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WONDER WEEK GENÈVE 2018 #21 (accès libre)
La vraie histoire de la montre dont on a le plus parlé au SIHH, mais que personne n'a pu voir

La bombe #JesuisEdouard que constituait la Swiss Icons Watch était bien partie pour ébranler les colonnes du temple haut-horloger, mais à l'impossible, nul n'est tenu ! Reste maintenant à comprendre ce qui s'est passé et à découvrir qui a eu la peau de cette damnée Swiss Icons Watch…


Partie pour faire un buzz fracassant, la Swiss Icons Watch lancée à l’initiative d’Édouard Meylan par H. Moser & Cie. a disparu en quelques heures des écrans radar après une vigoureuse contre-attaque de l’Empire (explosion de la bombe : Business Montres du 11 janvier en début de matinée, rétractation des hérétiques : Business Montres du 11 janvier dans l’après-midi et sauve-qui-peut : Business Montres du 12 janvier). Il n’aura pas fallu plus d’une demi-journée pour balayer la petite base rebelle et assurer le triomphe des forces impériales : recherche humour, désespérément ! SOS #JesuisÉdouard…

Maintenant que le calme est revenu sur le front, il est temps de se repencher sur cette embuscade (ambush marketing au sens propre) qui a mal tourné, contrairement aux embuscades précédentes (« Swiss Alp Watch » en hommage à l’Apple Watch et « Swiss Mad Watch » en hommage au Swiss Made), histoire de comprendre ce qui s’est passé et pourquoi cette « Frankenwatch » a pu échapper à son créateur, comme la créature du Dr Frankenstein. Histoire aussi de répondre à la question que nous posions dès que H. Moser & Cie. commençait à faire machine arrière : « Quelle grande marque iconique a eu la peau de la Swiss Icons Watch ? » (Business Montres du 11 janvier). Parce que, bien sûr, il a fallu tordre très fort le bras d’Édouard Meylan pour qu’il avale son chapeau et qu’il retire la montre de la circulation – définitivement, paraît-il, mais est-ce bien si sûr ?

L’histoire commence en janvier de l’année dernière, à l’issue de la Wonder Week 2017, quand Édouard Meylan – qui se réjouissait du succès de la Swiss Mad Watch [celle qui était « en fromage »] sur les réseaux sociaux et dans les allées du SIHH – se demandait quelle embuscade il allait tendre en 2018. L’idée de se moquer des sacro-saintes « icônes horlogères » grâce à une montre parodique lui trottait dans la tête, histoire de défendre un message d’encouragement des grandes marques à la créativité [vertu cardinale qui avait permis de créer autrefois de telles icônes]. Le jeune CEO de H. Moser & Cie. avait jeté les grandes lignes d’un tel projet sur un bloc-notes : les membres de son équipe avaient adoré ces esquisses. Il ne restait plus qu’à dessiner la montre en créant une « Frankenwatch » bricolée à partir de tous les marqueurs identitaires de l’horlogerie [la version finale comptera une bonne douzaine de ces « citations », mais quelques experts en décomptent davantage]. Pour la fabrication d’une telle pièce unique, le parc machines de la manufacture suffisait, de même que le choix des mouvements s’avérait suffisant pour faire de la future Swiss Icons Watch une vraie pièce de haute horlogerie.

Cet été, l’idée est venue à l’équipe d’Édouard Meylan d’enrichir l’embuscade en créant, ex nihilo, un complément d’information sous la forme d’une vidéo qui mettait en scène, de façon tout aussi parodique et décalée, la faiblesse créative de l’horlogerie suisse en général. Un film dans l’esprit de celui qui avait mis tous les rieurs du côté de H. Moser & Cie lors du lancement de la Swiss Alp Watch. Objectif : se tenir prêts pour tout présenter pendant la Wonder Week, avec une fin de tournage pendant les vacances de Noël et un montage « à l’arrache » dans les premiers jours de janvier, avec une mise en ligne des images et de la vidéo quatre jours avant l’ouverture du SIHH – en annonçant une vente aux enchères ultérieure de cette Swiss Icons Watch. C’est là que ça s’est gâté…

