ÉDITORIAL

Pas vraiment choquant

et donc pas choqué du tout !

Quelques lecteurs ont récemment attiré notre attention sur un film promotionnel diffusé par Piaget pour célébrer le Ramadan, fête sacrée chez les musulmans (vidéo ci-dessous). Certains de ces lecteurs semblaient choqués qu’une marque horlogère adopte ainsi une sorte de posture positive ou laudative sur une religion que les convulsions géopolitiques du monde et l’actualité des pays européens semblent plutôt vouer à des réactions négatives et aux gémonies, voire à des chasses aux sorcières d’un autre âge. Il nous faut avouer que cette vidéo, plutôt très réussie [mise en scène, rythme, décor, message, etc.], en tout cas parfaitement calibrée pour la cible qu’elle entend toucher avec un message totalement déconnecté de toute connotation partisane, ne nous a pas choqués. Elle nous a paru on ne peut plus dédramatisée pour une industrie qui ne manque jamais une occasion de célébrer le Nouvel An chinois ou Noël. Le jour où les Martiens nous auront appris quelles sont localement leurs fêtes patronales, les horlogers suisses en seront de leurs messages congratulateurs et commémoratifs. Ici même, dans ces pages éditoriales, nous avons souvent souhaité de bonnes fêtes à nos lecteurs à l’occasion des solstices d’été ou d’hiver ou des bougies d’Hanouka. Alors, pourquoi pas le Ramadan ?

Ce qui poserait éventuellement problème, ce ne serait pas de dédier un message empathique à la communauté féminine musulmane [cette vidéo de Piaget est d’autant mieux faite et, on l’espère, d'autant plus efficace qu’elle a bien assimilé les codes culturels de cette communauté], mais de s’abandonner, comme tant de marques commencent à s’y adonner, à cette dictature culturelle du politiquement correct, du woke et de la repentance tous azimuts. Postures qui ravagent actuellement la sphère américanocentrée. Il y a dans ce « politiquement correct » [concept global qui inclut l’ethniquement correct, le sanitairement correct, l’écologiquement correct, le sexuellement correct, le scripturalement correct, le gastronomiquement correct et tout le reste de la bien-pensance contemporaine] un vrai danger pour la liberté de penser et une soumission indécente à ces minorités agissantes dénuées de toute légitimité qui sont à la manœuvre derrière les réseaux sociaux et les lobbies médiatiques.

• Ce qui est choquant, c’est de constater que certaines manufactures ne fêtent plus Noël, de peur de… choquer leur audience non chrétienne : on parle stupidement de « vacances d’hiver » ou de « fêtes de fin d’année », en évitant soigneusement sapins, guirlandes et allusions trop christianomorphes [pudeur que personne ne manifeste pour fêter le Nouvel An des bouddhistes]…

• Ce qui est choquant, dans l’actualité récente et nous l’avons déjà écrit (Business Montres du 7 mai), c’est de constater qu’il y a eu qu’une seule marque suisse pour oser célébrer la mort de l’Empereur, début mai. Une seule sur 450 !

• Ce qui est choquant, c’est de voir des directions abandonner toute common decency pour se vautrer dans la mixité forcée de la communication horlogère ou dans les timides tentatives d’écrire en morse PC (politiquement correct). Si on commence à vouloir imposer des quotas ethniques dans les manufactures comme on commence à le faire dans les images de promotion des montres, il va falloir organiser de sacrés transferts de population racisées dans les vallées ! Si on entreprend de dynamiter la grammaire et la typographie françaises pour respecter les codes des minorités dé-genrées, ce sera la Tour de Babel et l’incommunicabilité absolue à brève échéance…

Quand on voit une marque horlogère comme Guess, maison parfaitement sympathique par ailleurs, entamer une approche de ce type, avec une collection #WornWithPride précisémenrt destinée à soutenir la communauté LGBTQI+ [désolé si on a oublié une lettre !], on se dit qu’on est en train de mettre le doigt dans un engrenage que personne ne maîtrise. Nous en avions déjà parlé lors de l’affaire Black Lives Matter, en voyant certains horlogers ployer le genou pour afficher une bien opportuniste compassion pour une communauté noire en état de choc : ces minorités agissantes n’en ont jamais assez et elles ne sont jamais à court d’amalgames contagieux pour déconstruire les cultures enracinées ! Leur ambition n’est pas de réintroduire une certaine morale là où les sociétés en manquent un peu trop, mais d’imposer un ordre moral et une police de la pensée pire que celle des pires dictatures.

