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RÉTROVISEUR 2020 #04
Les quatorze bons souvenirs horlogers que nous pouvons garder de cet ahurissant millésime 2020 (première partie)

Ouf, ça y est, on a tourné la page de 2020 ! Sans trop bien savoir si ce qui nous attend sera pire, meilleur ou du même jus, demandons-nous quels enseignements positifs on va bien pouvoir retenir de cette année faste pour les absurdités aussi bien que pour les révélations en tout genre (première partie)…


Même si cette année 2020 n’a guère tenu les promesses d’excellence que notre « édredon exterminateur » préféré [le président de la FH] nous trompétait en janvier dernier et même si ce millésime 2020 s’est révélée fertile en débandades, en ratages et des déceptions [ne citons pour mémoire que le palmarès ultra-décevant d’un GPHG trop Swiss Mind pour être représentatif], elle n’en a pas moins permis un certain nombre de clarifications. La crise sanitaire et les confinements ont servi de révélateurs à des tendances plus anciennes – le dessin ci-dessous a été publié le 1er janvier 2020 ! Au final, quels bons souvenirs allons-nous conserver de ce millésime chahuté ? Nous vous proposons quatorze pistes de réflexion – mais il y en aurait bien davantage à retenir…

❑❑ LA MONTÉE EN PUISSANCE D’UNE BI-POLARISATION TOUS AZIMUTS : ce concept de polarisation, mis en piste par Morgan Stanley et LuxeConsult, est peut-être le mot technique à retenir de 2020. Polarisation commerciale autour de quelques marques (une quinzaine) qui monopolise près de 90 % du chiffre d’affaires de l’horlogerie. Polarisation spéculative autour d’une poignée de marques ultra-recherchées dont les montres sont sur liste d’attente. Polarisation créative autour d’un faisceau de petites marques indépendantes hyperactives, dont l’effervescence contraste avec le goût de la réédition vintage chez les grandes marques. Polarisation médiatique dans l’orbite de quelques sites de référence. Polarisation des montres de collection entre les icônes qui battent des records et le tout-venant. Polarisation globale entre la dynamique des montres connectées (85 % des volumes de montres-bracelets vendues dans le monde) et le marché résiduel des montres classiques. Entre les deux pôles, où qu’on se tourne : rien… ou si peu !

❑❑ LA SURDÉPENDANCE ACCRUE DE LA CHINE : le marché chinois est le seul à rester en croissance et les amateurs chinois représentent désormais plus de 80 % des achats de montres traditionnelles dans le monde. Cette sino-dépendance est d’autant plus dangereuse qu’elle se concentre désormais sur deux ou trois hot spots commerciaux [dont l’île de Hainan], qui sont eux-mêmes soumis aux caprices bureaucratiques d’un pouvoir qui joue habilement sur le niveau des détaxes et des interdictions de voyager pour capter l’essentiel des anciennes dépenses des global shoppers chinois. On peut soupçonner ce pouvoir communiste et néo-nationaliste de vouloir très vite passer du « Achetez en Chine » imposé à ses consommateurs à la logique d’une « Achetez chinois » qui crucifierait les marques suisses qui misent très imprudemment sur la seule Chine… 

❑❑ LA NOUVELLE TECTONIQUE DES PLAQUES : après la tectonique des marques dans les années 2000, la tectonique des marques dans les années 2020 ? Beaucoup de mouvements sismiques se préparent. Le groupe Timex vient de se vendre à un groupe d’investisseurs. Le groupe Festina prépare la succession de son actionnaire. Alors que des raiders sont à l’affût, le Swatch Group s’apprête à vivre une passation des pouvoirs qui prélude peut-être à sa future déconsolidation. Le groupe LVMH rationalise son portefeuille de marque en musclant son pôle joaillier (rachat de Tiffany & Co) tout en revendant des griffes sans potentiel de croissance : à quand un « nettoyage » de ses marques horlogères ? Il se pourrait que le groupe Richemont en vienne à s’adosser au groupe Kering [leurs forces et leurs faiblesses se complètent parfaitement] pour constituer un môle de résistance face à l’ogre LVMH. Partout, le périmètre des groupes et de leurs marques a commencé à évoluer : dès 2021, l’horlogerie va changer d’ère géologique. Attention aux convulsions telluriques !

❑❑ LE SENS DES RESPONSABILITÉS DE CERTAINES MARQUES : la pandémie et les multiples confinements ont prouvé que bon nombre de patrons de marques – grandes et petites – étaient capables de jouer collectif et de prendre des initiatives au service de leur communauté. Impossible de les citer tous [d’autant que certains ont tout fait pour rester discrets et anonymes], mais il faut quand même mentionner le rôle moteur tenu dans ce domaine par un Jean-Christophe Babin (Bvlgari), une Babette Keller (Keller Trading), un Georges Kern (Breitling), un Jean-Pierre Lutgen (Ice-Watch) ou un Pierre Salanitro (Salanitro) ou mêm un Thierry Stern (Patek Philippe). Ne pas oublier, à une toute autre échelle, l’excellent comportement des animateurs de la toute jeune marque Augarde (lancée en début d’année). Certes, il aurait été possible d’aller plus loin que le simple envoi de masques et de gel là on en manquait, par exemple en reconvertissant certaines lignes de production horlogères pour réaliser des respirateurs dont les hôpitaux manquaient, mais la profession – longtemps tétanisée par une chronapocalypse à laquelle elle avait tout d’abord refusé de croire – a tout de même sauvé l’honneur…