Pendant les trois premières heures de la découverte de la montre, le concert des applaudissements qui crépitaient à propos de cette entreprise couvrait quasiment le bruit de fond des préparatifs de la Wonder Week. Puis, subtilement, de façon insinuante et subreptice, le ton a changé. C’est que le téléphone a bien fonctionné entre blogueurs de référence et quelques CEO très vexés de ne pas être considérés comme des « visionnaires » et ravalés au rang de « marketeurs » à la limite de l’honnêteté (voir la vidéo ci-dessous), tout juste soucieux de fréquenter des stars, d’embaucher des sportifs et de combler leurs lacunes créatives en débauchant des artistes. Tonalité de l’entretien : « Alors, comme ça, vous trouvez que nous sommes nuls, que nos traditions ne valent pas un pet de lapin, que les fêtes qui célèbrent nos anniversaires sont bidon et que nous faisons tout fabriquer hors de Suisse ? Alors, vous trouvez, comme Édouard Meylan, que les influenceurs dont vous faites partie sont des escrocs ? Alors, vous trouvez que nos montres sont trop chères ? Alors vous nous trouvez infréquentables ? »…

Les « influenceurs » en question et les stars des réseaux sociaux horlogers ont immédiatement compris le message et les louanges de l’initiative Swiss Icons Watch n’ont plus cessé de se rétrécir jusqu’à s’évanouir, quelques blogueurs retirant même les articles publiés dans la matinée et cessant de diffuser la vidéo accusatrice [qu’ils n’avaient manifestement pas comprise]. En fin de matinée, le climat s’était nettement refroidi. En début d’après-midi, H. Moser & Cie commençait à éliminer les images de la Swiss Icons Watch des réseaux sociaux de la marque et de sa chaîne YouTube. Il avait suffi de quelques heures pour que les forces de l’Empire parviennent à mater les alliés de la Rébellion. Que s’était-il passé exactement pour qu’Édouard Meylan soit contraint à une humiliante capitulation ? Il suffisait de voir sa tête de cancre pincé en flagrant délit sur la photo de la classe SIHH 2018 pour comprendre la portée de cette cuisante défaite : on l’y découvre (en bas de la page) isolé, la mine grave, le regard triste, comme en pénitence…

C’est que, pendant toute la matinée, une poignée de CEO du SIHH avaient fait le siège des grands médias de référence horlogère, avec de subtils chantages publicitaires à la clé, en même temps qu’ils faisaient monter la pression auprès de la direction du SIHH [qui avait plutôt rigolé de l’initiative d’Édouard Meylan] en demandant l’exclusion immédiate de H. Moser & Cie. du Carré des indépendants. Alors que quelques grands patrons horlogers envoyaient en privé des messages de soutien à Édouard Meylan [notamment Jean-Claude Biver, que la blague avait fait éclater de rire], d’autres – qui se prenaient personnellement très au sérieux – prenaient très au sérieux cet humour potache. Ils en faisaient même une sorte d’affaire personnelle, pour des raisons strictement personnelles…

••• Une célèbre marque de la vallée de Joux, très influente au sein du comité des exposants du SIHH, se sentant humiliée par le détournement de sa lunette octogonale, en faisait même une affaire « familiale », en imaginant on ne sait trop quel « complot » de la famille Meylan qui aurait dénigré avec cette Swiss Icons Watch la famille des actionnaires de la célèbre marque en question. Compliqué à suivre, mais très efficace pour ameuter quelques « suiveurs » contre la présence intolérable du « jeune provocateur » de H. Moser & Cie. au Carré des indépendants…

••• Se sentant directement visé par la marque « HMC Schaffausen » (en fait H. Moser & Cie à Schaffhouse, cité rhénane où la manufacture est installée), une autre marque du groupe Richemont ressentait avec d’autant plus de mortification cette « gifle » caricaturale qu’un des figurants de la vidéo ressemblait comme deux gouttes d’eau (image ci-dessous) à son propre CEO ! Coïncidence d’autant plus improbable qu’Edouard Meylan ne connaissait pas ce CEO, nommé en cours d’année. Rien de vaut une bonne vexation et un amour-propre égratigné pour exciter l’animosité des autres CEO du groupe Richemont, dont la première réaction avait été plutôt amusée…

