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TIEMPO DE RELOJES (accès libre)
« La drôle de page Instagram mise en scène par Business Montres »

L’excellent magazine horloger « Tiempo de Relojes » (Mexique) nous a récemment posé quelques questions sur l’histoire de « Business Montres », les raisons de la création d’un tel média, nos méthodes de travail – en particulier sur Instagram – et notre vision des perspectives actuelles de l’horlogerie. Voici les réponses qui ont inspiré l’article signé par Andrés Moreno (c’est lui qui a choisi les illustrations – la peinture est de l’artiste français Olivier Carré)…


❑❑❑❑ TEXTE ORIGINAL DE L’ENTRETIEN  : extrait de Tiempo de Relojes (#115, Otoño 2020) – traduction libre : Business Montres du 21 novembre.

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : La genèse de Business Montres ? Rien de plus sérieux à faire que du journalisme horloger ?

Business Montres (Grégory Pons) : « En sortant de l’école de journalisme après des études de sciences politiques à Paris, j’ai pu faire quelques reportages de guerre, mais la planète était alors beaucoup plus en paix qu’aujourd’hui, donc les conflits étaient plus rares. Le marché de ces reportages virils était encombré par les « anciens » du Vietnam et les vétérans des guerres coloniales françaises. J’ai ensuite intégré le service politique du Figaro, avant de m’occuper de journalisme culturel (y compris dans la bande dessinée, par exemple au magazine Métal Hurlant), puis de journalisme économique et même sociétal, dans de nombreux médias écrits et parlés. Quoique passionné de montres, je ne me suis spécialisé que très tard dans ce domaine (à la fin des années 1990), quand il m’a semblé qu’il était nécessaire de créer des nouveaux médias horlogers pour le nouveau marché des montres qui se dessinait : j’ai créé ou aidé à la création de nombreux “suppléments montres” et de pages horlogères pour beaucoup de médias français et internationaux. Quand j’ai compris que les publicitaires (l’argent) l’emportaient toujours sur les journalistes, j’ai créé mon propre média – Business Montres : 0 % publicité, 100 % liberté – pour pouvoir continuer à faire mon métier de journaliste en toute indépendance et avec la même passion. Je ne fais pas de différence de nature entre les différentes formes de journalisme (reportages de guerre, coulisses de la politique, actualité horlogère, etc.) : c’est une question de circonstances, de hasard et, dans mon cas, d’âge. Le tout est d’être toujours au cœur de l’actualité, au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes informations. Ceci dit, fréquenter les salons horlogers est tout de même moins dangereux que la fréquentation des premières lignes avec les forces spéciales en Irak ou au Mali »…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Comment peut-on être et rester un journaliste indépendant dans l’horlogerie ?

Business Montres (Grégory Pons) : « Même s’il m’est arrivé de m’intégrer par la suite dans telle ou telle rédaction, j’ai opté pour l’indépendance éditoriale dès le milieu des années 1980. J’ai toujours été convaincu que le modèle économique de la presse écrite [c’était ma formation d’origine] était vicié par sa dépendance publicitaire, qui consiste à vendre un média à ses annonceurs plutôt qu’à ses lecteurs. Dès que j’ai compris, au début des années 2000, qu’il y avait quelque chose de pourri dans le monde de l’information horlogère [c’était au moment où les grands groupes de luxe mettaient l’horlogerie en coupe réglée], j’ai constaté que la dépendance publicitaire ne ferait qu’augmenter et que ce tout-à-la-pub était un danger mortel. Je n’avais plus d’autre choix que de créer un média horloger indépendant (à l’époque sous la forme d’une newsletter bimensuelle imprimée).

