BYE BYE 2018 #10 (accès libre)
Le meilleur média horloger de l’année est une abomination rétrograde et impie
Les ânes qui commandent aux lions de la communauté horlogère avaient décrété, un peu vite et à marche forcée, l’entrée définitive de l’information horlogère dans le « cloud » du tout-numérique. Sauf que quelques irréductibles maintiennent la tradition d’une presse horlogère indépendante, traditionnelle et même réactionnaire, voire hérétique dans son approche de l’actualité. Qualificatifs qui justifient une entrée dans nos vingt séquences sur ce qu’il faudra oublier ou retenir de 2018…
Aux yeux des sectateurs du dogme numérique et des adeptes du tout-à-l’égo digital, il ne saurait plus y avoir de bon média horloger que sous forme numérique [plus d’images et de mots-dièse que de phrases, plus de paraphrases copiées-collées que de productions indépendantes], couplée, si possible, avec une petite boutique d’épicerie en ligne pour écouler des « séries limitées » ou des fausses mais très parallèles « bonnes affaires ». Il s’agit de toujours de « vendre » le média – oh, pardon, l’« écrin rédactionnel » – à ses annonceurs plutôt qu’à ses lecteurs. En version narcissique hyper-contemporaine, c’est l’infernale litanie des images inlassablement relayées par des blogueuses maquillées comme des camions volées et drapées dans des audiences tout aussi bidonnées. Calamiteux bilan de l’histoire récente de l’information horlogère, lost in translation entre la dictature du billet vert et le soft power de la pression publicitaire…
Heureusement, comme dans les aventures d’Astérix, il y a un village d’irréductibles Gaulois qui osent – quel scandale – afficher des convictions éditoriales radicalement divergentes et qui ont le culot de proposer un… journal ! Quelle impudence réactionnaire, voire même contre-révolutionnaire : un vrai journal, en vrai papier, avec de la vraie encre, dans un grand format qui se déplie en écartant les bras et qui ne déforestera jamais qu’un bout de jardin quand les « fermes » de serveurs numériques engloutissent quotidiennement l’énergie d’un pays africain en voie de développement. Chacun aura compris que nous parlons de Watch Around, titre horloger lancé autrefois (2007) comme un news magazine, ce qui lui avait fait perdre son âme, mais qui maintenait, volens nolens, la tradition éditoriale d’une originale production vernaculaire. Arraché au désastre annoncé par des mains plus jeunes et plus dynamiques, Watch Around a été relancé voici exactement un an [la nouvelle version du titre est donc un « perdreau de l’année 2018 »], sur une base mensuelle, sous un format traditionnel (beau papier, typographie élégante, priorité au texte mais belles images) et avec la volonté ferme de proposer des « contenus » professionnels dignes de ce nom, soigneusement cadrés par le savoir-faire des deux journalistes propriétaires-refondateurs qui se veulent artisans (Stéphane Gachet pour l’édition française, à gauche ci-dessus, et Pierre-André Schmitt pour la version alémanique, à droite). Il fallait bien un site Internet (Watch-around.swiss), ne serait-ce que pour sanctuariser les archives et peut-être, demain, recréer de l’information en ligne. Il fallait bien quelques annonceurs, aussi discrets que malins [c’est toujours plus chic de miser sur la qualité plutôt que l’esbroufe de quelques influenceurs influencés par la monétisation de leur escroquerie], donc on apprécie d’autant les pages qu’elles ne sont pas invasives. Il fallait bien aussi quelques lecteurs : ils sont au rendez-vous puisque Watch Around – média anti-perroquet s’il en est – a compris qu’il était plus intelligent de vendre un journal à ses lecteurs plutôt qu’à ses annonceurs. Watch Around ou le triomphe de l'artisanat journalistique sur le préformatage industriel des médias mainstream...
Le vrai plaisir d’un vrai journal, c’est qu’il se déguste lentement, sans la moindre modération, en retrouvant le goût de ces préliminaires qui ouvrent l’appétit : le froissement d’un papier bien blanc qui a de la main quand on déplie le journal, le geste ample du moissonneur d’informations qui ouvre grand les bras à l’intelligence éditoriale, les titres bien balancés, les « angles » journalistiques inhabituels au détour des pages, les colonnes épaisses et juteuses de mots alignés pour apporter du sens, un usage discret de la couleur et des éléments visuels [juste ce qu’il faut], la sobriété d’une maquette minimaliste tendance janséniste. De l’encre plutôt des pixels, des claques textuelles plutôt que des clics visuels ? C’est troublant, cette impression retrouvée d’être mieux informé et mieux pensant quand on a tourné une page qui vous a rendu plus clairvoyant après qu’avant sa lecture (exemple avec cet article étincelant sur MB&F : à télécharger ICI)…
BYE BYE 2018
Retrouvez nos précédents articles sur le bilan de l’année 2018, ses splendeurs et ses misères…
❑❑❑❑ #09 : Dans la haute horlogerie, la meilleure jeune marque de l’année voit double – et son créateur aussi (Business Montres du 15 décembre)
❑❑❑❑ #08 : Et le prix du meilleur espoir horloger de l’année est attribué à un… jeune et génial Français inconnu ! (Business Montres du 14 décembre)
❑❑❑❑ #07 : La meilleure néo-marque sociofinancée de l’année est une revenante qui va sur ses vingt-cinq ans (Business Montres du 13 décembre)
❑❑❑❑ #06 : Le CEO le plus « héroïque » de l’année ne s’est pas laissé mener à la baguette (Business Montres du 12 décembre)
❑❑❑❑ #05 : La marque de joaillerie de l’année est un hommage au dynamiteur de la colonne Vendôme : hasard ? (Business Montres du 11 décembre)
❑❑❑❑ #04 : Le livre de l’année, c’était l’alliance de la famille et du marteau (Business Montres du 10 décembre)
❑❑❑❑ #03 : L’anniversaire qu’on a oublié de fêter cette année, c’étaient les vingt-cinq ans du démontage d’une fake news (Business Montres du 8 décembre)
❑❑❑❑ #02 : Le naufrage de l’année, c’était à Baselworld sur les rives du Rhin (Business Montres du 7 décembre)
❑❑❑❑ #01 : Les dix nouveaux mots de l’année (Business Montres du 6 décembre)