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BUSINESS MONTRES ARCHIVES (accès libre)
Les dix absurdités inventées, répandues et répétées par les mythomanes des marques horlogères (première partie)

À force de se faire taper sur les doigts ou sur la tête par des articles comme celui-ci, les marques ont commencé à moduler plus subtilement leur storytelling pour éviter les opérations trop fracassantes de « fact checking ». Rien à redire à tout ce qui était écrit ici voici cinq ans, sauf que deux énormes mensonges ont été abandonnés (Perrelet-Sarton et Rieussec-Moinet). Le combat continue…


BULLSHITOLOGIE #1

Les dix absurdités inventées, répandues et répétées par les mythomanes des marques horlogères...

« Aussi bien que des individus, il a existé des époques mythomanes (...) Le Moyen-Âge, surtout du VIIIe au XIIe siècle, est un exemple de cette épidémie collective... Comme si, à force de vénérer le passé, on était naturellement conduit à l’inventer » (citation de l'historien Marc Bloch, Apologie pour l'histoire). Une symphonie pas très héroïque de mensonges, d'idioties et de fraudes – dans l'ordre alphabétique des marques concernées.

❑❑❑❑ TEXTE ORIGINAL

« Une symphonie pas très héroïque de mensonges, d'idioties et de fraudes » (Business Montres du 28 mai 2015)

ET BLANCPAIN NAQUIT EN 1735…

La preuve : « Depuis 1735, il n'y a pas eu de montre Blancpain à quartz. Et il n'y en aura jamais ». Ce génial slogan publicitaire prouve surtout la créativité publicitaire de son inventeur, un certain Jean-Claude Biver, qui n'avait pas d'autre solution que de créer autour de sa nouvelle marque, Blancpain [une maison connue en Suisse, mais tombée dans le ruisseau et revendue, en 1983, par Nicolas Hayek à Jean-Claude Biver] un halo historique flatteur et des lettres de noblesse, capables de marquer une différence entre les marques classiques, à l'époque toutes adonnées au quartz, et une jeune marque qui n'avait que ses mouvements mécaniques pour seul argument. La force de conviction du slogan publicitaire a fini par faire oublier que la date de 1735 semble purement mythique et totalement arbitraire, quoique prétende aujourd'hui la maison Blancpain : « Au début du XVIIIe siècle, Jehan-Jacques Blancpain perçoit le potentiel d’un tout nouveau secteur d’activité : l’horlogerie. En 1735, il fonde la marque Blancpain et c’est à l’étage de sa maison à Villeret, dans l’actuel Jura bernois, qu’il installe son premier atelier. En s’inscrivant dans le registre officiel de propriété de la commune de Villeret, ce pionnier venait de créer un établissement qui est désormais la plus ancienne marque horlogère au monde ». À ce jour, il n'existe pas la moindre preuve historique de toutes ces affirmations, pourtant inlassablement martelées par le storytelling de la marque. Dommage, parce que la maison Blancpain a d'autres créations fortes et incontestables à son actif (voir ci-dessous) !

ET BREITLING S'ATTRIBUA LE PREMIER CHRONOGRAPHE PORTÉ DANS L'ESPACE…

L'histoire de la conquête spatiale est pavée des prétentions d'à peu près toutes les marques horlogères. Historiquement, la première montre portée dans l'espace, en 1957, est un chronographe soviétique de type Sturmanskije (selon certaines sources, c'était peut-être une Rodina) porté par Youri Gagarine. Ce qui n'empêche pas Breitling de prétendre, sur son site : « Le 24 mai 1962, Scott Carpenter effectue trois orbites autour de la Terre à bord de la capsule Aurora 7. A son poignet, une Navitimer avec graduation sur 24 heures – une nécessité pour distinguer le jour de la nuit. C’est le premier chronographe-bracelet à voyager dans l’espace ». Ce qui est une double stupidité historique : d'abord à cause de Gagarine, cinq ans auparavant ; ensuite, à cause de (TAG) Heuer [notez au passage que Breitling prend le soin maniaque de préciser « chronographe-bracelet »]. C'est que le 20 février 1962, trois mois avec Scott Carpenter, John Glenn (mission Friendship 7) avait trois orbites autour de la Terre avec un chronographe Heuer au poignet – en fait, un chronographe de poche logée dans un bracelet pour être porté au poignet (révélation Business Montres du 6 octobre 2006). Première montre suisse à avoir voyagé dans l'espace, ce chronographe Heuer réf. 2915- A est toujours exposé au Musée de l'air et de l'espace de San Diego (Californie), où chacun peut vérifier qu'il s'agit bien d'un chronographe de poignet, même s'il n'est pas au sens propre une montre-bracelet. À l'époque, les astronautes américains partaient dans l'espace avec leurs montres personnelles : comme beaucoup de pilotes militaires appelés à des missions intercontinentales, Scott Carpenter portait une Breitling Navitimer graduée sur 24 heures – pièce qui sera ensuite rebaptisée Navitimer Cosmonaute...

