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La montre qui a fait réécrire toute l’histoire des super-complications signées Patek Philippe

La culture horlogère, c'est une affaire de montres, mais c'est aussi un patient travail de recherches généalogiques. Pour Christie's, Aurel Bacs nous raconte la redécouverte d'une grande complication Patek Philippe, totalement inconnue, mais d'un immense intérêt mécanico-historique : quel est donc l’intérêt de la super-complication inconnue commandée par Stephen S. Palmer et combien d’autres montres à complications de ce M. Palmer nous reste-t-il à découvrir (reprise d’un article de mai 2013) ?


On connaissait la « Patek Philippe Packard »  (commandée à la manufacture par James Ward Packard) ou la « Patek Philippe Graves » (commandée par Henry Graves et livrée avec 24 complications en 1933) : deux montres à grandes complications considérées comme les premières réalisées par la marque – elles sont restées insurpassées en complexité jusqu'au Calibre 89 lancée en 1989 pour les 150 ans de la maison. On désigne généralement par « grande complication » une montre qui associe au moins trois des complications majeures (grande et petite sonnerie, répétition minutes, calendrier perpétuel, chronographe à rattrapante), subtilités mécaniques auparavant considérées comme les sommets dans l'art de faire des belles montres.

Voici pourtant que surgit de nulle part,  ou plutôt d'un coffre-fort où elle a été conservée pendant plus d'un siècle à l'abri de la lumière du jour, vraisemblablement sans avoir jamais été portée, et tout juste regardée, une montre de poche en or qu'on peut qualifier d'extraordinaire. Quand Aurel Bacs a pu la découvrir, elle était encore dans son écrin d'origine, avec ses « papiers » d'origine, qui ont permis de la « tracer » alors qu'elle était totalement inconnue de la manufacture, sinon par son numéro de série (n° 97912). Daté d'octobre 1900, son certificat d'origine aux armes de Patek Philippe Genève précise qu'il s'agit bien d'une montre en or à répétition minutes, grande et petite sonnerie, calendrier perpétuel avec phases de lune, chronographe à rattrapante. Une montre dont le fond est délicatement gravé d'un monogramme en trois initiales « SSP » que la facture originale permet d'expliquer : il s'agit de Stephen S. Palmer, un homme d'affaires américain qui se domiciliait alors à l'Hôtel Beau-Rivage de Genève et dont tout le monde avait oublié l'existence – sauf ses héritiers, qui ont retrouvé la montre dans un coffre-fort.

Voir débarquer sur le marché une grande complication  Patek Philippe inconnue n'arrive qu'une fois tous les quinze ou vingt ans. On s'interroge alors sur la provenance : si la montre est authentique, elle n'est répertoriée nulle part dans la littérature consacrée à la marque, où tout le monde ignorait son existence. D'autant que la montre est neuve de stock, avec sa notice d'utilisation d'origine (c'est le texte tapé à la machine, à gauche des documents, sur l'image en bas de la page) : Aurel Bacs précise dans la vidéo ci- dessous (en bas de la page) qu'il s'agit de la montre ancienne à complications la mieux conservée jamais examinée au cours de son parcours professionnel. Le mouvement est intact, avec ses deux trains de rouage (un pour les fonctions horlogères, avec un étonnant grand balancier bimétallique, un autre pour les fonctions sonores). Les mouvements de la « Patek Graves » ou de la « Patek Packard » ne sont guère différents de celui de la « Patek Palmer » : ils sont seulement postérieurs...

On s'interroge aussi sur la personnalité de cet amateur,  dont il apparaît qu'il était un de ces magnats de l'industrie américaine, entrepreneur à succès (banque, acier, métaux, chemins de fer, construction, etc.), un vrai « capitaliste » milliardaire et philanthrope comme l'étaient les grands et richissimes hommes d'affaires du nouveau continent à son époque. On s'interroge sur la date, certifiée par les documents d'époque : octobre 1900, c'est près de dix à vingt ans avant toute mention d'une grande complication connue chez Patek Philippe, manufacture genevoise de référence mondiale dans ce domaine. Cette « Patek Palmer » devient donc la première grande complication Patek Philippe de l'histoire de la marque, qui fêtera l'année prochaine son 175e anniversaire : comment imaginer cette pièce – qui passera sous le marteau d'Aurel Bacs le 11 juin prochain, à New York – ailleurs qu'au musée Patek Philippe, où Philippe Stern fera tout pour l'obtenir ?


