWC au milliard en 2022 : il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages – c’est de Michel Audiard !]. Cette inversion des tendances est parfaitement explicable : quand on fait du tout-à-la-Chine et que le marché chinois prend une claque, l’activité horlogère prend une méchante gifle – rappelons que Breitling ne réalise que moins de 5 % de son activité en Chine ! Ne soyons pas non plus cruels en rappelant que Richemont a vu les profits de son horlogerie s’effondrer à 132 millions (chiffres 2021), alors que, cette année, Breitling devrait engranger à peu près 250 millions de profits en 2022 – deux fois plus que toutes les marques horlogères de Richemont réunies !

La charge héroïque de Georges Kern et de son équipe restera comme une des plus belles chevauchées de la dernière décennie. Elle tient en grande partie au charisme managérial de Georges Kern, mais aussi à la motivation de son équipe. Tout le monde a pris des risques financiers personnels en misant sur Breitling, alors que c’était tout sauf évident. Tout vient encore d’être réinvesti, avec des engagements sur les cinq ans à venir, jusqu’à la mise sur le marché. Ce sont les 20 % contrôlés par une trentaine ou une quarantaine d’équipiers, dont Georges Kern, qui vont « tourner la boîte » parce qu’ils en sont l’âme et la colonne vertébrale. Certes, cet investissement collectif a quasiment quadruplé en quatre ou cinq ans : si Georges Kern s’était endetté, comme nous l’avions écrit à l’époque, pour une trentaine de millions, histoire de monter à 4 % à 5 % du capital, il pourrait aujourd’hui sortir avec 140 ou 150 millions, mais il a réinvesti ce coup financier, tout comme les membres de son équipe. Non seulement la continuité managériale est garantie [on ne change pas une équipe qui gagne !], mais cette équipe est encore plus motivée pour arriver dans la meilleure forme possible au futur IPO (introduction en Bourse). À quelle hauteur feront-ils leur culbute en 2026-2027 ? C’est vertigineux !

C’est là qu’on perçoit la différence de motivation qui peut exister entre les directions de marques d’un groupe coté et les directions indépendantes : ces dernières peuvent intéresser leurs managers et leurs équipes au capital de l’entreprise, alors que les premières se contentent de bonus. Aussi grassement payés et primés soient-ils, aucun des « horlogers » de haut niveau du groupe Richemont [ou des autres groupes de luxe] n’aurait pu réaliser la fabuleuse création de valeur opérée par les équipiers de Georges Kern : on en déduira que c’est la création de valeur qui crée la création de valeur – ce qui n’est après tout que la règle d’airain d’un capitalisme entrepreneurial bien compris [sachant qu’un groupe comme Richemont est de surcroît piloté par la création de valeur pour l’actionnaire, pas pour les marques !].

Alors, oui, c’est bien une charge héroïque à la hussarde, une façon de forcer le destin sabre entre les dents, rênes au poing, étrier contre étrier, avec un esprit d’équipe qui tranche sur le machiavélisme des complots d’état-major où tant d’excellents éléments perdent leur énergie et leur intelligence dans le dédale des grands groupes. Alors, oui, vive l’indépendance et que le meilleur gagne : des marques comme Breitling font aujourd’hui avancer l’horlogerie parce qu’elles savent encore faire rêver, non seulement leurs clients, mais aussi leurs équipes. Pourrait-on en dire autant de la charge des bourriques qu’on découvre ailleurs – on vous laisse trouver les noms…

 

Coordination éditoriale : Eyquem Pons



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