ET CARTIER INVENTA LA MONTRE D'AVIATEUR… 

Il y a quelques années, on a même vu Cartier prétendre avoir carrément inventé la montre-bracelet ! Le tout avec le pionnier de l'aviation franco-brésilien Alberto Santos-Dumont, supposé avoir été le premier à demander au joaillier Louis Cartier, en 1904 de lui créer une montre-bracelet « pour lire l'heure en plein vol » – selon la maison Cartier qui voit désormais dans cette montre « l'une des premières montres-bracelets » [il y a quelques années, quand Cartier avait relancé la collection Santos, c'était tout simplement la première montre-bracelet]. Les archives Cartier sont à peu près muettes sur cette commande de Santos-Dumont, qui relève de la tradition orale des ateliers : la première montre de type Santos [boîte de forme et vis apparentes] effectivement tracée chez Cartier ne remonte qu'au mieux à 1910. Les faits parlent d'eux-mêmes : en 1904, s'il se passionnait pour les vols aériens, Santos-Dumont ne volait encore qu'en dirigeable. En octobre 1906, sans être d'ailleurs le premier à prendre l'air en France [Traian Vuia avait décollé de Montesson en mars 1905, sur une quinzaine de mètres], Santos-Dumont n'avait volé que sur une soixantaine de mètres. En novembre de la même année, sur 220 m en 21 secondes. Pas de quoi ressentir la nécessité absolue d'une montre qu'on porterait au poignet. Les premières séries de montres-bracelets historiquement attestées remontent aux années 1880 (commande passée à Girard-Perregaux) et on sait aujourd'hui que les frères Wright, pionniers internationaux de l'aviation, avaient au poignet une montre Vacheron Constantin (archives Business Montres du 3 novembre 2012)...

ET MONTBLANC MIT AU POINT LE PREMIER CHRONOGRAPHE…

Ce qu’il y a de bien, avec les horlogers, c’est qu’ils sont candides ! Ils finissent par croire à leurs propres bobards. Montblanc, marque née en Allemagne dans l'écriture, se rêvait en grand horloger de référence. La marque a identifié le chronographe mécanique comme un vecteur de consolidation de cette image horlogère : elle a donc acheté à quelques « experts » – très vaguement historiens, mais très sûrement perroquets – une compilation de seconde main sur les origines de la chronographie : comme on y faisait la part belle au Français Nicolas Rieussec, considéré par le mainstream horloger suisse comme l'« inventeur » du premier chronographe, Montblanc a donc baptisé Rieussec une ligne de chronographes, dont le style d'affichage rappelait vaguement le premier chronographe-encreur de Nicolas Rieussec (1821). On savait déjà que Breguet revendiquait aussi, de son côté, cette invention du chronographe, également attribuée par les spécialistes à tel ou tel autre horloger, en Angleterre comme en France. On a compris depuis que l'horloger français Louis Moinet – injustement ignoré par ce consensus historique suisse – avait créé, en 1816, un compteur de tierces (tierce étant la subdivision de la seconde) qui était le pionnier de tous les chronographes ultérieurs : il permet de chronographier des temps cours au soixantième de seconde, avec trois compteurs d'affichage de ce temps court, à la fréquence hallucinante de 30 Hz, avec retour à zéro instantané (Business Montres du 23 mars 2013). Montblanc – qui avait investi beaucoup d'argent pour ce storytelling chronographique, que les historiens perroquets dupliquent à l'envie – n'a toujours pas admis d'avoir perdu son pionnier. Il est toujours très risqué de laisser une marque faire une OPA sur l'histoire...

ET OMEGA REVENDIQUA UN MONOPOLE EXTRA-TERRESTRE…

Apparemment, l'épopée spatiale des Terriens est un accélérateur de bullshit (voir, ci-dessus, le cas Breitling). Premier mensonge d'Omega : la revendication d'avoir été la « première montre portée dans l’espace », mention répétée dans différentes expositions et même au musée Omega de Bienne. Ce qui est archi-faux – Gagarine, Glenn et Carpenter peuvent en témoigner. La première Speedmaster n’ira dans l’espace que le 3 octobre 1962, au poignet de Wally Schirra (six orbites, Sigma 7). S'agirait-il donc, pour Omega, de revendiquer la première montre portée lors d'une sortie dans l'espace ? C'est ce que la marque nous répète sur son site et qu'elle va nous répéter tout au long de l'année, pour le cinquantième anniversaire des premières EVA (activités extravéhiculaires, ou sorties dans l'espace) : « Le programme Gemini a envoyé seize astronautes dans l’espace (quatre ont effectué deux vols chacun). Et ils portaient tous des montres Omega Speedmaster ». Bêtise ! Le 18 mars 1965 (mission Voskhod 2), le Russe Alexei Leonov portait sans doute dans le vide le même chronographe que Gagarine (rappel Business Montres du 6 octobre 2006). La première Speedmaster à tenter la promenade spatiale sera la Speedmaster d’Ed White (3 juin 1965, mission Gemini 4, première EVA américaine) : sur les photos d’Edward White prises par James McDivitt lors de sa sortie dans l’espace, on voit très bien l’Omega Speedmaster Professional attachée autour de la manche de sa combinaison. Pour ce qui est de la première montre officiellement portée sur la Lune, le doute n’est pas permis : c’est la Speedmaster d’Omega. Même si cette montre n’est pas la seule à avoir été portée sur la Lune : divers témoignages d’astronautes attestent que leurs Rolex GMT et leurs Breitling personnelles ont fait le voyage – on relira à cet effet L'Étoffe des héros. Même inlassablement répété, un mensonge historique reste une fraude…

❑❑❑❑ À SUIVRE

« Une symphonie pas très héroïque de mensonges, d'idioties et de fraudes » (deuxième partie)



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