WONDER WEEK 2017 #02 (accès libre)
Le petit manuel de survie genevoise à l'usage des amateurs de salons horlogers (seconde partie)
Les manufactures de montres invitent de plus en plus fréquemment leurs meilleurs clients et leurs collectionneurs dans des salons horlogers qui étaient autrefois purement professionnels. Le SIHH étant cette année, pour la première fois, ouvert au public, on peut imaginer que de nombreux « amis » des marques et des montres s’y presseront. Quelles sont les règles vitales de la survie en atmosphère horlo-saturée ? Un kit d’urgence proposé par « Business Montres »…
À RELIRE
••• Première partie de cet article sur la survie en atmosphère horlo-saturée (Business Montres du 8 janvier) : on y découvre où trouver la bonne carte des opérations, comment partir avec les bon équipements, pourquoi il faut apprendre à slalomer entre les buffets ou les précautions de langage à prendre…
••• SE MUNIR D’UN LOGICIEL DE DÉCONTAMINATION ANTI-BULLSHIT…
La Wonder Week est un éternuement collectif de messages parfois aberrants qui font de Genève, pendant quelques jours, la capitale internationale des contes et légendes de l’horlogerie : Bullshit City pour les initiés, avec la forteresse de Bullshit Castle édifiée par le SIHH aux portes de l’aéroport. L’indigestion de beaux discours menace vite les néophytes et c’est peut-être pour ça que les habitués noient leur mélancolie dans les bulles de champagne. N’allez pas croire que ça bullshite moins qu’avant grâce aux réseaux sociaux : au contraire, ceux-ci se livrant une absurde course à la publication immédiate [alors que tout le monde a ou aura sensiblement, à quelques heures près, les mêmes informations et les mêmes dossiers de presse], on ne voit plus circuler que les copiés-collés des communiqués officiels, avec les mêmes images complétées de hâtives et souvent pathétiques mises en scène des nouveautés au poignet. Cette pression et ce carpet bombing médiatique sont d’autant plus absurdes que les nouveautés en question ne seront pas en vitrine avant plusieurs semaines, sino, plusieurs mois. Difficile, dans ce torrent psittacoïde, de se faire une idée réaliste de la valeur intrinsèque des nouveautés présentées et de mettre ces pièces en perspective par rapport aux marchés et à la demande réelle des amateurs de montres. C’est pour cette raison que Business Montres préfère toujours faire le tri, raconter l’ambiance des salons (grands et petits) ou en dévoiler les coulisses, en se concentrant sur les plus fortes de ces nouvelles montres pour revenir ensuite sur les offres un peu plus secondaires. Une mise à distance du harcèlement des marques qui permet, précisément, de dégraisser les informations de leur gangue de bullshit…
••• APPRENDRE LES GESTES QUI SAUVENT…
Imaginons que vous réussissiez à pénétrer dans un espace d’exposition et à vous faire présenter une nouveauté intéressante ailleurs que dans une vitrine, comportez-vous en amateur « civilisé ». Considérez d’abord que, passés les trois premiers jours de salon, tout responsable produits est par nature à deux doigts du burn out : on ne peut pas humainement exiger d’un homme ou d’une femme de donner toute la journée les mêmes explications sur les mêmes pièces, de répondre toute la journée aux mêmes questions en y apportant les mêmes réponses et de passer ses nuits à parler de ces mêmes montres – dans différents dialectes mondialisés – avec les mêmes responsables produits des autres marques, surtout devant quelques alcools forts qui accélèrent les courts-circuits neuroniques. Ne vous saisissez pas des montres qu’on vous présente avant qu’elles ne soient dévoilées. Demandez par politesse les gants qui vous permettront de les manipuler sans les rayer. Ne faites pas de selfies de poignet sans autorisation [certaines montres peuvent être sous embargo visuel jusqu’à Bâle] et, quand vous avez l’autorisation, procédez rapidement sans vous prendre pour le David Hamilton de cette vénusté mécanique et faire vingt fois la même image. Évitez les commentaires oiseux, les réflexions somnolentes et les appréciations futiles (voir ci-dessous), mais n’assommez pas le malheureux présentateur avec votre connaissance byzantinesque de la marque et du produit : c’est un bon petit soldat de la machine à faire des montres, pas un puit de science horlogère. Remerciez-le, au contraire, de vous avoir accordé le privilège d’une présentation personnelle, mais ne lui promettez pas de le citer nommément dans votre blog : les marques ne veulent voir qu’une seule tête, la bobine du CEO !