❑❑ L’ÉTONNANTE RÉSILIENCE DES NOUVELLES MARQUES : savez-vous qu’on a tout de même assisté, en 2020, au lancement, à la naissance ou à la renaissance, d’une soixantaine de nouvelles marques de montres, tous calibres confondues ? Visiblement, la démographie horlogère se porte bien ! Là encore, impossible de citer toutes les jeunes marques qui ont remarquablement performé, à leur échelle, pendant cette année compliquées, mais il faut tout de même relever la performance de la néo-marque française Yema, qui a pu fêter sa renaissance avec 1,7 million d’euros de souscription sur les réseaux de sociofinancement. On peut également noter le cas de la toute jeune marque lancée par le designer horloger Cédric Bellon grâce à une initiative des Watch Angels suisses. Pas question de passer à côté des Français d’Augarde [voir le paragraphe ci-dessus] ou d’UltraMarine, pas plus qu’à côté du parcours sans faute d’un William Rohr avec sa nouvelle marque Massena Lab. Il faudrait pour être juste en mentionner beaucoup d’autres, dans tous les champs de la création horlogère, de la plus baroque des constructions mécaniques (Gorilla) à la plus généreuse des propositions eco-friendly (Awake, ID Genève, etc.). Rappelons aussi les deux prix raflés au Grand Prix d’Horlogerie de Genève par la jeune équipe de Petermann Bédat, qui y faisait sa première apparition, et par Charles Girardier, marque présentée cet automne ! À y regarder plus près, on remarque que les défaillances des jeunes marques qui se retrouvent aujourd’hui en difficulté sont toujours explicables par le manque de consistance de leur proposition ou par l’absence de motivations sincères (autres qu’opportunistes) de leurs créateurs…

❑❑ LE RÔLE MOTEUR DES « BONS » MANAGERS : si on exclut la poignée de marques iconiques et spéculatives qui captent l’attention des « investisseurs », on remarque que la qualité du CEO s’avère déterminante dans la capacité de rebond des marques indépendantes dans une conjoncture épidémique complexe. Si Raketa a vu ses ventes bondir cette année de 25 %, ce n’est pas un effet du hasard, mais la conséquence des bons choix de David Henderson-Stewart, son CEO. On pourrait en dire autant de Louis Érard, dont la relance s’est opérée de main de maître grâce à Manuel Emch, qu’on a également découvert à l’œuvre aux côtés de David Henderson-Stewart. Autre exemple : avec Jean-Pierre Lutgen à la barre, Ice-Watch n’est plus très loin de régater bord à bord avec Swatch [marque qui s’est littéralement effondrée en 2020]. Preuve supplémentaire : Édouard Meylan, le CEO de H. Moser & Cie., aura probablement fait en 2020 la meilleure année de sa jeune carrière à la tête de la marque : quand les ventes explosent [parce que l’offre est intelligente et bien placée en prix, mais également intelligemment promue en ligne] et que les frais d’accès au marché sont annulés par la pandémie, la trésorerie se regonfle et l’avenir paraît moins incertain. Même constat chez Maximilian Büsser (MB&F), qui a réussi à naviguer au plus près avec des vents contraires et qui se félicite à présent d’avoir su non seulement réduire à temps la voilure, mais également d’avoir osé remettre en cause son modèle économique. Personne ne s'étonnera de trouver le même Olivier R. Müller derrière l'opération Charles Girardier et l'opération Petermann Bédat ! Bien entendu, on pourrait gloser à l’infini sur les capacités manœuvrières de beaucoup d’autres CEO de plus grandes marques [il est toujours plus facile d’opérer quand on est adossé à un groupe ou qu’on bénéficie d’une trésorerie prospère], mais il était intéressant de souligner qu’il fallait être encore plus avisé que les autres pour piloter des marques de niche en pleine tempête chronapocalyptique…

❑❑ LA CASSE SOCIALE REPOUSSÉE – POUR MIEUX SAUTER ? : avec la tournure que prenait la chronapocalypse au premier trimestre 2020 [certaines marques n’ont pas vendu une seule montre pendant des semaines !], on aurait pu s’attendre au pire pour le printemps et pour l’été. Heureusement, les aides n’ont pas manqué pour panser les plaies, redonner un peu d’oxygène aux finances exsangues et financer le chômage partiel des équipes désœuvrées par la crise. Du coup, certaines marques ont mieux fini l’année qu’elles ne l’avaient commencée, même si leurs ventes ont été quasiment au point mort. On n’a guère compté que trois marques notables au tapis et quelques dizaines d’ateliers fermés dans toute la Suisse. Ce n’est sans doute que partie remise : les ventes n’ayant pas vraiment repris ailleurs qu’en Chine, où très peu de marques parviennent à tirer leur épingle du jeu, l’addition sera payée au printemps 2021, tant pour ce qui concerne les marques actuellement en hivernation ou aux soins intensifs que pour ce qui regarde les emplois horlogers [à quelques exceptions près, les manufactures vont forcément devoir ajuster leurs effectifs à leur activité commerciale]. Le pire reste donc à venir : ceux qui redoutaient 2020 [nous en étions] ont encore plus de raisons de craindre ce qui ne manquera pas d’arriver en 2021…

 ❑❑❑❑ À SUIVRE

Rétroviseur 2020 #05  : Les quatorze bons souvenirs horlogers que nous pouvons garder de cet ahurissant millésime 2020 (seconde partie)

 LES PRÉCÉDENTES SÉQUENCES 

 RÉTROVISEUR 2020

❑❑ #03  : Les vingt personnalités horlogères de l’année 2020 – troisième partie (Business Montres du 23 décembre) 

❑❑ #02  : Les vingt personnalités horlogères de l’année 2020 – deuxième partie (Business Montres du 22 décembre 

❑❑ #01  : Les vingt personnalités horlogères de l’année 2020 – première partie (Business Montres du 21 décembre )

(dessin publié fin décembre 2019) 


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