Je n’ai pu aller au bout de mes convictions indépendantistes qu’en 2004, avec le lancement de Business Montres. Tout le monde – confrères, concurrents et marques – m’a bien entendu déconseillé de le faire, en me prédisant au mieux six mois de survie. Les lecteurs de la communauté horlogère ont démontré qu’ils avaient plus d’intelligence que leurs élites : leurs abonnements (à l’époque, ça coûtait 700 euros !) m’ont permis de survivre. Je suis ensuite passé en version numérique et je reste, à ce jour, le seul média horloger de cette planète à faire payer ses contenus éditoriaux. Je me demande bien pourquoi personne ne tente une telle aventure : mes chers confrères, qui préfèrent me dénigrer sans rien tenter d’original ou de personnel, auraient-ils peur que personne n’accepte de payer pour leurs indigents copiés-collés ? La liberté est le bien le plus précieux, le seul qui compte vraiment pour tout être humain. On doit parfois sacrifier beaucoup à cette absence de chaîne à la patte et de laisse autour du cou, mais c’est un plaisir quotidiennement renouvelé de pouvoir se regarder dans sa glace, le matin, en se disant qu’une nouvelle journée de plaisir et de passion partagée commence, sans annonceur à respecter, sans supérieur hiérarchique à encenser, sans cheffaillons concurrents à surveiller et sans subordonnés à brimer. C’est cette posture – je n’ai jamais caché mes convictions – qui a pu me faire traiter de « conservateur anarchiste », un peu comme l’“anarque” dont parle Ernst Jünger. J’assume ! »…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Quelle est la situation actuelle du journalisme horloger ?

Business Montres (Grégory Pons) : « Ah bon, ça existe, le journalisme horloger ? Non, je plaisante, mais nous sommes très peu de « vrais » journalistes spécialisés, qu’on parle des confrères de la presse écrite, des médias numériques ou des blogueurs. Dans l’espace francophone, une quinzaine ou une vingtaine, pas plus, dont un nombre croissant de filles, ce qui me réjouit parce que ce sont souvent d’excellentes professionnelles en plus d’être de bien jolies personnes. Dans la sphère anglophone, on doit arriver à la même proportion de 10 % de “journalistes” (ou assimilés) un peu sérieux sur le troupeau de ceux qui se font accréditer dans les salons officiels. Côté hispanophone, je connais moins bien, mais je tiens un média comme Tiempo de Relojes et un copain comme Carlos Alonso pour particulièrement respectables. Je crains malheureusement que la crise horlogère, telle qu’elle a pu être révélée, amplifiée et développée par la crise sanitaire – ne provoque une hécatombe online et offline. Survivront ceux qui ont vraiment quelque chose à dire et qui sauront le dire, sur du papier imprimé [cette forme de presse est à réinventer, mais elle a beaucoup d’avenir] ou dans des médias numériques qu’il faut également réinventer »…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Les managers horlogers : amis ou ennemis ?

Business Montres (Grégory Pons) : « S’il faut respecter les marques, rien ne nous oblige à respecter les incapables qui, trop souvent, s’en occupent pour les conduire dans le mur ! Si les marques sont en soi de passionnants objets d’étude, nés d’une histoire complexe, de coups de génie et de crises habilement surmontées, l’histoire récente nous apprend que des erreurs dans le choix des managers peuvent conduire à la catastrophe. C’est vrai pour les petites comme pour les plus grandes marques. Critiquer vivement un CEO n’est pas s’en prendre à sa marque, c’est seulement dénoncer la malfaisance d’un crétin qui met en péril toutes ses équipes et qui naufrage plusieurs décennies de tradition. Comme je ne voudrais pas vous fâcher avec vos annonceurs, je ne citerai personne, mais certains effondrements récents sont ahurissants, à tous les niveaux de la pyramide des marques. Et, symétriquement, certaines renaissances sont tout aussi spectaculaires et dignes d’admiration.

J’avoue que je ne comprends pas la notion d’“ami de la marque” dont les CEO affublent certains journalistes : nous sommes des amis de la réalité (réjouissante ou affligeante selon les cas), pas des chiens de garde ou de gentils caniches bien obéissants qu’on récompense avec un susucre, une voyage en première et quelques nuits dans un palace. Pointer du doigt une faute stratégique, une erreur managériale ou le plantage d’une collection ne doit pas faire de vous un “ennemi de la marque”, mais une sentinelle vigilante au service de l’intérêt général de la communauté des montres »…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Les managers horlogers : tous des menteurs ?