Faudra-t-il demain débaptiser la maison Breguet parce que ce pauvre Abraham Louis Breguet était l’horloger préféré de l’ogresse Marie-Antoinette, la reine de France victime en son temps d’accusations insensées de la part d’extrémistes qui ont fini par lui couper la tête, ou parce qu’il a été ensuite été l’horloger de référence de l’ogre Napoléon Ier et de sa cour ? On débaptise bien des rues qui portent le nom de célébrités historiques devenues incorrectes et on déboulonne bien des statues d’innocents qui n’en peuvent mais ! Faudra-t-il demain que toutes les marques renoncent définitivement à tous leurs bracelets en cuir animal, en abjurant publiquement, la corde au cou [corde végétale, bien sûr], ces pratiques exterminatrices ? Ne devront-elles plus proposer que des cuirs végétaux – ceci en attendant la poussée végane suivante, qui sera celle de la sensibilité des végétaux à la douleur ? Ne riez pas : la tendance est patente : quand on voit les progrès faits en moins de dix ans pour bannir les peaux de reptiles, les cuirs d’océan et, bientôt, les fermes d’élevage d’alligators, en attendant de fermer toutes les tanneries, on réalise que la machine peut s’emballer très vite. Ce ne sont que des exemples, mais il faut bien comprendre qu’ils seront démultipliés dès que les extrémistes auront compris à quel point les marques sont faibles devant les pressions qui s’exercent sur l’opinion publique. Ceux qui ont des doutes n’ont qu’à demander au groupe LVMH combien lui a coûté [on parle ici de centaines de milliers d’euros versés sous une forme ou une autre à des associations antiracistes] la « réparation » des dégâts causés par les propos imbéciles et les injures racistes d’un Jean-Paul Guerlain contre les Noirs – lequel Guerlain n’avait plus rien à voir avec la marque, sinon qu’il en portait le nom comme héritier…

La montre avait jusqu’ici une immense avantage : c’était une des très rares pratiques culturelles communes à toute l’humanité, laquelle avait fini par accepter un système horaire international [toutes les nations vivent à l’heure UTC, avec des modulations géographiques mineures et collectivement  compréhensibles]. Fantastique comme trait d'union entre les peuples ! Le code horaire était même un des très rares codes abstraits acceptés par tous les humains, qui lisent l’heure de la même manière avec les mêmes angles géométriques sur un cadran, quels que soient les chiffres arithmétiques de l’alphabet portés sur ce cadran. Si on fait les comptes, cette perception naturelle des heures par un jeu d’aiguille est peut-être même le seul code abstrait commun à toute la planète.

En commençant à ergoter sur l’histoire des marques, à s’interdire certaines expressions religieuses [celles qui font sens pour des millions d’hommes et de femmes : la religion crée du lien, et nous en manquons], à culpabiliser les amateurs de bracelets non véganes, à dé-genrer les montres, à communautariser l’horlogerie et à la soumettre au questionnement décontructeur et corrosif du politiquement correct, on détruit cette universalité de la montre. On attente à l’humanité profonde de ce que pouvaient représenter l’accès au temps, le port libérateur des montres et les perspectives ouvertes par l’horlogerie pour tous les peuples de tous les continents. C’est oublier que les montres ont toujours été associées à la liberté des hommes, à leurs progrès scientifiques et techniques, à leur conquête des continents, des océans et même des astres. S’il faut déconstruire quelque chose, c’est bien la chape de plomb que les pervers veulent imposer au discours horloger, avec l’habituel concours des naïfs, des couillons et des ravis de la crèche. Laissez-nous vivre, laissez-vous respirer et savourez la vidéo de Piaget, qui le mérite ! On vous laisse réfléchir là-dessus…

Quelques autres actualités

du moment et quelques bonnes

questions du jour

❑❑❑❑ LE BULLETIN MÉDICAL DU JOUR : concernant notre ami l’horloger Pierre Favre (Régence), toujours plongé dans un coma artificiel aux HUG de Genève pour mieux résister aux attaques respiratoires du covid, l’état de santé reste stationnaire après bientôt trois semaines de réanimation. Quelle épreuve pour sa famille et pour ses amis…