••• ÉVITER DE POSER LES QUESTIONS QUI FÂCHENT…
Il n’existe pas encore de bon manuel de politesse horlogère, mais il faudrait en éditer un au plus vite pour actualiser les règles de bonne conduite dans les salons horlogers. Pour éviter une évacuation anticipée des espaces où les marques exposent et généralement se surexposent, attention aux questions qui dérangent et aux commentaires inopportuns. Si vous croisez Nicolas Baretski, le futur nouveau CEO de Montblanc (c’était une révélation Business Montres du 11 novembre, mais cela ne se fera qu’au premier avril, ce qui n’est pas un poisson), ne lui dites pas que ses nouveautés imitent en low cost celles des autres marques Richemont : ce n’est pas vrai et il ne va pas aimer. Ne demandez pas à Angelo Bonati (Panerai) si c’est vraiment son dernier SIHH : il le sait et ça l’énerve beaucoup ! Oubliez le mot de « kärcherisation » quand vous entrez dans le stand de Jaeger-LeCoultre [l’article de Business Montres cité ci-dessus y a laissé de mauvais souvenirs] : Daniel Riedo, l’actuel CEO, n’a pas besoin de vous pour être parfaitement conscient d’être assis sur un siège éjectable qui sera actionné avant l’été. À bord du bateau Zenith, évitez de demander à voir Aldo Magada : on vous répondra qu’il est parti fumer un cigare en terrasse, dans un improbable ailleurs. Pour info, Jean-Christophe Babin (Bvlgari) ne distribue plus de photos dédicacées de Carla Bruni. Ne réclamez pas non plus d’autographe à Maximilian Büsser : les signatures qu’il recherche, ce sont celles de ses distributeurs en bas d’un bon de commande. Au Carré des indépendants du SIHH, gardez-vous bien de demander à Manuel Emch en quoi RJ-Romain Jerome relève plus de la haute horlogerie que Franck Muller ou Manufacture royale : il ne l’a pas compris clairement lui-même. Tiens, à propos de Franck Muller, évitez de vous pointer à Watchland (la manufacture) pour voir les collections de l’année : le WPHH 2017 (Watch Presentation of Haute Horlogerie) se tient cette année au château du Grand Malagny (vrai château du XVIIIe siècle), à trois cents mètres de Watchland. Enfin, parce qu’on pourrait longtemps continuer la liste des tabous, comptez sur Business Montres pour poser toutes ces questions intempestives, et fiez-vous à nous pour vous rapporter les réponses.
••• PRENDRE LES CHEMINS DE TRAVERSE…
Si tout le monde peut cette année accéder au SIHH [il suffit d’acheter un ticket], combien d’amateurs auront le réflexe de visiter les espaces extérieurs à ce SIHH ? On parle ici des marques qui exposent sur un bateau ancré sur les quais (groupe LVMH), dans les palaces du bord du lac (Bvlgari, Bovet, Cabestan, Czapek, etc.), du côté de Genthod (groupe Franck Muller), pas très loin à Meyrin (Chopard, DeWitt, etc – voire, dans le genre très chic soirée ultra-privée, chez Roger Dubuis), à Plan-les-Ouates ou dans le centre-ville, sinon au Casino de Genève, tout près de l’aéroport, où se tient l’exposition SIWP avec plusieurs indépendants – SIWP pour Swiss Independent Watchmaking Pavilion [voir notre carte en bas de la page]. Si vous passez par le SIWP, demandez-y Vianney Halter : il a toujours une belle histoire à raconter et une jolie montre dans la poche ou au poignet. Ce serait dommage de se contenter des vingt maisons représentées au SIHH (pour s’y repérer, bien penser à l’application dédiée), quand quarante à cinquante autres marques organisent plus ou moins ostensiblement – certaines très modestement – un événement à Genève pendant la Wonder Week ! Pour un amateur, il est de toute façon impossible de tout voir : autant bien sélectionner ses cibles et prévoir un itinéraire logique pour aller de l’une à l’autre, tout en surveillant du coin de l’œil les réseaux sociaux qui tiennent tout le monde en alerte sur ce qu’il ne faudrait absolument pas manquer. Invité, pas invité : est-ce bien le problème ? Avec un peu d’entregent, on arrive à entrer partout. Bonne chasse !
••• DERNIER PRINCIPE DE SURVIE ÉLEMENTAIRE
PENDANT LA WONDER WEEK…
Ne jamais oublier que, même ouverts au grand public, pour des raisons qui relèvent plus de la cosmétique promotionnelle que d’un sincère souci de transparence [Baselworld étant ouvert au public, le SIHH ne pouvait pas faire moins, même sur un seul jour], ces salons restent fondamentalement des événements professionnels : la partie s’y joue à trois, entre les marques, les détaillants qui passent commande et les médias qui prennent commande du storytelling à répéter tous en chœur. Si vous n’êtes pas un « gros collectionneur » emmené ici par un « gros détaillant » ou si votre blog n’affiche pas plusieurs millions de visiteurs quotidiens [achetés façon Watch Anish ou patiemment acquis], vous ne serez qu’un chien dans un jeu de quilles, une sorte de pensum contraignant mais obligatoire, une corvée légèrement fastidieuse, un mal nécessaire. Impossible, donc, d’attendre de la Wonder Week genevoise les services et l’accueil qu’elle n’a pas encore appris à réserver au grand public : pour y survivre dans de bonnes conditions, même avec les dispositions de combat conseillées dans les deux séquences de ce manuel de survie, il faudra adopter un profil bas…