Business Montres (Grégory Pons) : « Le problème est que, trop souvent, ils ne disent la vérité que quand ils sont sûrs qu’on ne le répètera pas (“C’est du triple off”) et que, le reste du temps, ils disent n’importe quoi tellement ils sont sûrs que les médias perroquets goberont tout sans sourciller et répèteront tout sans le moindre recul critique. C’est pour cette raison que je ne pratique quasiment jamais l’interview “officielle” dans les chroniques de Business Montres : je préfère parler en tout franchise et en toute confidentialité avec le patron de la marque, me faire ma propre idée de la situation et en parler à mes lecteurs, en prenant en compte le point de vue de la marque, mais sans avoir besoin de citer le CEO ou de recopier son communiqué officiel. Ce qui est important, c’est la mise en perspective de l’actualité, son décodage et la compréhension qu’on en donne : l’interview officielle relève le plus souvent de la fake news et elle ne sert généralement qu’à mettre en avant un CEO dont on suppose qu’il vous donnera en retour au média quelques friandises publicitaires »…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Un « sniper » peut-il rester longtemps indépendant ?

Business Montres (Grégory Pons) : « Chacun est libre de devenir « sniper » et d’évoluer dans le paysage horloger en toute liberté (beaucoup de jeunes journalistes en rêvent), mais c’est un contrat de confiance avec les lecteurs qui acceptent de payer pour les contenus dont ils profitent. Pour rester pertinent, il faut se tromper un peu moins que les autres et un peu moins souvent que les autres : depuis quinze ans, c’est un peu le cas de Business Montres, qui a souvent anticipé les évolutions de l’horlogerie, dénoncé ce qui n’allait pas et encouragé ce qui allait dans le bon sens. Quand on s’égare, il faut l’avouer et revenir sur une position plus juste : la liberté d’informer est aussi la liberté de se tromper. Le tout est de se planter moins et moins souvent que les autres.

Il faut aussi oser « sortir » une information qui dérange et quitter sa zone de confort : ça aide à l’émergence finale de la vérité ! On ne dégomme pas par jeu ou par plaisir sadique la DRH du groupe Richemont : on met simplement en évidence le scandale qui consistait à la voir s’octroyer 80 % d’augmentation de sa propre rémunération au moment où elle faisait supprimer les bonus de tous les employés du groupe ! Toute information est un combat : tout bonne information est un atout au service des managers les plus performants. Business Montres est pour eux une sorte de sémaphore dont ils aiment – ou non, selon les cas – les coups de projecteur qui éclairent leur route et qui les aide à mieux comprendre l’actualité. Gagner de l’argent en ne se vendant ses informations qu’à ses lecteurs ? L’argent serait-il donc une motivation et une vraie raison de vivre ? Ça aide, mais ça ne saurait en rien se substituer au plaisir quotidien de travailler pour sa passion »…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Des médias horlogers que vous recommanderiez ?

Business Montres (Grégory Pons) : « Je suis toujours prêt à m’enthousiasmer pour des initiatives originales. Ainsi, en Suisse, la reparution du magazine Watch Around, sous une forme papier à l’ancienne (grand format) avec très peu de publicité, m’a paru se poser comme une initiative digne d’être saluée. Toujours en Suisse, un analyste blogueur comme Olivier R. Müller (blog Le Sablier, dans Le Temps) apporte un regard neuf et pertinent sur l’actualité de l’horlogerie. Le travail éditorial d’un blog bilingue (français-anglais) payant comme Miss Tweed, cependant plus orienté vers le luxe et la mode que l’horlogerie, est à la fois original et passionnant à suivre. Le travail d’un SJX en Asie témoigne d’une trajectoire de plus en plus indépendante vis-à-vis de la communication officielle des marques. On ne va pas tous les citer, mais on peut retenir notre précédente évaluation critique : il ne faudrait faire confiance qu’à 10 % des médias accrédités dans les grands salons horlogers. Le reste, c’est du vent, de la déférence intéressée, de la servilité marchande et de la génuflexion mercenaire devant les puissants de ce monde…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Est-ce que vous ne préférez pas parler d’horlogerie plutôt que de montres ?