À ceci près qu'il y a dans le monde quatre ou cinq amateurs qui pourraient être tentés par une montre aussi exceptionnelle : autant dire que l'estimation défensive de Christie's à 1 000 000-1 500 000 dollars sera largement explosée ! On ne voit pas comment on n'atteindrait pas un minimum de deux, trois, quatre, voire cinq fois l'estimation pour un lot qui a toutes les qualités de rigueur pour battre un record [la bonne marque, l'authenticité prouvée, la provenance prestigieuse, le caractère mécanique pionnier, la virginité absolue sur le marché, l'état de fraîcheur indéniable, les papiers d'origine, le bon auctioneer et tout le storytelling qui va autour – dont cet article]. Personne n'a encore vu la montre en Europe, mais on connaît deux ou trois collectionneurs prêts à se délester de leurs trésors pour ce Graal : il faut s'attendre à un buzz maximum dans les semaines qui viennent !

On savait que Henry Graves n'avait fait que suivre l'exemple  de James Ward Packard en commandant à Patek Philippe une montre super-compliquée. On ignorait que Packard n'avait fait que suivre l'exemple de Stephen S. Palmer, à ce jour le premier à avoir fait accepter à Patek Philippe – c'est dire le prestige dont bénéficiait déjà la marque ! – le défi de réaliser une montre de poche aussi compliquée. Le plus étonnant reste que cette montre, qui a dû être commandée plusieurs années avant sa livraison [donc, dans les années 1890], n'ait fait l'objet d'aucune publication et qu'elle n'ait laissé aucune trace, sinon, de façon assez peu détaillée, dans les livres de l'atelier Patek Philippe – qui ne sont pas accessibles au grand public et dont on se demande pour le coup s'ils ne cacheraient pas d'autres réalisations aussi extraordinaires que la montre « SSP ». Aurel Bacs a fait éplucher quatre décennies de ventes aux enchères pour vérifier que cette grande complication était bien inconnue et qu'aucune montre Patek Philippe marqué « SSP » n'avait été proposée au marché. Pourquoi ?

Un indice amusant :  en même temps que cette grande complication, Stephen S. Palmer s'est fait livrer, toujours à l'Hôtel Beau-Rivage (la facture en atteste), deux autres montres compliquées. Où sont-elles et quand réapparaîtront-elles sur le marché ? Mieux : cette facture précise que le milliardaire américain a échangé une autre montre compliquée Patek Philippe en contrepartie de son achat d'octobre 1900. C'est donc qu'il était connaisseur – et connu – de la maison, voire même collectionneur de la marque : on espère que le livre Patek Philippe du 175e anniversaire lui réservera quelques pages. Étrange M. Palmer, dont l'histoire horlogère n'avait pas retenu le nom ! Combien y a-t-il d'autres « M. Palmer » qui nous réservent de belles surprises pour réécrire l'histoire des complications mécaniques ? Combien de magnats américains de la fin du XIXe siècle ont bien pu commander d'autres Patek Philippe super-compliquées aujourd'hui toujours inconnues ?

Avant-hier, feuilletant un catalogue d'enchères  de la maison Auktionen Dr. Crott, Business Montres (8 mai) déplorait que les maisons genevoises abandonnent trop facilement à la maison d'enchères allemande le marché de l'horlogerie ancienne et de la culture des montres historiques. Christie's relève le défi et relance la mise, mais à New York, avec une vente qui s'annonce spectaculaire et qui gommera des mémoires les récents exploits new-yorkais de Sotheby's (la pendule Breguet du duc d'Orléans), en finissant peut-être par convaincre la famille royale du Qatar de ne pas remettre en vente la Patek Philippe Graves, saisie à Genève par Sotheby's pour cause de factures d'enchères impayées.

Il faut bien se convaincre que le moment choisi pour annoncer cette « découverte » de la Patek Philippe Palmer n'est sans doute pas du tout fortuit : ce sera même le premier coup de canon de la future « année Patek Philippe » (2014), qui verra la marque tirer un fantastique feu d'artifices pour célébrer son histoire, tandis que les maisons d'enchères auront à cœur de préparer des catalogues spéciaux – on parle même d'une inhabituelle vente thématique chez Christie's – qui seront à coup sûr gorgés de pièces exceptionnelles. Si la session de printemps 2013 s'annonce comme un épisode Rolex de transition, on ne parlera que de Patek Philippe en 2014...


••• L'ARTICLE DANS NOS ARCHIVES : Business Montres du 9 mai 2013 (lot n° 71 de la vente Christie’s New York du 11 juin 2013, cette montre a été adjugée pour 2,251 millions de francs suisses)


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