❑❑❑❑ L’IMAGE INSTAGRAM DU JOUR : « Jurez-moi que vous n’allez pas retirer de mes boutiques la distribution des marques du groupe Richemont ! » (page Instagram de Business Montres). C’est la question que se posent bon nombre de détaillants, y compris les plus grands de cette planète : on songe ici à Sediqqi, géant horloger à Dubaï, récemment rayé des registres du groupe Richemont (ou à Bucherer en Suisse). On pense aussi à tous les détaillants qui ont déjà perdu la distribution des marques du groupe, dont les montres Cartier qui assuraient leur fin de mois. Entre une distribution en ligne où le groupe ne cesse de perdre de l’argent et la création d’un réseau autonome de boutiques multimarques pour ses propres maisons, la stratégie du groupe hésite, fluctue, varie et met en péril toute la distribution traditionnelle…

❑❑❑❑ LA BONNE NOUVELLE DU JOUR : c’est le retour d’Alexander Bennouna (ex-Victorinox, dont il avait dopé la division horlogère, plutôt insignifiante depuis sont départ), qui revient sur le marché avec la nouvelle marque de montres DecideAndAct. Lancement annoncé pour la mi-juin sur Kickstarter, avec un concept très politiquement correct (éco-responsabilité biosourcée et promotion de la diversité agissante) : pas sûr que notre édito ci-dessus lui fasse plaisir, mais il ne nous empêchera en rien d’apprécier ses collections, superbement dessinées, ses bracelets végétaux et son puissant style unisexe…

❑❑❑❑ LA VIDÉO DU JOUR : « En direct des astéroïdes » – un voyage proposée par la nouvelle Rolex Daytona à cadran météorite. Bonne musique, belles images, dommage que ce soit aussi court…

❑❑❑❑ LA QUESTION DU JOUR : alors qu’un tableau de Picasso vient d’être adjugé pour la modique somme de 104 millions de dollars, à combien partira la montre de Picasso que la maison Bonhams met en vente à Paris. La pièce passe pour être une commande spéciale de l’artiste : le cadran reprend les douze lettres de son nom (Pablo Picasso). Il semblerait qu’il ait existé une micro-série de ces montres, fabriquées par la maison suisse Michael Z. Berger dans les années 1960 : deux d’entre elles sont entre les mains de la fondation Picasso, celle de Bonhams étant à ce jour la seule à apparaître en vente publique [il s’agirait d’un cadeau de Picasso à une amie]. L’estimation de ce lot n° 244 de la vente parisienne de Bonhams (20 mai) est modeste – 12 000 euros-18 000 euros, mais la qualité de la montre l’est aussi : sans doute Picasso la portait-il dans son atelier [plusieurs photographies de Cecil Beaton l’attestent], pour peindre, histoire de ne pas salir les autres belles montres de sa collection (Rolex GMT-Master, Jaeger-LeCoultre ou même Patek Philippe). Alors, combien pour la montre d’une icône de l’art moderne ? On le saurait la semaine prochaine…

❑❑❑❑ L’AUTRE QUESTION DU JOUR : pourquoi un organisme officiel comme l’Office du tourisme suisse (Suisse Tourisme) a-t-il eu la mauvaise idée d’oublier de parler de montres et d’horlogerie dans son nouveau clip promotionnel, qui met Roger Federer et Robert De Niro en vedette ? Réalisation parfaite, paysages magnifiques, scénario bon enfant, humour suisse un peu naïf et message décontracté [peut-être un peu trop, en tout cas presque démotivant], mais pas la moindre montre, la moindre horloge, la moindre pendule, ni la moindre allusion à une quelconque industrie horlogère – alors que ça aurait pu motiver Robert De Niro plus sûrement qu’un coucher de soleil sur Genève ! Les horlogers – qui sont un des piliers de l'identité suisse, au même titre que les montagnes – ne disent pas merci à Suisse Tourisme – mais ce n’est pas la première fois que cet organisme officiel leur donne un tel coup de canif dans le dos…

❑❑❑❑ LE DESSIN DU JOUR : « Vous croyez vraiment qu’on avait besoin d’une montre GMT pour découvrir l’Amérique ? » (Watch Comedy Club #65 en accès libre : Business Montres du 8 mai). Bonne question, messieurs les hardis navigateur des eaux nordiques, merci de nous l’avoir posée. Comme la réponse est évidente, nous n’allons pas épiloguer…