Business Montres (Grégory Pons) : « Mais je parle de tout ! Des hommes, des marques, des montres et des événements du calendrier horloger ! Chaque année, Busines Montres présente à peu près 600 à 650 nouveautés horlogères : nous publions la statistique en fin d’année – qui en fait autant ? Tous les mois, notre Baromontres présente les grandes tendances de la météorologie horlogère, qu’on parle des CEO, des salons, des groupes ou de l’air du temps. Tout le monde connaît la passion que je mets à faire découvrir des nouvelles marques : certaines de celles dont nous avons assuré le baptême médiatique sont devenus célèbres ! Bon nombre de nos combats ont marqué la culture horlogère : par exemple, entre 2012 et 2015, dans un grand moment de solitude médiatique, nous n’avons pas cessé d’alerter le monde horloger sur le danger de ces smartwatches dont les Suisses rigolaient. Maintenant qu’Apple vend tous les ans deux fois plus de montres que toutes les marques suisses réunies, ça rigole moins ! Cela signifie que l’Apple Watch occupe deux fois plus de poignets, et c’est grave pour l’avenir des montres suisses. Disons que rien de ce qui touche à l’horlogerie, que ce soit central ou périphérique, ne nous est étranger »…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Alors, ce compte horloger Instagram sans la moindre montre ?

Business Montres (Grégory Pons) : « Je suis ébloui par le courage et l’abnégation des copains qui postent inlassablement, à longueur d’année, les mêmes images de montres et les mêmes wristshots que des milliers d’autres comptes Instagram. Moi, ça me donne le vertige ! Puisque Instagram est devenu un média social de masse, comment y trouver sa place avec un minimum d’originalité ? J’ai donc renoncé à poster des photos de poignet poilus et de montres plus ou moins rares. J’ai le privilège de passer à mon poignet des merveilles comme des montres qui font des records aux enchères ou des pièces uniques que personne ne voit parce qu’elles quittent la manufacture directement pour le poignet de l’acheteur : il me semblerait indécent d’étaler cette chance qui m’est donnée – j’ai passé l’âge de faire le beau pour plaire aux autres ! Les blogueurs perroquets et les influenceurs stipendiés se chargent bien assez de la propagande pour les marques ! C’est pour cette raison que mon compte Instagram ne présente que des images détournés, issues de l’univers des comics, de la pop culture et des grands mythes contemporains : au moins c’est joli à regarder et c’est apprécié par plusieurs milliers d’abonnés… Je crois que l’ouverture du compte remonte à 2016, à vrai dire parce qu’il fallait bien avoir un compte Instagram. Je dois avouer que, si je poste une grosse douzaine de dessins par semaine, je ne fréquente que très peu ce média social, et à peu près uniquement quand il s’agit d’y poster moi-même : je ne suis pas un grand adepte du « coup de cœur », ni du commentaire ! Mes copains CEO me jurent qu’Instagram est un média qui fait vendre des montres : j’ai des doutes. Mes copains instagrammeurs me jurent que c’est excellent pour leur surface éditoriale : j’ai encore des doutes. Mes copines influenceuses considèrent que c’est un vecteur indispensable de notoriété et elles en prouvent l’efficacité avec des dizaines de milliers d’abonnés et de contacts à chaque post : j’ai toujours des doutes. De toute façon, un média social chasse l’autre : combien en avons-nous vu disparaître de notre horizon [qui se souvient de Second Life ?] et qui peut dire si Instagram ne sera pas démodé demain matin au profit de TikTok ou de toute autre diabolique invention numérique ?

Pour parler franchement, je n’ai guère de temps pour traîner sur les réseaux sociaux : quand je me connecte, j’ai une présélection de sites où j’aime bien jeter un œil (ceux de mes copines, de mes copains et de quelques maisons liées à la montre), mais c’est toujours pour constater que les contenus visuels sont le plus souvent monotones, lassants et répétitifs. Je dois avouer que je n’ai jamais eu de coup de cœur sur Instagram, même pour les sites qui s’annoncent disruptifs et fracassants – c’est vrai qu’on y trouve de informations en rupture avec la langue de bois des marques, mais ils sont généralement trop grossiers dans leur approche et ils ne tiennent pas très longtemps la distance. Le privilège de Business Montres, c’est d’avoir quinze ans de légitimité dans la pertinence des contenus comme dans l’impertinence de leur expression »…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Est-ce du néo-situationnisme numérique et est-ce bien sérieux ?