••• Citons encore, en nous en tenant là, tel responsable horloger d’un grand groupe dont on avait « emprunté » sans permission un marqueur identitaire bien précis : ses arguments logiques et bien structurés [aucune marque ne peut s’approprier ainsi les codes stylistiques d’une autre, même à des fins parodiques] ne manquait pas non d’attiser le ressentiment de ceux qu’on traitait ainsi de « voleurs » et qui faisaient alors semblant de découvrir que le même Édouard Meylan n’avait pas un palmarès économique assez brillant pour se moquer ainsi de ses chers confrères [allusion gratuite à la piètre affaire Celsius X VI II, terminée sans gloire]

Bref, impossible pour la direction du SIHH de résister à la pression de quelques poids lourds, qui agitaient l’arme de l’exclusion de Palexpo pour obliger Édouard Meylan à démonter son embuscade, en tirant les leçons de ses propres fautes :

••• La montre en soi aurait été mieux comprise avec un message plus simple et sans doute moins polémique : les marques ainsi visées ont pris pour une insolente moquerie ce qui n’était qu’une compilation narquoise et finalement plutôt respectueuse de leurs codes identitaires…

••• Diffusé plus tard dans la saison, par exemple avant Baselworld, la vidéo aurait été plus efficace. Là, à quatre jours du SIHH, elle s’est révélée trop clairement et trop agressivement accusatrice, surtout en lien direct avec la montre et en identifiant ouvertement – même si c’était involontairement – les marques mises en cause. On a livré le message codé (la montre) avec la clé du code (la vidéo) : fatal ! Il suffisait de décoder la montre (en identifiant ses marqueurs iconiques) pour mettre un nom sur les mirobolants « marketeurs » et les « voleurs » stigmatisés dans la vidéo…

••• Seule et enrobée d’un message consistant, la montre aurait suffi à créer un choc. Seule, la vidéo aurait permis d’ouvrir le débat. En les rapprochant, on a créé la masse critique d’une déflagration qui a fait « péter » la bombe sous le nez d’Édouard Meylan, dont personne n’a plus pris la peine d’écouter le message profond : comme toujours dans cette société du spectacle et de l’émotion télécommandée, la passion l’a emporté sur la raison et on a renforcé le déni de réalité au lieu d’ouvrir le débat sur cette réalité de l’hypocréativité de la branche…

••• On peut également questionner la légitimité d’une marque qui se moque des autres marques, alors qu’elle fait partie du même panier de crabes que ceux qu’elle dénonce. Un abonné au marketing d’embuscade comme Édouard Meylan ne s’est-il pas pris les pieds dans le tapis de ses contradictions ? N’est pas le « fou du roi » qui s’auto-proclame ainsi ; n’est pas Business Montres qui veut : la satire est un privilège conquis par les médias, pas un terrain de jeu marginal des petites marques [surtout quand les petits joueurs sont indépendants, quoique dépendants des grands acteurs et des institutions du système]. Quand on tient pas le couteau par le manche, on évite les provocations, de même qu’on évite d’attaquer un blindé avec un ouvre-boîte…

Il est désormais évident que tout le monde attend Édouard Meylan au tournant : la prochaine opération d’ambush marketing de H. Moser & Cie. devra impérativement être tirée au cordeau pour ne s’attirer aucune vindicte. On déduira malheureusement de cet épisode que l’humour est une vertu dont la plupart des marques horlogères semblent dépourvues. #JesuisEdouard ? Merci, on a déjà donné…


À RELIRE

WONDER WEEK GENÈVE 2018

(les liens pour les dix premières séquences de cette série se trouvent dans l’épisode #20 ci-dessous)

❑❑❑❑ #20 : « Le meilleur chronographe du SIHH était sans doute celui de Girard-Perregaux, qui a osé la double taille » (Business Montres du 29 janvier)…


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