Business Montres (Grégory Pons) : « Gagné ! On est à la fois dans le situationnisme à la Guy Debord, parfois dans le surréalisme à la Breton, dans l’esprit soixante-huitard des affiches en sérigraphie, dans la veine de la propagande soviétique ou maoïste, dans le dynamitage artistique façon Andy Warhol, dans l’univers des sous-titres du cinéma, dans le graphisme urbain style Banksy ou Alec Monopoly, dans l’esprit de la bande dessinée (encore Métal hurlant !) et de la science-fiction vintage ou contemporaine, dans la tradition grinçante des comédies de la Grèce antique ou des soties du Moyen-Âge, dans la lignée corrosive des dessins de presse et de la culture anti-totalitaire sous les dictatures. Question de génération, sans doute, et d’humanités classiques (j’ai étudié le latin et le grec), avec un goût très vif pour les dissidences et les cultures populaires. Chaque dessin exprime un point de vue sur la vie des montres : chaque dessin est, en soi, un “article” ou un commentaire de texte, au moins une “entrée de lecture” et une invitation à en apprendre plus. Beaucoup de lecteurs regardent d’abord les dessins et lisent ensuite les articles. J’ai même retrouvé certains de ces dessins épinglés derrière le bureau de tel ou tel patron horloger !

On peut (on doit) être sérieux sans se prendre au sérieux ! Cette tradition satirique a des racines très anciennes, que certains pisse-vinaigres ne comprennent pas tellement ils se prennent eux-mêmes au sérieux. J’ai reçu des injonctions d’avocats pour des canulars de Premier Avril : mes poissons d’avril semblaient empoisonnés à certains. Tout cela peut parfois se terminer devant un tribunal, mais la perspective de me voir rendre compte à mes lecteurs de tel ou tel jugement dissuade généralement les mauvais coucheurs d’aller très loin. Disons que ça fait une procédure par an… Je dois cependant constater que les sensibilités sont de plus en plus à fleur de peau et que l’humour est de moins en moins bien compris. Le second degré ne passe plus du tout sur les réseaux sociaux, où “on ne peut plus rien dire” sans fâcher les vestales de la bienpensance. Les tensions interpersonnelles au sein de la communauté horlogère sont de plus en plus vives, on prend la mouche pour un rien et les censeurs sont de plus en plus vigilants…

Andrés Moreno (Tiempo de Relojes) : Avec tout ça, l’horlogerie classique peut-elle encore survivre ?

Business Montres (Grégory Pons) : « Mais bien sûr qu’on va survivre ! On a survécu à tout depuis quatre siècles. Les montres existaient déjà du temps des arbalètes et elles ont survécu au temps des arquebuses comme au temps des fusils à pierre, des mitrailleuses et des bombes à atomiques : elles survivront, demain, au temps des sabres-lasers. Les rois de la fin du Moyen-Âge collectionnaient les montres aussi fiévreusement que, de nos jours, les pétro-monarques arabes et les narco-trafiquants latinos. Nous avons connu les chevaux, les caravelles et les calèches, mais on a porté des montres-bracelets aux Vingt-Quatre Heures du Mans, sur la Lune et au fond des océans. Nous avons eu la chance de connaître, au cours des deux dernières décennies, un fabuleux âge d’or, avec un marché dont la taille mondialisée a été multipliée par cinq sans que nous puissions y être pour quelque chose. On regrettera tous, dans l’avenir, le temps béni où les Chinois achetaient n’importe quoi à n’importe quel prix : nous sommes à présent entrés dans un cycle de vaches maigres, qui va obliger tout le monde à se redimensionner (marques, équipes, manufactures, fournisseurs, réseaux, boutiques, etc.). Les périls sont extrêmes, qu’on parle du rush vers les montres connectées, du reflux de la mondialisation, du repli général sur des espaces économico-culturels autocentrés, des convulsions géopolitiques ou du dédain horloger affiché par les nouvelles générations. Le tout est à présent de survivre : un autre âge d’or reviendra, plus tard, personne ne peut dire quand, ni quel type de montre il sanctifiera – qui aurait pu prédire, en 1980, quand le quartz triomphait, que la montre mécanique finirait par l’emporter ? Je ne suis pas du tout pessimiste à propos de cet objet magique qu’est la montre personnelle, qui reste un fabuleux accessoire, porteur de sens et de significations multiples, capable de se régénérer au fil des époques et des cultures. Je suis en revanche pessimiste à propos de l’actuelle industrie des montres, dont les élites ont été aspirées par le côté obscur de la Force et faisandées par le culte du profit : il faut s’attendre à une fantastique destruction de valeur, tant du côté des marques que des emplois, mais c’est à ce prix qu’on recréera, demain, de la valeur autour d’une nouvelle génération de montres, de marques et de passionnés d’horlogerie…


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